Entretiens

mardi 30 janvier 2024

Une sale affaire

Virginie Linhart
Flammarion, 2024



A qui appartient l’histoire ? Question à valeur programmatique occupant le bandeau rouge pétard qui ceint le livre de Virginie Linhart et qui, masquant la moitié de la couverture, attire l’oeil plus encore que le titre et le nom de l’auteure. Telle est bien en effet la question centrale de ce récit qui fait suite au précédent livre que la fille de Robert Linhart - faut-il présenter l’auteur de L’Etabli ? - et d’une ardente militante féministe des années 70 avait écrit sur sa relation avec sa mère.

Je ne l’avais pas lu, mais il avait fait grand bruit : la mère et l’ex-compagnon de l’auteure - qui l’avait quittée alors qu’elle était enceinte de jumeaux - l’attaquaient en justice quelques jours seulement avant la parution du livre afin d’en empêcher la sortie. C’est le récit de ce procès littéraire que fait aujourd’hui Virginie Linhart.


Passé le choc de la nouvelle, il faut s’organiser, prendre un avocat. Il y en aura deux : un pour son éditeur, Flammarion, et un qui la défendra personnellement. Bien entendu, nous connaissons l’issue du procès, puisque le livre a paru à la date prévue, mais ce qui rend le livre particulièrement intéressant, ce sont tous les enjeux qu’il soulève et dont Virginie Linhart rend parfaitement compte. Car, au-delà de ce qu’elle ressent à titre personnel, ce sont les principes sur lesquels se fondent notre société qui sont mis en balance : liberté d’expression et protection de la vie privée qui, dans le cas de la littérature et en particulier des écrits autobiographiques, peuvent entrer en conflit. Une ligne de crête extrêmement délicate…


Virginie Linhart le rappelle, écrire répond à une nécessité. Il s’agit de mettre enfin des mots sur ce qui a été subi, ce qui n’a pu être formulé ni partagé. Qu’adviendrait-il si l’on affirmait que cette nécessité-là est contraire au droit ? Combien de livres auraient été et seraient privés d’existence ? Que deviendrait la liberté de création ?


D’autant - et l’auteure le rappelle également - qu’il s’agit souvent de mêler un parcours individuel à la grande Histoire ou de le mettre en perspective avec l’état de la société, l'un éclairant les seconds. Nous en avons tous fait l’expérience un jour ou l’autre : la lecture d’une oeuvre qui vient nous frapper de plein fouet en révélant quelque chose d’enfoui en nous, le soulagement de se sentir compris, le sentiment de reconnaissance à l’égard de l’auteur qui a su parfaitement exprimer ce que l'on éprouvait confusément, su donner corps à notre angoisse, définir notre mal-être.  


L'exercice peut cependant se révéler à double tranchant, car on peut s’emparer de votre histoire pour l’interpréter à sa guise. Virginie Linhart a bien conscience de cet écueil. Combien se sont appuyés sur son témoignage ou celui d’autres jeunes femmes qu’elle cite dans son livre - Vanessa Springora ou Camille Kouchner, par exemple - pour faire le procès de 68 ! Or Virginie Linhart ne remet nullement en cause les victoires que les femmes ont obtenues dans le sillage de ce mouvement, et dont elle est au même titre que les autres femmes de sa génération, bénéficiaire. Mais il y a nécessité pour les enfants nés dans cette période d’interroger cette position si inconfortable et douloureuse d’avoir malgré eux, « de par [leur] existence même, limit[é] la soif de liberté et d’expérimentation » de leurs mères. Il est aujourd'hui bien commode pour les contempteurs de 68 et du féminisme de s’appuyer sur ces récits afin de jeter l’opprobre sur des choix ayant été faits pour saper les bases d’une société patriarcale dont ils sont nostalgiques.


Enfin, Virginie Linhart relève combien il peut apparaître douloureux pour un écrivain de voir son oeuvre évaluée à l’aune de critères juridiques la dépossédant de son essence littéraire : peu importe que le livre soit bon ou mauvais, novateur ou éculé, passionnant ou ennuyeux, il est jaugé comme n’importe quel objet dénué de nature artistique. Apprécier la qualité d'un texte reste heureusement l’entière prérogative du lecteur. Pour ma part, j’ai trouvé ce récit extrêmement intéressant, à la fois sensible et riche de réflexions tout à fait pertinentes. 



mardi 23 janvier 2024

Bleu Bacon

Yannick Haenel
Stock/Ma nuit au musée, 2024



Quelle singulière expérience ce doit être que de se trouver seul, dans l’obscurité et le silence de la nuit, dans l’enceinte d’un musée. J’essaye de me l’imaginer. J’ai eu la chance un jour d’être conviée à une soirée privée au musée d’Orsay. Tandis que le rez-de-chaussée où se tenait alors une exposition consacrée à Picasso ainsi que le restaurant où était disposé un buffet faisaient salle comble, je suis montée dans les étages pour admirer les impressionnistes. Nous n’étions qu’une poignée, la lumière était tamisée ; c’était déjà un tête-à-tête inouï avec des oeuvres que l’on ne peut généralement regarder que dans la promiscuité. Je crois que je n’oublierai jamais l’intensité de l’émotion que j’ai ressentie ce soir-là.


En 2019, Yannick Haenel s’est vu proposer de passer une nuit au centre Pompidou qui présentait alors une exposition intitulée "Bacon en toutes lettres". Se tenir dans l’immensité de l’espace de Beaubourg déserté, face aux tableaux de Bacon, sans le moindre bruit, sans que quoi que ce soit puisse distraire votre attention  : cette simple idée me fait frissonner. D’excitation autant que d’effroi. 


A peine Yannick Haenel a-t-il franchi le seuil de la première salle qu’il est pris d’un violent malaise. Les oeuvres de cet artiste qui lui est cher s’offrent à lui… et il ne voit rien. Rien d’autre que des reflets formant un inquiétant brouillard. Terrassé par une migraine ophtalmique, il est contraint de s’allonger sur le lit de camp qui a été installé à son intention et de fermer les yeux. Et si son malaise faisait partie de l’expérience ? Haenel le sait mieux que personne, l’art - peinture ou littérature - est ce qui rend visible l’invisible et vous entraîne dans de secrètes contrées intérieures propres à vous consumer lorsque vous les atteignez.


Quelques heures plus tard, après s’être égaré dans le labyrinthe de ses propres tourments, il rouvre les yeux : du bleu lui gicle au visage. Il a traversé le miroir. Il peut désormais accueillir les émotions, laisser la peinture faire son chemin en lui, agir sur son système nerveux, et découvrir ce que Bacon a à lui dire personnellement. C’est ce voyage intime, cette expérience existentielle, qu’il partage avec nous, et le texte qu’il en rapporte est d’une richesse, d’une intelligence et d’une beauté rares.


Il rend compte tout d’abord de la puissance de Bacon. On dit souvent de lui qu’il est le peintre de la violence. En nous plaçant face à la cruauté du monde, il est vrai qu’il bouscule et malmène celui qui regarde ses tableaux en provoquant pour le moins chez lui une forme d’inconfort. Pourtant, soutient Haenel, le peintre n’est pas du côté du mal - pas plus qu’il n’est contre lui : il ne fait que « s’emparer de la violence dont les humains sont l’objet pour lui donner une forme qui la dénude ». Lui-même prétendait faire une peinture « joyeuse, pas [une peinture] violente ».


Haenel nous dit également les pouvoirs de la peinture, semblables à ceux de la littérature. La peinture, comme le disait Proust à propos de la littérature, et comme le rappelle Haenel, est « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue ». Vous comme moi avons besoin des artistes pour voir, comprendre, et donc vivre : si plus aucun artiste ne peignait ni n’écrivait, alors le monde cesserait d’exister. 


Comme dans La solitude Caravage, Haenel célèbre un artiste dont le geste créatif et la vie tendaient à faire reculer les ténèbres. Tout deux en ont sans doute payé le tribut, mais leurs oeuvres nous éblouissent et nous éclairent tout à la fois. Haenel en fait la magistrale démonstration avec ce nouveau texte d’une saisissante beauté.





jeudi 18 janvier 2024

J’ai péché, péché dans le plaisir

Abnousse Shalmani
Grasset, 2024



Le titre du nouveau roman d’Abnousse Shalmani est emprunté à un poème de l’Iranienne Forough Farrokhzad. Née en 1935 à Téhéran, celle-ci mena une existence libre, jeune divorcée choisissant ses amants, voyageant, montant sur scène et célébrant l’amour dans ses poèmes. On comprend en quoi une telle personnalité, morte avant la révolution islamique - elle ne vécut que 32 ans - a pu retenir l’attention de cette défenseuse acharnée de la liberté qu’est Abnousse Shalmani.

 

Pour faire son portrait, l’auteure imagine un dispositif narratif mettant en perspective l’existence de Forough avec celle d’une autre femme qui, cinquante ans auparavant et cette fois en France, fut l’une des reines de la Belle Epoque. Egalement poétesse, romancière, Marie de Régnier multiplia les liaisons amoureuses avec les deux sexes, mais connut surtout une relation passionnée avec Pierre Louÿs, auquel elle inspira des poèmes ardents.

 

C’est un jeune homme, Cyrus, qui établit le lien entre elles : afin de capter l’attention de Forough – et de susciter chez elle, espère-t-il, un sentiment comparable à celui qu’éprouvait Marie pour Pierre -, il traduit en effet leurs œuvres respectives pour les lui rendre accessibles et lui raconte l’histoire de cette femme, qui ne manque pas de faire écho en elle.

 

Le roman alterne ainsi les deux récits, les deux portraits, pour dire une seule et même quête inconditionnelle de liberté. Si ce schéma se révèle un peu rigide à mon goût, on retrouve l’empreinte d’Abnousse Shalmani dans sa prose bouillonnant d’énergie, son langage direct ne souffrant ni euphémisme ni fausse pudeur et, bien sûr, son inextinguible obstination à dénoncer les mollahs. Car le livre se clôt sur la postérité de Forough à laquelle elle veut rendre la dimension sulfureuse qui lui a été confisquée : si ses vers, à l’instar de ceux des grands poètes persans, sont aujourd’hui récités y compris par les corbeaux qu’Abnousse Shalmani fustige, ils ont été dépouillés de leur feu pour n’en retenir qu’un esprit morbide. 

 

Les dernières pages du livre sont d’une force et d'une intensité sidérantes. Abnousse Shalmani y rappelle l’incommensurable violence des barbus qu’elle vilipendait déjà dans Khomeiny, Sade et moi, pour les rayer aussitôt de l’histoire de l’Iran à laquelle ils font injure : c’est de Cyrus le Grand, fondateur de la Perse en 500 avant Jésus-Christ, que se réclament les femmes et les hommes bravant l’interdit et le danger pour crier aujourd’hui leur soif de liberté. Autant de têtes découvertes, de corps sans entrave, auxquels Forough a ouvert la voie et qui ne manqueront pas, nous assure Abnousse, de triompher tôt ou tard de l’obscurantisme.








Dans un entretien de 2018, Abnousse Shalmani m'avait longuement parlé de son parcours et de ses textes.

 

lundi 15 janvier 2024

La vie intime

Niccolo Ammaniti
Grasset, 2024


Traduit de l’italien par Myriem Bouzaher




D’un roman à l’autre, depuis quelque vingt-cinq ans, Niccolo Ammaniti nous offre une belle diversité de récits. S’illustrant aussi bien dans la dystopie (Anna), la veine baroque (La fête du siècle) ou le roman social (Comme Dieu le veut), sans oublier le roman d’apprentissage avec l’inégalable Je n’ai pas peur, il a toujours démontré un intérêt particulier pour l’enfance et l’adolescence. C’est pourtant une quadragénaire qui occupe aujourd'hui le coeur de son nouveau roman.


Elle se prénomme Maria Cristina, est un ex top model qui s’est vu décerner le titre de plus belle femme du monde et qui est depuis une dizaine d’années l’épouse de l’actuel président du Conseil italien. Dans son penthouse romain, elle mène une vie des plus confortable : séances de sport prodiguées à domicile par son coach personnel, rendez-vous chez son coiffeur, commandes passées auprès de sa styliste attitrée… seules les soirées où elle doit accompagner son mari viennent rompre la frivole routine de son quotidien. Ce qui convient assez bien à cette femme somme toute discrète et effacée, qui ne redoute rien tant que d’apparaître en public. Mais ce qui a aussi laissé place à de nombreuses légendes et rumeurs sur le couple présidentiel…


A la faveur d’un incident - son coach ayant malencontreusement laissé tomber un poids de 5 kilos sur son frêle orteil - elle va voir s’enrayer la machine jusqu’alors parfaitement huilée de son existence. Elle va ainsi notamment découvrir le vrai visage de ceux qui l’entourent, voir réapparaître un ex au fait d’un certain nombre d'éléments n’ayant (vraiment) pas vocation à être rendus publics et devoir donner une interview télévisée.


Si le sujet peut sembler anecdotique, il est néanmoins l’occasion pour l’auteur de dépeindre l’ampleur désormais prise par les enjeux d’image et de communication, mais aussi de pointer l’abdication de toute forme de pensée critique que ceux-ci engendrent. C’est l’absurdité de notre univers qu’il met en scène avec, il faut le dire, un humour délectable - même si celui-ci se révèle moins mordant que celui dont il avait fait montre dans La fête du siècle. Mais c’est peut-être aussi ce qui fait de ce roman une satire plus efficace. Serait-ce l’âge qui rendrait notre écrivain plus sage ? Ammaniti semble en tout cas éprouver une véritable tendresse à l’égard de son héroïne qui en d’autres temps aurait peut-être été plus égratignée qu’elle ne l’est ici.







vendredi 12 janvier 2024

Ce que je sais de toi

Eric Chacour
Philippe Rey, 2023



Ce roman aura été l’une des stars de notre calendrier de l’Avent 2023. Apparaissant jour après jour (mis à part le 14 décembre, si vous vous souvenez quel en avait été le thème !), il a été tour à tour livre le plus émouvant, le plus impressionnant, à l’écriture éblouissante ou encore celui qu’on aimerait voir tout le monde lire. Comment résister à un tel assaut de louanges ? Il a inévitablement fini par s’inviter dans ma PAL. Et voilà comment, alors que 2023 tirait sa révérence, je me suis retrouvée au Caire, dans les années 1980, aux côtés de Tarek…


Ce jeune homme brillant a assez naturellement marché sur les pas de son père prématurément disparu en devenant comme lui médecin. C’est toute son existence, depuis son enfance jusqu’à son mariage puis son départ pour le Canada que déroule l’auteur. Si le chemin semble tracé d’avance pour ce garçon paisible et docile, une rencontre va pourtant le conduire à effectuer une sortie de route. Le voici désormais pris dans un conflit de loyauté le contraignant à choisir entre sa famille et les sentiments qu’il voit naître en lui. 


Evidemment, quand on vous martèle qu’un livre est extraordinaire, l’attente est très élevée… tout comme le risque de ne pas la voir comblée ! Certes le roman d’Eric Chacour aborde les questions du choix et de la transgression avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse. Mais je serais tentée de dire, presque trop : si le silence de la famille est à mes yeux parfaitement crédible - d’autant qu’il se double d’une bien cruelle décision -, le contexte social et culturel m’a semblé quant à lui un peu édulcoré.


Tout comme certains événements m’ont paru faire l’objet d’un traitement trop rapide, notamment au début du roman : ainsi de la disparition de la fiancée quatorze année durant qui réapparaît aussi inopinément qu’elle s’était éclipsée. Pourquoi ? Comment ? Nous ne le saurons pas et cela ne contribue en rien à l’économie du récit. 

J’ai par ailleurs été un peu gênée par le choix du mode narratif à la deuxième personne du singulier (mais il est vrai que je n'en suis jamais très fan) - qui trouve toutefois sa justification dans la dernière partie du roman.


Mais c’est surtout la personnalité du héros qui n’a pas permis d’emporter ma conviction : velléitaire, Tarek subit constamment les événements sans jamais chercher à prendre l’ascendant sur eux. Pire, il semble ignorer toute forme de sentiment et se contenter de donner son assentiment à ceux qu’il inspire lui-même, sans connaître la moindre flamme. Dès lors, je n’ai à aucun moment eu la moindre empathie pour le personnage.


Néanmoins, il faut mettre au crédit de l'auteur une construction tout à fait habile. Mais il m’aura fallu attendre la dernière partie du récit, lorsqu’on découvre l’identité du narrateur, pour trouver un peu de piquant à ce récit à mes yeux un peu trop lisse. 



lundi 8 janvier 2024

L’usure d’un monde

François-Henri Désérable

Gallimard, 2023




Tout lecteur connaît au moins un auteur dont la lecture lui a fait l’effet d’une déflagration. Pour François-Henri Désérable, il s’agit de Nicolas Bouvier : partir sur les routes et y trouver matière à écrire, telle est l’ambition que celui-ci lui a insufflée. Mais n’est pas Bouvier qui veut, et la vie a vite fait de vous rattraper, avec sa morne sédentarité. Il aura fallu la rencontre avec le fils de son mentor pour que se produise le déclic. C’était le 16 mai 2019, et Désérable s’était juré qu’un an plus tard il traverserait l’Iran sur les traces de l’écrivain.


Le sort allait cependant en décider autrement. Le covid et ses frontières restées longtemps fermées, puis la nécessité d’assurer la promotion de son dernier roman le contraignent à reporter son projet. Ce serait donc pour fin 2022. La suite, vous la connaissez : le 16 septembre de cette année-là mourait la jeune Mahsa Amini après avoir été arrêtée pour port du voile inapproprié, mettant le feu au pays.


Mais pour Désérable, la machine est lancée. La demande de visa est en cours et le billet d’avion en poche. En dépit des exhortations à ne pas partir que lui adresse le ministère des Affaires étrangères, il s’envole pour l’Iran, et nous voici avec ce livre étonnamment pétillant entre les mains.


On aurait pu en effet s’attendre à un récit grave, pétri de douleur et de colère : il n’en est rien. Les premières pages nous mettraient même sur la voie du burlesque ! Mais il ne s’agit que du ton qu’il se réserve à lui-même, rendant le récit des conditions de son départ et de ses tout premiers pas à Téhéran assez irrésistible. Celui-ci évolue rapidement au gré de ses rencontres et de ses déplacements pour prendre une inflexion plus sensible. C’est précisément là que réside l’intérêt de ce texte, dans le regard que pose l’auteur sur le monde qui l’entoure, un regard dénué de tout préjugé. Désérable se veut un observateur candide et bienveillant : vous ne trouverez aucune vérité assénée. Pas plus que de cri de révolte. 


S’il est témoin d’actes de rébellion à l’égard du régime, ceux-ci ne sont pas omniprésents ; s’il perçoit une méfiance à l’égard des étrangers, il parvient cependant souvent à instaurer un dialogue et à découvrir ainsi les subtilités d’une culture si différente de la sienne ; si la peur l’assaille en plus d’une occasion, il connaît également de véritables moments de grâce. En quelque 40 jours, Désérable aura pu s’immerger dans le pays pour en proposer une photographie qui ne manque pas de nous interpeller. Quel écart en effet entre ce qu’il rapporte et ce que nous avons pu voir dans les médias… A le lire, la presse internationale - pas toujours sur le terrain pour constater ce qu’il s'y passe - produirait un effet loupe, se focalisant sur des événements qui n’ont peut-être pas l’ampleur que l’on se représente depuis l’extérieur. Dès lors, la république islamique ne serait pas réellement en danger. Tout juste vacillerait-elle légèrement, réprimant alors avec une violence accrue toute forme d’opposition en prenant bien soin de tenir les journalistes étrangers à l’écart en leur interdisant l’accès au territoire iranien.


Un discours bien différent de celui que tient notamment une écrivaine française d’origine iranienne, je veux parler d’Abnousse Shalmani, pour qui les mollahs désormais en sursis, en voie de putréfaction, seraient en train de vivre leurs derniers instants, comme on peut le découvrir dans cette interview où elle proclame la victoire des femmes iraniennes :



Je n’ai pas les moyens de savoir lequel des deux est le plus clairvoyant et le plus près de la vérité. J’espère de tout coeur que ce n’est pas Déréable. Il aura alors écrit un récit tout à fait plaisant, mais un peu trop léger…

 





jeudi 4 janvier 2024

Jusqu'à ce que mort s'ensuive

Olivier Rolin

Gallimard, 2024



Les écrivains s’inspirent parfois de leurs glorieux aînés. Lorsqu’ils prennent la plume à leur tour, ils en sont nourris, pétris. Il n’est qu’à choisir n’importe lequel des livres d’Olivier Rolin pour s’en convaincre, dont les textes sont habités de références et d’images littéraires. Cette fois, il s’agit plus que d’une réminiscence. C’est la lecture - ou la relecture - de pages parmi les plus prestigieuses de notre patrimoine qui a présidé à l’écriture de son nouveau roman. Chapitre premier du livre I de la cinquième partie des Misérables : nous sommes en juin 1848, Paris s’embrase une nouvelle fois et Hugo évoque deux figures de ce mouvement insurrectionnel, Emmanuel Barthélémy et Frédéric Cournet, respectivement aux avant-postes des deux principales barricades qui ont été érigées. Le passage est bref, mais Hugo précise que le premier tuera le second en duel, à Londres, lorsqu’ils s'y retrouveront tous deux proscrits. 


Olivier Rolin a eu envie de connaître l’histoire qui se cache derrière ces quelques lignes. Car, contrairement à Valjean ou à Cosette, ces personnages ne sont pas nés de la fertile imagination de notre grand écrivain national. Ils ont bel et bien existé et recelaient de toute évidence une matière romanesque qui restait à mettre au jour. Ce que Rolin a réalisé avec maestria (évidemment), et surtout sa manière inimitable.


Ne cherchez pas, donc, de récit linéaire. Rolin déambule entre les lieux - Paris et Londres -, les époques - la décennie 1830, juin 1848, les années 1850 et nos jours -, les événements historiques - les différents épisodes révolutionnaires du XIXe siècle, le coup d’Etat du 2 décembre 1851, mais aussi Mai 68 -, et, bien sûr, les réminiscences littéraires - sans même parler de Hugo, omniprésent, Balzac, Sue, Dickens et même Vallès !  


Si vous connaissez Rolin - comment imaginer le contraire ! - vous savez qu’il procède par échos. Il emprunte parfois des chemins de traverse, mais ne se perd jamais et revient toujours à son affaire. Il se remémore des anecdotes personnelles, qui viennent donner chair à ce qu’il décrit. Il est un passeur entre passé et présent, entre une réalité qui peut apparaître triviale, voire sordide ou cruelle, ou simplement banale, et la manière dont celle-ci a pu être sublimée par un écrivain qui y apposé ses propres mots. C’est précisément sa perception personnelle et sensible qui donne cohérence à son récit, tout comme son humour teinté d’autodérision l'empêche de sombrer dans la pédanterie, tandis que la richesse de la langue qu’il déploie lui apporte beauté et poésie.  


Ce texte est pour moi un cadeau : que l’auteur contemporain que j’admire le plus ait pu écrire sur le siècle qui m’a longtemps passionnée, dans sa dimension tant littéraire qu'historique, je n’aurais osé en rêver. Pour cela il a pour moi une saveur et une dimension particulières et vient directement se hisser aux côtés de L’Invention du monde (est-il besoin que je vous rappelle que ce roman est un chef-d’oeuvre ?). Trente ans après, Olivier Rolin reste au sommet de son art.



 





lundi 1 janvier 2024

Le blé en herbe

Colette
Publié en 1923



C’est avec ce titre que j’ai choisi de faire connaissance avec Colette. Pourquoi celui-là, je ne saurais le dire. Je l’avais pioché chez mon libraire voici plusieurs mois déjà et ressorti de ma bibliothèque en fin d’année. Sans doute la thématique de l’entrée dans l’adolescence et de la découverte des premiers émois m’avait-elle guidée.


Peut-être parce qu’on reste dans un milieu très privilégié - celui d’une bourgeoisie passant tous ses étés dans une belle demeure bretonne et dont l’avenir est tout tracé -, mais surtout parce que j’ai trouvé le style assez emprunté, je n’ai à ma grande surprise pas été touchée par ce texte. Il restitue pourtant assez bien, je pense, les atermoiements masculins (je sens que je vais me faire des amis), mais - ou plutôt en conséquence de quoi - le personnage de Phil m’a copieusement hérissé le poil - avec son côté candide outrageusement appuyé… En fait, j’ai davantage eu l’impression de me trouver dans un vaudeville à la sauce adolescent que dans le récit tout en délicatesse que j’attendais. 


Néanmoins, je ne compte pas en rester là avec Colette, dont la vie et la personnalité me sont en revanche fort sympathiques. J’essaierais bien un Claudine. Sauf à ce que vous ayez d’autres conseils à me donner ?