Olivier Rolin
Verdier, 2016
Une fiction qui nous parle de la littérature et de la place de l'écrivain : Rolin au sommet de son art !
Que je me sois précipitée sur le nouveau roman d’Olivier Rolin ne surprendra sans doute personne. Sans plus de surprise, j’ai été une fois encore envoûtée par sa plume, qui n’a rien perdu de sa beauté, loin s’en faut.
Comme il sait si bien le faire, Rolin nous entraîne vers de lointaines contrées, dans cette ville mexicaine dont le nom est en lui-même déjà une invitation au voyage - je ne doute pas d’ailleurs qu’il ait pu être à la source de son inspiration.
C’est ici une Veracruz âpre et brutale qu’il nous est donné de découvrir, habitée par des individus dénués de morale et du moindre scrupule. Le narrateur y a autrefois brièvement séjourné et connu une fulgurante passion amoureuse. De cette histoire ne subsistent qu’un souvenir évanescent ainsi que quatre récits qui lui étaient mystérieusement parvenus par la poste et qui évoquent - peut-être - la femme aimée. Le narrateur nous les offre, dans toute leur crudité, dans toute leur cruauté, faisant naître chez le lecteur une sorte d’effarement mêlé de répulsion.
Ces récits dérangent, tant ils disent la noirceur de l’âme humaine. Mais ils le font dans une langue d’une si grande qualité littéraire, avec des mots à la consonance parfois si poétique, que le contraste en est saisissant.
Arrivée au terme de ces quatre témoignages, qui relatent une même situation selon quatre points de vue différents, j’avoue m’être sentie perplexe. Où l’auteur voulait-il en venir ?
C’est la dernière partie du livre qui allait m’éclairer sur ce point, pour donner une dimension soudain beaucoup plus vaste à ce livre et me permettre du même coup de retrouver ce que je trouve passionnant chez Rolin : son aptitude à développer une fiction tout en s’interrogeant sur les conditions de sa création et ce qui s’y joue de la place de l’écrivain.
«La littérature est une tromperie sans fin», nous dit-il. Qu’est-ce qui peut nous empêcher de penser qu’une aimable jeune femme ait pu relater des crimes aussi sordides ? Certains «indices» invitent le narrateur à croire que la gracieuse Dariana en serait l’auteur... tandis que d’autres l’éloignent de cette pensée. Mais ces interrogations sont sans fondement, puisque l’auteur s’efface derrière son texte ; il serait vain de vouloir chercher à y déceler sa présence.
Quelle réalité se cache au cœur de la littérature ? Et d’ailleurs, y en a-t-il une ? Quelle relation fiction et réalité entretiennent-elles ? «Veracruz, le Mexique, le monde, tout cela n’existe pas.» Le monde ne serait rien d’autre qu’«une flamme, une eau bouillonnante, un nuage dissipé par le vent, [qui] nous échappe[rait] d’autant plus qu’on cherche[rait] à le saisir.» Il serait bien présomptueux de prétendre lui trouver une logique ou un sens quelconque, voire de vouloir lui donner chair à travers des mots.
Il y a vingt ans, pourtant, la réponse de Rolin était tout autre : le monde, l’écrivain l’inventait ; il en était le démiurge, le grand ordonnateur, créateur tout-puissant. Il le sculptait de ses mots, généreux et amples. Le monde n’existait que par la grâce de l’écrivain. Il en résultait un roman-fleuve qui permettait de l’appréhender.
Aujourd’hui, il semble que la littérature doive exister en tant que telle, sans référent à une quelconque réalité. Elle est désormais un écho à des instants de bonheur dont elle s’efforce de restituer l’intensité. Il ne faut guère en réclamer davantage : c’est déjà beaucoup.
La littérature résulterait-elle d'une émotion ?
Elle nous offre en tout cas à nous, lecteurs, des mots sublimes qui suscitent à leur tour nos émotions, et c’est ce qui nous les rend si précieux.
Décidément, Olivier Rolin est un grand, un très grand. Il n’en finit pas de nourrir mon imaginaire et ma réflexion sur ce qu’est la littérature et les raisons de mon attachement à cette si belle matière.
Onlalu est aussi enthousiaste que moi !
Honte à moi, je n'ai jamais lu ce monsieur ! Et en plus il est chez Verdier, je note !
RépondreSupprimerIl n'est jamais trop tard pour bien faire, Noukette ;-)
SupprimerTon chouchou !! Il faut que je le lise absolument, je sens que c'est une lacune de ne pas l'avoir encore fait, mais je n'ai pas très envie de commencer par ce titre-là.
RépondreSupprimerUne lacune, je ne sais pas, mais il est clair qu'en ce qui me concerne il a eu une très grande influence.
SupprimerPourquoi ne pas commencer par Le météorologue ? J'avais aussi aimé Tigre en papier. Pas la meine de mentionner L'invention du monde ;-)
Moi aussi il va falloir que je le découvre un jour, c'est une voix incontournable de la littérature française actuelle.
RépondreSupprimerCe n'est pas moi qui dirais le contraire !
SupprimerJ'ai découvert Olivier Rolin avec "Le météorologue" : bien d'autres cieux. Celui dont tu parles avec tant de conviction m'a l'air tout à fait "book inside" comme j'aime : le voilà noté.
RépondreSupprimerJ'espère qu'il te convaincra autant que moi. J'irai en tout cas découvrir ton avis avec intérêt.
SupprimerJe ne connaissais pas Olivier Rolin ! A te lire, je rate vraiment quelque chose ! D'autant qu'il est édité chez Verdier, qui est un gage de qualité littéraire pour moi. Je note donc sans plus attendre !
RépondreSupprimerEt avant cela, il était au Seuil, dans la prestigieuse collection "Fictions & Compagnie", autre gage de qualité !
SupprimerTu m'as tellement convaincue que j'ai commandé le roman ! La suite au prochain numéro après lecture ;)
SupprimerC'est toujours une lourde responsabilité ;-)
SupprimerMais franchement, c'est vraiment un écrivain qui vaut d'être lu ! Si tu regardes les commentaires, tu verras que Petite Balabolka a été conquise. J'espère qu'il en ira de même pour toi !
Je le commence ce soir ! J'ai juste lu le début de ton billet pour m'assurer de ton enthousiasme (bien sûr, je vais te lire entièrement mais après avoir lu le livre et chroniqué à mon tour).
RépondreSupprimerJe suis contente pour toi car je te sentais un peu mitigée sur tes dernières lectures.
Effectivement, mais là il semble que je sois repartie sur un bon mood : j'ai terminé il y a peu Le Nouveau Nom, d'Elena Ferrante, la suite de L'Amie prodigieuse. Je ne sais pas si tu l'avais lu. Je te les recommande.
SupprimerEt j'espère vraiment que Veracruz te plaira !
J'ai lu Veracruz d'une traite : c'est magnifique.
SupprimerJe ne sais pas comment je vais pouvoir écrire à propose de ce livre tellement je suis scotchée.
Bon, ça y est, je l'ai enfin écrit cette chronique (j'aime pas dire critique) et aussitôt, je suis allée te lire. J'ai bien fait de faire tout ça dans cet ordre là car sinon, je n'aurais pas osé écrire une ligne ;-)
SupprimerAh, tu le connais bien ton chouchou et tu apportes un éclairage très précieux. Oui, c'est tout à fait ça, on dirait qu'il souhaite que la littérature existe pour elle-même. c'est déjà bien, non ?
Tu m'étonnes quand c'est écrit comme ça ! Quelle écriture mais quelle écriture !
C'est vrai que c'est un écrivain que je connais bien, puisque je le lis depuis 20 ans. Ô combien je suis heureuse lorsque j'ai suscité l'envie de le découvrir et que le bonheur de lecture est partagé !
SupprimerJ'ai lu ton commentaire avec le plus vif intérêt et je trouve que tu rends un très bel hommage à cette très belle écriture. Comme tu dis, quand un texte est écrit comme ça, c'est un diamant pur !
Wow, il est hyper pointu ton article, j'ai du le relire plusieurs fois pour bien le comprendre, il faut vraiment que je découvre Rolin parce que ce que tu dis de lui est passionnant. C'est très modianesque le postulat de départ de ce roman (une autre vie qui vient frapper à la porte, j'adore), je crains le côté noir et cruel néanmoins (oui je suis dans une phase "grosse chochotte").
RépondreSupprimerTu sais que maintenant dès que j'entends Rolin, je pense à toi ;-)
Euh, ben j'espère que ça reste accessible, quand même !
SupprimerIl n'a d'ailleurs pas été très facile à écrire, car il m'a fallu prendre le temps de mettre mes idées en ordre, et j'ai pour cela dû relire certains passages.
Ce qui est sûr c'est que je pense pouvoir dire que je connais assez bien l'oeuvre de Rolin et, du coup, je parle de ce livre en ayant en tête tous ceux qui l'ont précédé.
Pour le côté modianesque, je ne sais pas : je n'ai pas lu Modiano ! Un partout, la balle au centre ;-) Il va bien falloir que je découvre ce géant de la littérature française contemporaine. Je compte bien sur toi pour m'indiquer quelques titres !
A bientôt. Et toutes mes pensées vont vers toi pour cette dernière ligne droite !
Je veux le lire !
RépondreSupprimerFonce !
SupprimerUn auteur que je n'ai jamais lu :-) à tort dirait-on :-) hop je note celui-là, d'autant que papillon de chez qui j'arrive l'a qualifié de bijou... Si vous vous y mettez à deux :-)
RépondreSupprimerEt on espère bien élargir le cercle de ses adeptes ;-)
SupprimerJe ne sais plus si j'ai lu un roman de lui o u de son frère; Quoiqu'il en soit, ça me dit!
RépondreSupprimerCe devrait être Jean, sinon tu t'en souviendrais ;-)
SupprimerQuel livre !!! Merci pour ton billet qui m'a donné envie...
RépondreSupprimerJe suis vraiment ravie, Joëlle ! Je vais de ce pas lire ton billet :-))
SupprimerRhoo, jamais lu Olivier Rolin ...je sais que certaines personnes parlent de l'Invention du monde comme d'un choc litteraire de type avant/ après , si tu vois ce que je veux dire . Je commence par quoi ? ( sachant que moi aussi je suis un peu une chochotte ;-)
RépondreSupprimerNon, je ne vois pas du tout ;-)
SupprimerPour lire L'Invention du monde, il faut quand même avoir un peu de temps et de disponibilité d'esprit pour s'immerger dedans. Veracruz est peut-être une porte d'entrée plus accessible. En tout cas plusieurs lecteurs l'ont lu et l'ont vraiment apprécié.