Mailys Besserie
Gallimard, 2023
Regarder une toile de Francis Bacon, c’est faire face à une indicible violence, c’est être saisi par un abîme terrifiant. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fascinée par les tableaux de cet artiste d’une puissance incroyable. Mais je ne connaissais rien de sa vie. Le remarquable roman de Maylis Besserie permet de cerner l’origine de cette oeuvre singulière.
Pour évoquer la figure de cet artiste hors normes, l’auteure convoque la figure de Jessie Lightfoot. Jessie, c’est la Nanny de Francis. Pas une simple gouvernante : une personne qui tint une place centrale dans l’existence du peintre, peut-être la plus importante.
Lorsqu’elle fit le chemin jusqu’en Irlande pour répondre à l’annonce d’emploi publiée par le couple Bacon, Francis était encore un bébé, et le pays vivait au rythme du violent conflit qui déchirait la population. Elle prit aussitôt l'enfant en affection et lui prodigua ses soins les plus tendres. Ces marques d’attention furent d’autant plus essentielles que sa mère manifestait à son égard un profond détachement. Encore celui-ci était-il bienveillant comparé à la brutalité que le maître de maison réservait à son fils sévèrement asthmatique et de ce fait incapable de l’accompagner dans ses activités équestres. Une brutalité qui s'accentua encore lorsqu’il perçut chez Francis des comportements efféminés. Le père n’eut alors plus qu’une obsession : corriger et redresser son indigne descendant à coups de fouet, assénés par la domesticité pour ajouter l’humiliation à la violence. Jessie quant à elle ne pouvait qu’attendre la fin de ces sévices pour offrir ensuite au jeune garçon soins et réconfort.
Ainsi Francis a-t-il été élevé dans une relation de cruauté et d’avilissement qu’il reproduira avec ses amants et qui s’exprime dans ses toiles. Jessie, qui trouva en Francis l’enfant qu’elle n’avait jamais eu, l'accompagnera jusqu’à la fin de sa vie, veillant constamment sur lui quand Francis imposait toujours sa présence à ses côtés aux amants et amies dont il s’entourait.
L’auteure a trouvé en Jessie la voix parfaite pour dépeindre la noirceur et la cruauté qui présidèrent à l’existence du peintre. Sans la douceur et la délicatesse qu'elle lui prête et dont Jessie semble ne s’être jamais départie, sans doute ce récit serait-il insoutenable. En outre, le ton très direct qu'elle met dans sa bouche, proche de celui de la conversation, lui permet à d’installer un lien de complicité entre le lecteur et la nanny, faisant écho à celle qui existait entre cette dernière et son cher Francis. On entre ainsi dans leur singulière intimité sans ressentir le malaise qui aurait pu en découler.
Ce portrait pourrait toutefois apparaitre stérile si l'auteure n'alternait les épisodes biographiques avec de courtes descriptions de tableaux, auxquels elle apporte ainsi un éclairage et une lecture tout à fait intéressants. Clairement délimités par les chapitres au début du roman, les deux éléments de ce récit ont tendance, dans la dernière partie, à se fondre comme pour révéler la manière dont l'expérience de l'artiste a pu nourrir sa peinture et à quel point celle-ci était constitutive de son existence et de son rapport au monde.
Ce récit ravira sans aucun doute les amateurs du peintre, et permettra peut-être à ceux qui le connaissent mal ou que ses œuvres dérangent de mieux l’appréhender. En ce qui me concerne, il m’a donné sacrément envie de les revoir !
je connais très mal ce peintre, cela pourrait m'intéresser!
RépondreSupprimerC'est l'occasion rêvée de le le découvrir, en effet.
SupprimerJe me souviens très bien de la présentation de ce livre chez Gallimard, très alléchante. Je ne suis pas certaine de le lire compte de mon faible intérêt pour Bacon mais dans le cas inverse ce doit être en effet passionnant et instructif.
RépondreSupprimerJ'espère avoir l'occasion d'écouter l'auteure lors d'une rencontre en librairie . Je serais très étonnée qu'elle n'en fasse pas...
SupprimerJe ne sais pas grand chose de la vie de ce peintre, mais je ne suis pas sûre d'avoir envie d'en savoir davantage ..
RépondreSupprimerDommage ;-)
SupprimerEst-ce que savoir tout sur sa vie éclaire son oeuvre ?
RépondreSupprimerEn l'occurrence, oui, c'est très éclairant. On saisit mieux la violence de cette oeuvre.
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