vendredi 12 septembre 2014

L’écrivain national

Serge Joncour

Flammarion, 2014


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                                                               Prix des Deux Magots 2015
   

Derrière une intrigue prétendument policière se cache un joli portrait d'écrivain, mais surtout une réflexion pertinente sur l'écriture et la réception d'une oeuvre par son public.

Le titre ne laisse pas de surprendre. L’écrivain... national. Drôle d’association. Inhabituelle, en tout cas. Un écrivain peut être, à la rigueur, régional, ou bien français ou de n’importe quelle autre nationalité... mais national ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?

Dans son dernier roman - le premier que je lis de lui -, Serge Joncour imagine un écrivain invité pour un mois en résidence d’écriture dans le centre de la France. C’est le maire de la bourgade qui l’accueille qui le gratifie de cet étonnant qualificatif devant ses administrés. L’écrivain se voit ainsi affublé d’un titre aussi pompeux que ridicule, qui moque l’aura particulière que l’on prête volontiers à ses congénères, qui l’embarrasse singulièrement et qui augure immédiatement des questionnements existentiels qui vont le tarauder !
Car au fait, qu’est-ce qu’un écrivain ? Et d’abord, à quoi ça sert ? Qu’attend-on de lui ?

L’auteur pose d’emblée la question dans les premières pages de son roman, avant de nous embarquer dans une réjouissante mise en abîme où le lecteur autant que l’écrivain sont amenés à s’interroger sur la relation respective qu’ils entretiennent avec le texte, la fiction et la réalité.

Invité par la municipalité - qui «aurait largement préféré un handballeur ou un judoka»-, un écrivain arrive dans une ville dont un hameau voisin vient d’être le théâtre d’un crime ; il se rend sur les lieux supposés du drame, et les signes qu’il découvre matérialisent ce qui n’était jusqu’alors qu’un récit lu dans un journal. «Je n’étais plus dans cette distance prudente que sécrètent les histoires tant qu’on ne fait que les lire.» Ce qui se tenait derrière des mots s’insinue en lui, presque à son corps défendant, pour devenir une réalité, sur laquelle il va à son tour mettre ses propres mots, que nous lecteurs sommes précisément en train de lire...
Pour brouiller encore un peu plus les pistes, Joncour attribue à son héros la paternité d’une oeuvre littéraire portant le titre d’un livre qu’il a lui-même écrit...
Il s’amuse également à nous mettre en scène, lorsqu’il évoque des séances de rencontres entre l’écrivain et son public. Celui-ci l’interroge sur son rapport au réel et sa capacité à inventer. Ne rôderait-il pas autour du lieu du crime «dans le dessein de s’inspirer de cette histoire»? Tout partirait-il nécessairement du réel ? Faudrait-il «vivre avant d’écrire» ?

Et c’est bien la question que nous finissons immanquablement par nous poser : les lignes que nous lisons sont-elles pure invention qui permet d’interroger le lien avec un hypothétique réel, ou bien constituent-elles le journal d’un événement que l’auteur, qui a peut-être été lui-même invité en résidence d’écriture, aurait réellement vécu et qui donnerait lieu à la création d’une oeuvre dont nous sommes précisément en train d’assister à la genèse. Nous serions alors dans une forme parfaitement aboutie d’autofiction, dont l’enjeu ultime serait la création de l’oeuvre que nous sommes en train de lire.

Joncour joue avec humour, humilité et avec une délicieuse virtuosité sur ce thème. C’est avec un véritable plaisir que je me suis laissée entraîner dans sa construction littéraire et je me suis fort amusée, tout au long de ma lecture, à me demander constamment à qui j’avais affaire: l’auteur, le narrateur ou le héros du livre ?
Je ne saurais dire quelles sont les parts de réel et d’imaginaire dans ce livre et, à vrai dire, je m’en moque. Quoi qu’il en soit, j’ai été touchée par ce portrait de romancier sillonnant la France pour rencontrer des lecteurs se comptant parfois sur les doigts d’une main, capables de se montrer extrêmement sévères et intrusifs. Des expériences que partagent certainement bien des écrivains qui ne font pas partie du club très fermé des auteurs de bestsellers...

Quant aux questions posées plus haut, moi, lectrice, je n’ai pas de réponse définitive. Mais une chose est sûre: je suis redevable aux écrivains de m’offrir les instants parmi les plus lumineux et les plus riches de mon existence. Sans leurs livres, la vie me paraîtrait bien fade. Qu’ils en soient remerciés.


Découvrez ici une citation de l'auteur

6 commentaires:

  1. Je ne crois pas avoir lu Serge Joncour, je l'ai plutôt écouté dans "des papous dans la tête", mais en ce moment j'en ai un peu assez des écrivains qui nous parlent d'eux, j'ai l'impression que ça devient un tic.

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    1. Mais là, il ne nous parle pas seulement de lui, mais aussi de nous ! C'est un peu le livre dont vous êtes le héros. Joncour interroge également nos attentes en tant que lecteur vis à vis d'un texte et d'un écrivain.
      Et puis au-delà de son cas particulier, il parle du "métier" d'écrivain en général. Donc ce n'est pas du nombrilisme.
      Enfin j'ai trouvé son approche très ludique.
      Je ne sais pas si j'aurai su te convaincre, mais, quoi qu'il en soit, j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas selon moi d'un livre rébarbatif dans lequel l'écrivain s'épancherait lourdement !

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  2. Je suis assez tentée, bien que la littérature hexagonale, et de plus qui parle d'écrivain ou d'écriture, n'est pas vraiment ce que j'aime habituellement... Mais les habitudes sont faites pour être changées ! ;-)

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    1. Absolument ! J'espère que tu te réjouiras d'avoir emprunté un chemin inhabituel !

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  3. Je l'ai découvert avec L'amour sans le faire et je dois avouer que son coup de plume me fut une découverte intéressante, j'ajoute celui-ci à ma PAL! :)

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    1. Quant à moi, il me reste à découvrir ses précédents livres !

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