Entretiens

samedi 18 juin 2022

Sélection été 2022


L'été est là, et on n'a plus qu'une seule idée en tête : partir ! 
Vous avez vos billets en poche ? Votre valise est presque bouclée ?
Il ne vous manque plus que l'essentiel : les livres ! Cette année encore, je vous propose un petit florilège de mes meilleures lectures du semestre écoulé. Peut-être y trouverez-vous quelques tentations...



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Côté Histoire


Au café de la ville perdue
, d'Anaïs Llobet, L'Observatoire

Voici un très joli roman, non dénué d'une certaine poésie, qui vous entraînera sur l'île de Chypre pour vous en révéler l'histoire violente et complexe des années 1960 à nos jours. A la fois envoûtant et très instructif.


D'audace et de liberté, d'Akli Tadjer, Les Escales

Où l'on retrouve Adam, ce jeune Kabyle héros du roman D'amour et de guerre évoluant désormais dans le Paris d'après-guerre, alors que sur la scène internationale couve le conflit israélo-palestinien et que les prémices des "événements" d'Algérie se font sentir. Un deuxième volume très réussi, dont on attend impatiemment la suite...


Route One, de Michel Moutot, Le Seuil

Pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, Michel Moutot poursuit sa fresque de l'Amérique. Il nous raconte cette fois la folle épopée de la construction de la route mythique longeant la côte Pacifique, à travers l'un de ces récits hauts en couleur et fort bien documentés dont il a le secret.


Une sortie honorable, d'Eric Vuillard, Actes Sud

Eric Vuillard a une manière inimitable de marier l'histoire et la littérature. Il se penche aujourd'hui sur la guerre d'Indochine pour nous en révéler les mécanismes et les enjeux à travers quelques épisodes savamment disséqués. Une force d'évocation peu commune et une analyse d'une rare acuité pour un livre exceptionnel.


Côté intime

Par la forêt, de Laura Alcoba, Gallimard

Laura Alcoba revient sur un double-infanticide survenu il y a quelque quarante ans, un drame dont elle a connu les protagonistes. Il fallait toute la délicatesse de cette talentueuse auteure pour aborder un sujet aussi douloureux et parvenir à en faire jaillir la lumière.


Porca Miseria, de Tonino Benacquista, Gallimard

Tonino Benacquista quitte le terrain de la fiction où il excelle pour évoquer son enfance, ses origines italiennes, la manière dont s'est constitué son sentiment d'appartenance à la nation française ainsi que son entrée en littérature. Fidèle à lui-même, il nous offre un texte tendre et émouvant. 


Vider les lieux, d'Olivier Rolin, Gallimard

Parce qu'il est contraint de quitter l'appartement qu'il occupait depuis trente-sept ans, Olivier Rolin dresse un inventaire de ses objets et de ses livres, faisant ainsi remonter les souvenirs à sa mémoire. Une forme de déambulation mentale ouvrant cet espace poétique dont il est coutumier, où la littérature, le monde et l'intime se mêlent étroitement. Magnifique, est-il besoin de le préciser ?


Côté actualité

Les abeilles grises, d'Andreï Kourkov, Liana Levi

Publié en 2019 dans sa version originale et dans notre pays quelques jours seulement avant l'invasion de l'Ukraine, ce roman évoque la vie dans ce qui est longtemps resté la « zone grise », celle qui était coincée entre les troupes de l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses. Un roman étonnamment teinté de douceur dont la lecture apparaît aujourd'hui plus que nécessaire.


Côté société

De notre monde emporté, de Christian Astolfi, Le Bruit du Monde 

Ce récit est celui de la fermeture des chantiers navals de La Seyne-sur-Mer et du combat que menèrent les ouvriers qui y travaillaient. Christian Astolfi donne la parole à ceux que l’on chercha à reléguer aux oubliettes de l’histoire pour leur rendre toute leur dignité. Et nous invite ainsi à réfléchir à ce qu’il reste du monde lorsqu’on s’acharne à le vider de toute forme de transmission, de solidarité et de collectif. 


Minuit sur le monde, de Jules Petrichor, Editions du Panseur

Fable écologique et dystopique, ce roman imagine un monde plongé dans une nuit perpétuelle, colonisant jusqu'aux esprits des hommes. Loin d'inviter au désespoir, ce récit présente au contraire des accents poétiques et tendres qui lui confèrent un charme singulier. 


Côté polar

Les loups, de Benoît Vitkine, Equinox/Les Arènes

Les amateurs du genre se régaleront de ce polar d'une redoutable efficacité mettant en scène un scrutin présidentiel en Ukraine dans les années 2010. Mené tambour battant, il met remarquablement en lumière la nature des liens unissant les oligarques ukrainiens et le pouvoir russe et permet au lecteur de mieux saisir les enjeux du contrôle des ressources énergétiques dans cette région. Une réussite.


L'inclassable 

Nom, de Constance Debré, Flammarion

Avec ce troisième opus, Constance Debré poursuit son entreprise de déconstruction visant à se libérer de toute forme d'entrave sociale et familiale. Un texte dérangeant, sans concession, mais d'une force stupéfiante qui met le lecteur face à ses propres impostures et le pousse à réfléchir à ses propres choix. Exceptionnel.

 

lundi 13 juin 2022

Au café de la ville perdue

Anaïs Llobet
L’Observatoire, 2022



C’est une histoire vieille comme le monde, celle de deux communautés prétendant ne pas pouvoir cohabiter. Celle-ci plonge ses racines dans l’antagonisme historique entre Grecs et Turcs, qui s’est douloureusement cristallisé à Chypre. Aujourd’hui, l’île est divisée en deux territoires : au sud-ouest, la République de Chypre ; au nord-est, la République turque de Chypre-Nord. Varosha, jadis florissante cité balnéaire de la côte orientale devenue une zone militaire en ruines, est l’amer symbole de cette scission. Et le coeur de l’excellent roman d’Anaïs Llobet déjà très remarquée pour Les hommes couleur de ciel. 


Ariana vit dans le souvenir de la maison du 14, rue Ilios qu’elle n’a pourtant jamais connue. Son père Andreas était enfant, en 1974, lorsqu’il avait précipitamment dû fuir la ville au bras de sa tante Eleni sans même prendre le temps d’emporter quelques affaires. Depuis l’attaque militaire turque qui en avait chassé tous les habitants, Varosha est restée fermée, sombrant peu à peu dans le délabrement et interdisant toute possibilité de retour. 


Mais ce drame n’était sans doute rien pour l’enfant qui n’a jamais revu ses parents. Le couple composé d’un père chypriote grec et d’une mère chypriote turque n’a en effet pas résisté au contexte de tension extrême régnant entre les deux communautés. Pour sa famille paternelle, qui n'avait jamais vu cette union d'un bon oeil, il ne fait pas de doute qu’Ariadni s'est enfuie avec un Turc. Ioannis s’est quant à lui enrôlé dans la marine pour ne jamais revenir…


Avec l’histoire de cette famille et à la faveur d’allers-retours entre l’époque contemporaine et les années 60 à 70, Anaïs Llobet bâtit une remarquable architecture narrative qui permet progressivement au lecteur de comprendre - et peut-être même de découvrir - l’histoire complexe de cette île qui a intégré l’Union européenne en 2004 en dépit des échecs successifs de réunification. Parfaitement documenté et ne négligeant aucun détail historique, ce roman ne sacrifie pourtant rien à la qualité de la fiction et au plaisir de la lecture, et confirme ainsi le talent de cette jeune auteure.



Nicole a beaucoup aimé aussi.




mardi 7 juin 2022

Le grand monde

Pierre Lemaitre
Calmann-Levy, 2022



Rien de tel qu’une bonne saga pour agrémenter un week-end de quatre jours (surtout quand une tendinite vous cloue sur un transat !). A défaut d’avoir pu écumer les trésors de la Normandie à l’occasion du pont de l’Ascension, j’ai donc embarqué pour l’Indochine en compagnie de Pierre Lemaitre - dont je n’avais jusqu’à présent lu qu’un roman qui était loin de m’avoir convaincue…


Avec cette nouvelle série, l’auteur nous convie à un retour sur les Trente Glorieuses, à travers les destinées d’une fratrie composée de trois garçons et une fille habitant Beyrouth où leur père a fait fortune en prenant la tête d’une fabrique de savon. Celui-ci n’attend que d’en confier les rênes à son aîné Jean… qui se révèle pourtant parfaitement incompétent et qui saisira la première occasion pour se sortir de ce bourbier et gagner la France avec son épouse. 


A vrai dire, aucun des quatre enfants ne souhaite rester sous la férule parentale, et chacun trouve une échappatoire. Après le bac, le plus brillant de la famille, François, file à Paris pour entrer prétendument à Normale Sup, tandis qu’Etienne s’envole pour Saïgon afin de retrouver son amant dont il reste sans nouvelles. Quant à la petite dernière, Hélène, elle finira elle aussi par claquer la porte du domicile familial afin de rejoindre à son tour Paris.


Bien entendu, tous ces personnages connaissent moult péripéties et revers de fortune, que l’auteur prend bien soin d’entrelacer en maniant avec une certaine virtuosité les codes du roman-feuilleton. Entre sordides faits divers et scandale politico-financier lié au trafic des piastres indochinoises, il restitue un tableau haut en couleur de la France et de l’une de ses colonies dans l’après-guerre. 


Si je suis longtemps restée à distance des principaux protagonistes dont certains m’ont semblé manquer singulièrement de nuance - à l’image de Jean et de sa femme -, j’ai en revanche beaucoup apprécié les personnages secondaires, remarquablement travaillés, qui contribuent à rendre cette fresque extrêmement vivante.


Certes, il m’aura fallu attendre les dernières pages de ce roman qui en compte tout de même près de six cents pour être véritablement happée par le sort des héros. Mais il est vrai que lorsqu’un auteur se lance dans un récit de longue haleine, il a tout son temps pour ferrer son lecteur. Mission accomplie, donc, puisque j’ai refermé le livre avec une pointe de regret et une furieuse envie de connaître la suite des aventures de la famille Pelletier !