Entretiens

vendredi 8 novembre 2019

Le coeur battant du monde


Sébastien Spitzer

Albin Michel, 2019




Le coeur battant du monde : mais quel titre ! Quelle promesse de souffle épique ! A le lire, je pouvais me réjouir de tenir entre mes mains un bon petit pavé de quelque 440 pages qui n’allait pas manquer de me tenir en haleine. D’autant qu’il allait m’embarquer pour mon cher XIXe siècle, du côté de Londres, pour découvrir un aspect méconnu de la vie de l’un des grands penseurs du mouvement ouvrier et de la révolution, Karl Marx.

Pour être tout à fait honnête, j’avais quand même un petit doute. Faire du fils illégitime et longtemps caché du héraut du prolétariat le héros d’un roman, pourquoi pas. Encore fallait-il, en s’intéressant au fils, se garder de faire du père un portrait en creux. 
Or, je n’irai pas par quatre chemins, mes craintes se sont révélées fondées. Si Karl Marx apparaît tout au long du roman, ni ses écrits, ni ses prises de position, ni ses actions politiques, ni sa pensée ne sont effleurés. En revanche, l'insistance sur sa pilosité lui donnant des allures de "sanglier", sur le ridicule zézaiement dont il était affligé et sur ses comportements de rentier petit bourgeois dessinent un portrait à charge : celui d’un individu nourrissant une véritable aversion pour la classe ouvrière dont il voulait à tout prix se distinguer, d’un individu incapable de gagner quelque argent et n’attendant que de toucher sa part d’héritage paternel, d’un individu vivant des largesses de son ami Engels auquel il finira pourtant par tourner le dos et, comble du comble pour ce pourfendeur du capitalisme, d’un individu ayant pris goût au boursicotage - seule activité pour laquelle il aurait manifesté un quelconque talent ! 
Sans doute tout cela est-il vrai : dans une longue postface, Sébastien Spitzer assure avoir beaucoup lu et s’être abondamment documenté avant d’écrire son roman. Mais s’attarder uniquement sur ces aspects sans les confronter à quoi que ce soit d'autre finit par produire une image tendancieuse sans grande consistance.

Dans sa vie privée, Marx ne valait pas mieux que n’importe lequel des bourgeois qu’il vilipendait ? Peut-être bien, et il ne serait pas le premier homme à être pétri de contradictions. Mais il me semble que sa pensée et les retentissements qu’elle a eus exigent un peu plus de rigueur... Et tant qu’à condamner le marxisme, autant le faire sur le terrain des idées.

Il s’agit d’un roman, me rétorquerez-vous ? D’une fiction autorisant toutes les libertés ? Certes, mais celle-ci n’en délivre pas moins un message qu’on ne saurait ignorer.
Pour le reste, je dois dire que je me suis assez ennuyée. Mais compte tenu de ce que je viens d’exposer, la platitude du style m’apparaît comme un péché bien véniel !
Quant à la description de la condition ouvrière anglaise au XIXe siècle, si c’est elle qui vous intéresse, pourquoi ne pas lire Dickens ?


Un roman sélectionné par



A crier dans les ruines, Alexandra Koszelyck, Aux forges de Vulcain
Après la fête, Lola Nicolle, Les Escales
Attendre un fantôme, Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld 
Cent millions d'années et un jour, Jean-Baptiste Andrea, L'Iconoclaste
Ceux que je suis, Olivier Dorchamps, éditions Finitude
Dénouement, Aurélie Foglia, Corti
Francis Rissin, Martin Mongin, éditions Tusitala
J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi, Yoan Smadja, Belfond
L'homme qui n'aimait plus les chats, Isabelle Aupy, éditions du Panseur
L'imprudence, Loo Hui Phang, Actes Sud 
La chaleur, Victor Jestin, Flammarion
Le bal des folles, Victoria Mas, Albin Michel
Le coeur battant du monde, Sébastien Spitzer, Albin Michel
Le corps d'après, Virginie Noar, éditions François Bourin 
Le détachement, Jérémy Sebbane, Sable polaire
Les amers remarquables, Emmanuelle Grangé, Arléa
Les autres fleurs font se qu'elles peuvent, Alexandra Alévêque, Sable polaire
Rhapsodie des oubliés, Sofia Aouine, éditions de La Martinière
Tous tes enfants dispersés, Beata Umubieyi Mairesse, Autrement
Un été à Islette, Géraldine Jeffroy, Arléa
Une fille sans histoire, Constance Rivière, Stock



17 commentaires:

  1. De toute façon, je n'aime pas les fictions à partir de personnages réels, alors je passe sans regrets ..

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  2. Je suis contente de lire ton avis parce que je me demandais si j'allais donner une seconde chance à cet auteur dont le précédent roman m'avait déjà bien ennuyée... Sans doute pas ! Et je suis étonnée de le voir dans la sélection des 68 puisque c'est un second roman...

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    1. C'est que les 68 suivent les auteurs qu'ils (elles !) ont aimés et sélectionnent certains de leurs seconds romans (qui, n'étant plus par définition labellisés "premier roman" bénéficient encore moins de visibilité...)

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  3. Mais dis donc, c'est une excellente critique ça. Jusqu'à présent je n'avais lu que du bien de ce roman et je trouve très intéressant ton point de vue sur ce roman.

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    1. Disons que ma voix est un peu discordante dans le concert d'éloges.
      On aime ou pas le style de l'auteur, mais sur le fond il y a quelque chose qui me dérange beaucoup.

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  4. Effectivement tu n'y vas pas par quatre chemins mais voilà un avis fort intéressant et argumenté. C'est d'autant plus intéressant ce que tu dis sur la non confrontation avec les éléments de pensées, peut-être avait-il peur de tomber dans un "essai" plus qu'un roman ?
    Enfin je dis tout ça mais je ne l'ai pas encore lu.

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    1. Il aurait tout aussi bien pu approfondir le portrait de Marx sans en faire un essai. C'est le procédé qui me gêne, le manque de rigueur et peut-être, oui, j'oserais dire, d'honnêteté.

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  5. Comme je n'étais pas tentée, n'ayant pas aimé son premier, je n'ai aucun regret; et en plus ça me fait du bien de lire autre chose à propos de ce roman beaucoup trop encensé ( comme d'autres d'ailleurs) pour ne pas y voir un loup !
    Et d'ailleurs tu parles de Dickens,qui manque à ma culture; et il serait temps de m'y mettre. On commence par lequel?

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    1. Je suis loin d'être une spécialiste de Dickens. Je ne connais que les grands classiques. Pourquoi ne pas commencer par là ?

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  6. Je n'avais pas spécialement été séduite par son premier roman donc je ne culpabilise pas de ne pas m'intéresser à son second :-)

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  7. Pourquoi dans le cadre des 68 premières fois ?
    Le précédent était également une sacrée soupe ...(à mon sens)

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    1. Parce qu'ils suivent désormais les auteurs sur leur deuxième opus, ce qui me semble plutôt bien, d'ailleurs.
      Pour le reste, je crois que ce n'est pas la peine que j'insiste !

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  8. Bon, tu as répondu à la question de Papillon, merci! Sinon, j'ai tendance à penser comme Aifelle

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  9. Merci pour ton avis. Je ne le note donc pas.

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  10. J'avais adoré son précédent mais j'avoue que celui ci me tente moins...

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