Flore Mongin et Coline Naujalis
Seghers, 2025
La rétrospective que consacre actuellement le centre Pompidou à Suzanne Valadon s’accompagne d’un documentaire visible sur Arte et d’une série de publications permettant de découvrir outre son oeuvre, la trajectoire de cette artiste qui a comme tant d’autres été éclipsée par ses confrères masculins. Excellente initiative, tant son itinéraire et sa personnalité méritent pourtant d’être mis en lumière.
C’est ce que s’attachent à faire Flore Mongin et Coline Naujalis sous la forme attrayante d’un roman graphique. Ou disons plutôt d’une biographie illustrée. Fille d’une blanchisseuse dont l’amant prit la tangente sitôt la grossesse déclarée, c’est peu de dire que celle qui s’appelait alors Marie-Clémentine n’était pas destinée à devenir peintre. Mais il suffisait que la fillette ait un morceau de charbon entre les doigts pour qu’elle se mette à dessiner. Et lorsqu’elle franchit un jour les portes du Louvre, c’est l’émerveillement ! Mais la toute jeune fille doit travailler. Après avoir exercé nombre de petits métiers, Maria, ainsi qu’elle se fait désormais appeler, devient modèle. Dans le Montmartre alors épicentre de la vie artistique parisienne, elle rencontre ainsi Renoir, Toulouse-Lautrec et bien d’autres personnalités du monde de l’art.
Belle, intelligente, charismatique, elle se fait vite une place au sein de cette société. Et si, entre deux séances de pose, elle continue de dessiner, c’est en toute discrétion. Puvis de Chavannes ne l’a-t-il pas vertement remise à sa place lorsqu’elle s’est risquée à le lui révéler ? Comment une femme, qui plus est autodidacte, pourrait-elle en effet prétendre au statut d’artiste ? Maria, en passe de devenir Suzanne, a bien intériorisé les limites qui lui sont assignées. Il faudra un petit coup de pouce du destin pour que Toulouse-Lautrec découvre ses talents et la pousse à présenter son travail à Degas, marquant ainsi le départ d’une carrière couronnée de succès.
Et pourtant, qui connaît aujourd’hui le nom de Valadon ? Les historiens de l’art n’ont pas voulu le retenir. Pire, c’est en tant que mère de Maurice Utrillo que s’est établie sa postérité, un peintre qui dut selon moi davantage son succès à la célébration d’un pittoresque montmartrois qu’à la puissance de ses qualités picturales…
Flore Mongin et Coline Naujalis retracent la fascinante destinée d’une femme pour laquelle elles éprouvent de toute évidence attachement et admiration. Peut-être, pour dépeindre une telle personnalité, aurait-on pu attendre un texte un peu moins sage, un peu plus piquant. Mais l’essentiel est là, et l’on prend plaisir à s’arrêter sur les illustrations pour découvrir toutes les facettes d’une femme libre et déterminée.
Quant à l’hommage que lui rend le centre Pompidou, l’affluence qu’il suscite témoigne du regain d’intérêt du public à son égard. Ma réservation est prise, mais il va me falloir patienter encore quelques jours avant de pouvoir enfin admirer ses oeuvres. L’éblouissement sera-t-il au rendez-vous…? Je l’espère !