vendredi 31 mars 2017

Elle voulait juste marcher tout droit

Sarah Baruck

Albin Michel, 2017


La Seconde Guerre mondiale et ses séquelles vues par une enfant

Décidément, la Seconde Guerre mondiale s’est invitée dans la sélection des 68 Premières fois. Deuxième lecture en ce qui me concerne autour de cette période. Enfin ce n’est pas exactement sur la guerre, mais, comme Nous, les passeurs - quoique sous une forme très différente -, sur les conséquences qu’elle a eues sur les familles des victimes.
Ici s’arrêtera la comparaison. Car les lectures se suivent et ne se ressemblent pas. Autant j’avais été émue par le récit de Marie Barraud, autant je me dois de dire que celui de Sarah Barukh m’a laissée de marbre.

Alors certes, il y a une histoire. Celle de la petite Alice qui a passé les premières années de son existence en nourrice dans une ferme du sud-ouest à attendre le retour de sa mère. Mais lorsque celle-ci revient la chercher, quelques mois après la Libération, rien ne se passe comme elle se l’était imaginé. On lui avait dépeint une femme enjouée, aux formes généreuses, et voilà qu’elle voit arriver une personne revêche, presque mutique, d’une effrayante maigreur. Rien de la jolie Parisienne qui devait l’emmener acheter des robes et visiter la tour Eiffel!
Le contact est difficile, mais Alice est pugnace. La courageuse petite fille fait face et prend soin de sa mère, attendant patiemment que celle-ci lui révèle l’histoire de ses origines. Qui était son père, déclaré inconnu sur son acte de naissance ? Comment sa mère est-elle devenue cette femme si différente de celle qui lui avait été décrite ? Et que signifient ces chiffres tatoués sur son bras, comme sur celui de Monsieur Marcel, leur colocataire ? 
Alice devra vivre bien des aventures et traverser bien des épreuves pour obtenir enfin des réponses à toutes ces interrogations.

Cela aurait pu être un bon livre, un vrai page-turner, selon le terme désormais consacré. Mais la narration s’est révélée laborieuse et si l’on ne s’ennuie pas - il faut bien le reconnaître - j’aurais aimé être davantage surprise. Car les multiples petits détails que sème l’auteur pour construire son récit agissent en fait comme de gros signaux annonçant par avance tout ce que va connaître la petite fille...

Mais surtout, et là réside pour moi le véritable écueil, le style m’a totalement rebutée. Plus de 400 pages de phrases sujet-verbe-complément, c’est vraiment très long ! Alors on me répliquera - peut-être - qu’il s’agissait de restituer la parole et le point de vue de l’enfant. Mais le problème c’est que le texte est écrit à la troisième personne, si bien que ça ne fonctionne pas. C’est toute la différence entre un récit à hauteur d’enfant et un récit écrit pour les enfants. Or, tout au long de ma lecture, j’ai eu l’impression que l’auteure s’adressait à moi comme si j’avais l’âge de son héroïne et que je ne connaissais absolument rien à cette terrible guerre. Tandis qu’un récit à la première personne vous permet d’entrer dans la psyché du personnage, de vibrer à l’unisson de ses émotions, on se voit ici infliger une foule de détails et de remarques qui tombent à plat et paraissent bien mièvres. Et je ne reviendrai pas sur les vingt dernières pages du livre qui vous assènent d’un coup une sorte de cours magistral et accéléré des années qui ont précédé le conflit. Là, on passe soudainement dans un registre totalement différent... et totalement déplacé !

J’imagine aisément tout ce que l’auteur a pu mettre de cœur et d’énergie dans ce roman qui aurait certainement pu être plus convaincant. Mais parfois je me demande, lorsque certains livres paraissent, s’il y a un éditeur à bord. Si tel était le cas, il aurait sans doute aidé l’auteure à éviter des formulations terriblement maladroites. Sans doute le livre aurait-il gagné en puissance...


Ceci étant dit, Nicole, et Joëlle ont aimé


Les 68 Premières fois, sélection de janvier 2017

Elle voulait juste marcher tout droit de Sarah Baruck, Albin Michel 
La sonate oubliée de Christiana Moreau, Préludes
La téméraire de Marie Westphal, Stock 
Les parapluies d’Erik Satie de Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld 
Marguerite de Jacky Durand, Carnets Nord
Marx et la poupée de Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila 
Mon ciel et ma terre de Aure Attika, Fayard
Ne parle pas aux inconnus de Sandra Reinflet, Jean-Claude Lattès 
Nous, les passeurs de Marie Barraud, Robert Laffont 
Outre-mère de Dominique Costermans, Luce Wilquin 
Presque ensemble de Marjorie Philibert, Jean-Claude Lattès
Principe de suspension de Vanessa Bamberger, Liana Levi

28 commentaires:

  1. Je crois que j'ai déjà vu un avis pas enthousiaste du tout sur ce premier roman. On va attendre le deuxième ..

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  2. Le titre, la couverture, le résumé : rien ne me tente dans ce livre et surtout pas ce que tu en dis.

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    1. Et puisque tu parles du titre, même après lecture, je n'en saisis toujours pas vraiment le sens...

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    2. Comme Sandrine, je trouve le titre et la couverture assez repoussants...c'est donc un livre vers lequel je ne suis pas allée, mais après avoir lu les billets de Joëlle et Nicole, j'étais prête à changer d'avis (avis qui était d'ailleurs assez semblable à ton billet!)

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    3. Effectivement, j'ai vu ton commentaire en allant récupérer le lien de Joëlle... Cela dit, même si j'ai suffisamment expliqué ma perception de ce livre pour ne pas en démordre, on peut de toute évidence en avoir une autre : Joëlle et Nicole sont d'excellentes lectrices !

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  3. Comme Sandrine, je n'étais pas trop tentée... et tu confirmes que ce n'est pas pour moi.

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    1. C'est vrai que je ne l'aurais pas lu sans les 68. Mais c'est la loi du genre, parmi tous les livres proposés, on fait parfois chou blanc, mais parfois de magnifiques découvertes...

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  4. pas toujours facile d'écrire sur cette période... Je préfère les témoignages.

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    1. Ce n'est déjà pas franchement ma tasse de thé cette période, alors quand ce n'est pas convaincant...

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  5. Je me laisse tenter. On verra si je saisirais le titre ;-)

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    1. Bien sûr, rien de mieux que de se faire son propre avis !
      Mais reviens ensuite m'expliquer le titre s'il te plaît ;-)

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  6. La seconde guerre mondiale est en effet un thème très présent cette année dans la production littéraire. Les petit-enfants cherchent des réponses que les enfants n'ont peut être pas osé aller dénicher, sur une période où les silences restent très nombreux. Pas étonnant que cela donne une matière littéraire très fournie et utilisée de façon très diverse...
    Je comprends tout à fait ta réaction face à ce roman même si je suis beaucoup plus indulgente que toi avec le résultat. J'ai adhéré à la démarche tout au long, je l'ai lu très vite et je l'ai trouvé très distrayant. Ce n'est pas une grande oeuvre littéraire, c'est sûr. Mais ça marche (sans jeu de mot) plutôt bien et personnellement je n'ai pas été gênée par les maladresses d'écriture que tu relèves, preuve certainement que j'étais suffisamment captée par le développement de l'histoire.
    Néanmoins, il est difficile de comparer des livres qui portent certes sur la même période mais choisissent des axes et des traitements très différents. Entre Nous, les passeurs, Elle voulait juste..., Marguerite et Outre-mère (les 4 de la sélection), des abîmes de différences.
    Contrairement à toi, cette époque me fascine de plus en plus (c'est très récent d'ailleurs car longtemps j'en suis restée à l'écart), c'est un creuset littéraire incroyable.

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    1. Je pense que tu as absolument raison, Nicole, sur ce besoin de trouver des réponses à ces questions. Ce sont d'ailleurs des auteurs très jeunes qui écrivent sur cette période - du moins pour les deux que j'ai lus, je ne sais pas ce qu'il en est des autres.
      Peut-être ma sévérité vient-elle du fait que j'apprécie tout particulièrement les récits à hauteur d'enfant et que j'ai lus de très grands textes, qui m'ont particulièrement marquée. Je songe bien entendu à L'Enfant, de Vallès, et plus récemment aux romans de Laura Alcoba. Mais il y en a d'autres encore. Sans doute Sarah Barukh a-t-elle souffert, non pas de la comparaison, mais de ces références qui sont forcément présentes lorsque je lis...

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  7. Bon, en voilà au moins un qui n'ira pas encombrer nos PAL! D'autant que je suis aussi en train de lire un roman sur cette période. ...

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    1. Lequel ? Il y en a plein en ce moment...
      J'avais beaucoup aimé Nous, les passeurs, que je mentionne dans mon billet.

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    2. L'homme est un dieu en ruine de Kate Atkinson

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    3. Je ne connais pas du tout. J'irai donc découvrir ce livre sur ton blog !

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  8. mais c'est fou, ça!?! J'aimerais bien le feuilleter pour découvrir ce style monotone et répétitif... mais pas le lire, c'est sûr !

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    1. En fait, ça ne m'a pas frappée tout de suite. C'est à la longue que j'ai réalisé que ce qui me gênait, outre le ton lui-même, c'était cette succession de phrases très courtes et très élémentaires. Et une fois que je l'ai eu remarqué, je ne voyais plus que ça...

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  9. Une mauvaise pioche, ça arrive. Le tout c'est de ne pas les enchaîner^^

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    1. Je me suis jetée sur un polar qui m'apporte entière satisfaction ;-)

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  10. C'est très juste ce que tu écris à propos de la différence entre un récit à hauteur d'enfant (mes références en ce domaine, les ouvrages de William Saroyan publiés chez Zulma) et un récit pour les enfants.
    Observation très fine...

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    1. Je ne connais pas ce William Saroyan, je vais regarder cela d'un peu plus près... Je suis très sensible à ce type de récit. C'est comme ça que j'avais été littéralement subjuguée par Vallès. Mais je pense aussi à Laura Alcoba, bien sûr, ou encore à Sorj Chalandon.

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  11. Quel dommage ! Je m'étais noté ce titre pour plus tard :/

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    1. D'autres l'ont aimé... Tout dépend de vos attentes et de votre sensibilité à ce type d'écriture.

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  12. Décidément, comme pour d'autres livres, je partage totalement ton avis. Je viens de finir le brouillon de mon billet et me suis précipitée pour lire le tien. Une fois encore, nos avis convergent. Et pareil, je préconise ce livre pour les ados, pour appréhender cette période de l'Histoire. Et ce qui m'a gênée, c'est le décalage entre les pensées et les actes d'Alice par rapport à son âge. Ce n'était pas crédible pour moi. Une déception.

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    1. A mon tour, j'irai te lire dès que tu auras publié ton billet.

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