dimanche 13 décembre 2015

Paris est une fête

Ernest Hemingway

Folio, première édition Gallimard 1964


Traduit de l'américain par Marc Saporta


Pourquoi je ne l’ai pas lu (en entier)

Lorsqu’Eliza a proposé la LC de ce livre, j’ai aussitôt répondu présente : réaffirmer les valeurs qui constituent notre identité par l’entremise d’un livre, éprouver mon sentiment d’appartenance à une communauté au travers de la littérature ne pouvait que me parler.
Mais dès les premières pages, j’ai senti que quelque chose coinçait, que ce livre ne répondait pas vraiment à mon attente. Ce texte est en effet le récit égotiste d’un homme à un moment très précis de sa vie. C’est le mythe de la bohème revisité par un écrivain américain dans les années 20. Soit. Mais outre le fait que, littérairement parlant, je n’ai personnellement trouvé ce texte ni passionnant ni percutant - ce qui est un avis très personnel et mériterait sans doute un développement que je ne ferai pas ici -, j’ai surtout eu le sentiment, dans le contexte du 13 novembre, d’être à côté du sujet.

Car non, Paris n’est pas une fête et l’est de moins en moins.
Paris, comme paradigme de notre pays et de notre société, s’enfonce dans la crise économique, voit les rapports sociaux se durcir, les écarts se creuser toujours plus entre les plus aisés et les plus démunis, et ne cesse de voir l’obscurantisme gagner du terrain – qu’il revête les oripeaux de la radicalisation islamiste ou de l’extrême-droite.

Certes ce livre a été brandi comme un étendard pour la valeur symbolique qu’il suggère. Bien entendu il faut continuer à aller boire des coups en terrasse et à aller voir des spectacles. Et les jeunes, plus que quiconque, ont cette faculté de résilience qui leur permettra de le faire.

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas ainsi que l’on combattra les fléaux qui nous menacent.
Tant que chacun ne trouvera pas sa place dans la société, n’aura pas d’horizon pour se construire, tant que la recherche effrénée du profit restera le socle de notre société, il y aura toujours des individus pour croire qu’ils pourront trouver refuge dans le repli sur soi et le rejet de l’autre, et des populations entières continueront coûte que coûte de fuir la guerre ou leur terre ravagée par le dérèglement climatique. Et le cœur de Paris, comme celui de toutes les capitales du monde, continuera de saigner.

La tâche est rude pour inverser le sens des choses. Mais elle mérite que l’on s’y attèle pour trouver des moyens d’infléchir le mouvement.
Je crois fermement que les livres ont leur rôle à jouer pour nous y aider.
Continuons, donc, à lire pour éclairer nos esprits et à dialoguer sur nos blogs, sur Facebook et bien sûr dans les cafés pour faire germer les idées.

Merci à Eliza pour cette lecture commune, qui permet justement d'initier un débat et d'échanger nos idées !




26 commentaires:

  1. ....et tout cela est très bien dit ;-)

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  2. Je n'ai pas lu ce livre et j'avais l'intention de le faire après avoir aimé "Mrs Hemingway" où Monsieur n'apparaissait pas sous un jour très sympathique. Je comprends ton point de vue, en plus depuis l'époque où il a été écrit, Paris a été quasiment vidé de sa population pauvre et ce n'est pas fini.

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  3. Ce n'est pas le premier avis pas très enthousiaste que je lis, du coup j'ai de moins en moins envie de découvrir le livre.
    Très sensible à ce que vous avez écrit, j'ajouterai juste: allons voter car souvent on oublie que c'est un privilège qui n'est pas donné à tout le monde.

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    1. En effet, allons voter. Je dirais que c'est un droit plutôt qu'un privilège, mais qui n'est certes pas donné à tout le monde.
      Personnellement, je ne me suis jamais abstenue, même si j'avoue que parfois il m'est difficile de choisir mon bulletin. Mais jamais je ne renoncerai à ce droit. Ceci étant dit, une fois qu'on a voté, il ne faut pas s'en remettre aveuglément à ceux que nous avons élus. Je pense qu'il est important d'inviter les citoyens à être acteurs de leur vie et de la société par le biais d'un militantisme de terrain, par la voie d'associations, par celle du syndicalisme... Je pense qu'il y a bien des manières de s'impliquer et sans doute en reste-t-il à inventer...

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  4. Autant j'étais très déçue de ne pas recevoir le livre pour participer à la LC car il me fait bien envie, autant je comprends ton sentiment d'inadéquation avec la situation présente. Disons qu'il faut trouver un juste milieu entre cultiver encore et toujours la joie de vivre et la culture comme des armes pacifistes (et puissantes malgré tout) tout en continuant d'exercer notre lucidité sur l'état présent du monde.

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    1. Tout à fait !
      (Au fait, pour contourner le problème de la rupture de stock, je l'ai lu sur ma liseuse ! ;-)

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  5. Un avis très intéressant sur le choix de ce livre et sa valeur symbolique. Merci ! :)

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  6. Pas du tout le billet auquel je m'attendais, mais je suis bien d'accord avec toi

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  7. J'arrive ici par hasard et en voyant le titre du dernier article publié (celui-là donc) j'ai pensé : "oh non". Alors que je m'apprêtais à tourner casaque, j'ai noté du coin de l'oeil que tu n'avais pas fini le livre.
    Il est malheureux que ce livre soit devenu une sorte de symbole parce qu'une mamie l'a étourdiment cité à la télé.
    Il est malheureux qu'Hemingway soit associé à tout cela : les gens oublient ou ne savent pas que c'était un type odieux.
    J'avais plutôt pensé à l'époque à Eureka Street de Robert McLiam Wilson. Certes l'intrigue se déroule à Belfast et non à Paris mais le fond est bien plus en phase avec la réalité qui nous préoccupe.

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    1. D'abord, merci pour ton passage, Flo, et j'espère que tu reviendras ;-)
      Je ne connais pas le livre que tu mentionnes, mais j'irai voir ça de plus près ! Surtout si, comme tu le dis, il est plus en rapport que le livre d'Hemingway avec les événements du 13 novembre.

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    2. Eureka Street se déroule un peu avant et un peu après les accords de cessez-le-feu en Irlande du Nord et met en scène des trentenaires qui essaient de trouver leur place dans la vie, dans une ville où la violence est le quotidien. J'avais écrit notamment dans mon billet : "C’est aussi une ode à la vie, la vie malgré tout, malgré les bombes et la bêtise d’extrémistes de tous bords."
      Je vais mettre ton blog dans mon Feedly se sera plus simple.

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    3. Intéressant. Je vais aller visiter ton blog pour découvrir ça, notamment. A bientôt, donc !

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  8. Je suis d'accord avec toi, ton analyse est juste et je comprends que tu aies lu le livre dans cette optique. Je dois bien t'avouer que j'ai lu ce texte d'Hemingway en étant totalement détachée de sa valeur symbolique récente. Pour moi, il s'agit d'un témoignage sur la vie artistique des années folles et sur la naissance d'un écrivain. Et c'est quand même un bel hommage à notre capitale et sa richesse artistique et historique. Mais effectivement, le livre n'a absolument aucun rapport avec les évènements, les gens ont juste voulu se redonner du baume au coeur en célébrant le titre de ce recueil.

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    1. Oui, sans doute faut-il le lire avec une optique différente de celle qui nous occupe aujourd'hui...

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  9. Clairement, je ne vois pas le rapport entre ce texte et les événements récents (à part le titre à la limite). Pour autant, j'aime beaucoup, beaucoup ton billet ;)

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  10. Je ne savais pas que ce roman a été mis en exergue après les attentats. J'ai envie de le lire, mais pas tout de suite et en prenant du recul.

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  11. Merci beaucoup Delphine pour ce contrepoint. Effectivement, le contenu du livre n'a pas de rapport avec la situation du 13 novembre et des jours qui ont suivi. En revanche, il est le témoin d'une époque où sans doute, tout était possible. Il n'y avait pas moins d'inégalités, mais un homme sans ressources tel que l'était Hemingway pouvait être partie intégrante de l'effervescence littéraire et intellectuelle de son époque. Certains passages du livre sont durs, il y décrit la misère de son petit appartement sous les toits, la lutte incessante contre la faim, à laquelle il remédie par l'alcool, jusqu'à choisir les rues dans lesquelles passer pour ne pas être tenté par les délices dans les vitrines... Serions-nous encore aujourd'hui capable d'accueillir auprès de nous un tel personnage ? Pas sûr, car nos cœurs se sont asséchés, et c'est encore plus le cas dans une grande ville comme Paris.
    Alors merci de nous avoir rappelé cela, et j'espère quand même que tu pourras un jour revenir à Hemingway, sans doute avec un autre texte :)

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    1. Effectivement, cette époque n'était pas exempte d'inégalités ni de difficultés et on sait comment cela s'est terminé... Mais je ne veux pas être pessimiste : nous ne devons pas baisser les bras.
      Quant à Hemingway et au texte lui-même, c'est vrai que je n'ai pas du tout été sensible à ce style qui tient davantage, je trouve, du journal intime que d'un texte visant à être publié. J'avoue m'être mortellement ennuyée et je préfère bien d'autres textes sur le même sujet, comme les Scènes de la vie de bohème, de Henri Murger, par exemple, bien que nettement antérieur.
      Ceci étant dit, je crois que j'essaierai un de ces jours Pour qui sonne le glas. J'espère que je serai plus convaincue !

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  12. Je te trouve un peu dure que dire que cette LC était à contretemps des problématiques du 13 novembre, même si je comprends ce que tu dis. J'ai aimé l'idée que H nous parle de Paris comme d'une matrice de création (après je te rejoins c'est très égocentrée). Mais je comprends ce que tu dis sur le fait que notre société est en train de mourir de consumérisme...Mais ce n'est pas la seule explication, il y a toujours eu des gens pour se lancer dans les actions violentes et qui ont voulu détruire, et les prétextes n'ont jamais manqué.

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    1. C'est vraiment le sentiment que j'ai eu, Galéa. Quoi qu'il en soit, je trouve que cela a fait naître une discussion intéressante, et ça c'est précieux.
      Et puis, tu me connais maintenant, je suis parfois assez tranchée dans l'expression de que je pense ou ce que je ressens ;-)

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  13. Ton billet résume parfaitement les raisons pour lesquelles je n'ai pas souhaité participer à cette lecture commune ! Merci.

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    1. Merci Miss Leo. Ceci étant dit, je crois justement que c'était une excellente idée que de proposer cette lecture. Cela permet en effet de parler de ce geste spontané qui s'est fait dans l'émotion, qui a connu une diffusion colossale par le biais des réseaux sociaux et de l'analyser.
      Et au vu des retours que j'ai sur ce billet et dans la vraie vie, je me dis que mon point de vue est partagé par un certain nombre de personnes.
      Par ailleurs, n'ayant pas lu le livre jusqu'au bout, je ne peux pas m'exprimer sur l'éclairage qu'il est susceptible d'apporter sur les événements, que certaines personnes ont pu relayer, y compris sur cette page !

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  14. Ce que tu écris résonne beaucoup en moi, nos idées convergent. En France comme en Belgique, on veut montrer qu'on arrive toujours à s'amuser, que rien n'a changé, qu'on vit comme avant (alors qu'à côté de ces discours, on ferme les lieux publics, les occasions de rassemblements, et on annule des événements) alors que tout est en train de changer. Il ne faut pas se voiler la face. Bref, j'espère que ta prochaine lecture est la bonne :) Bises

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    1. Effectivement, je suis d'accord avec toi pour dire que nous sommes dans un moment de mutation profonde... ce qui n'est jamais confortable ni facile.

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