Entretiens

jeudi 18 janvier 2024

J’ai péché, péché dans le plaisir

Abnousse Shalmani
Grasset, 2024



Le titre du nouveau roman d’Abnousse Shalmani est emprunté à un poème de l’Iranienne Forough Farrokhzad. Née en 1935 à Téhéran, celle-ci mena une existence libre, jeune divorcée choisissant ses amants, voyageant, montant sur scène et célébrant l’amour dans ses poèmes. On comprend en quoi une telle personnalité, morte avant la révolution islamique - elle ne vécut que 32 ans - a pu retenir l’attention de cette défenseuse acharnée de la liberté qu’est Abnousse Shalmani.

 

Pour faire son portrait, l’auteure imagine un dispositif narratif mettant en perspective l’existence de Forough avec celle d’une autre femme qui, cinquante ans auparavant et cette fois en France, fut l’une des reines de la Belle Epoque. Egalement poétesse, romancière, Marie de Régnier multiplia les liaisons amoureuses avec les deux sexes, mais connut surtout une relation passionnée avec Pierre Louÿs, auquel elle inspira des poèmes ardents.

 

C’est un jeune homme, Cyrus, qui établit le lien entre elles : afin de capter l’attention de Forough – et de susciter chez elle, espère-t-il, un sentiment comparable à celui qu’éprouvait Marie pour Pierre -, il traduit en effet leurs œuvres respectives pour les lui rendre accessibles et lui raconte l’histoire de cette femme, qui ne manque pas de faire écho en elle.

 

Le roman alterne ainsi les deux récits, les deux portraits, pour dire une seule et même quête inconditionnelle de liberté. Si ce schéma se révèle un peu rigide à mon goût, on retrouve l’empreinte d’Abnousse Shalmani dans sa prose bouillonnant d’énergie, son langage direct ne souffrant ni euphémisme ni fausse pudeur et, bien sûr, son inextinguible obstination à dénoncer les mollahs. Car le livre se clôt sur la postérité de Forough à laquelle elle veut rendre la dimension sulfureuse qui lui a été confisquée : si ses vers, à l’instar de ceux des grands poètes persans, sont aujourd’hui récités y compris par les corbeaux qu’Abnousse Shalmani fustige, ils ont été dépouillés de leur feu pour n’en retenir qu’un esprit morbide. 

 

Les dernières pages du livre sont d’une force et d'une intensité sidérantes. Abnousse Shalmani y rappelle l’incommensurable violence des barbus qu’elle vilipendait déjà dans Khomeiny, Sade et moi, pour les rayer aussitôt de l’histoire de l’Iran à laquelle ils font injure : c’est de Cyrus le Grand, fondateur de la Perse en 500 avant Jésus-Christ, que se réclament les femmes et les hommes bravant l’interdit et le danger pour crier aujourd’hui leur soif de liberté. Autant de têtes découvertes, de corps sans entrave, auxquels Forough a ouvert la voie et qui ne manqueront pas, nous assure Abnousse, de triompher tôt ou tard de l’obscurantisme.








Dans un entretien de 2018, Abnousse Shalmani m'avait longuement parlé de son parcours et de ses textes.

 

8 commentaires:

  1. J'avais adoré Les exilés meurent aussi d'amour. Merci pour ton avis.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Celui-ci est très différent, mais tout aussi intéressant.

      Supprimer
  2. tu me donnes très envie de lire cette autrice que je ne connais pas (encore) ! Merci !

    RépondreSupprimer
  3. Décidément tu es gâtée en ce début d'année, joli tir groupé de tes auteurs favoris (j'imagine que tu as aussi le Violaine Huismans ;-) )

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On ne peut rien te cacher ;-)
      C'est vrai que cette rentrée me ravit au plus haut point !

      Supprimer
  4. Vivement que je la lise !
    Quel plaisir de l'écouter.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Urgentissime ;-) Tu verras, c'est aussi un grand plaisir de la lire.

      Supprimer