Entretiens

mercredi 23 août 2023

La situation

Karim Miské
Les Avrils, 2023




Paris 2030. Depuis le 6 février, deux camps s’affrontent, séparant la capitale en deux zones antagonistes. D’un côté, une ligue d’extrême-droite ; de l’autre, une coalition de gauche mêlant diverses tendances. La capitale et sa banlieue sont à feu et à sang, incitant Kamel Kassim, un quincagénaire quelque peu désabusé, à rester replié chez lui. Le jour où, sous la pression d’une vieille amie, il accepte pourtant de l’accompagner prendre un verre, il se trouve pris dans une violente attaque dont sa compagne ne ressortira pas vivante.


Terrassé par un sentiment de culpabilité, il plonge dans le chaos et se trouve confronté à une situation bien paradoxale : mis en présence d’un trio de prisonniers ligueurs que leurs geôliers wokistes ont amplement torturés pour avoir perpétré un horrible massacre, Kamel se met par réflexe à réciter un verset coranique, que l’un des jeunes hommes, semi-inconscient, reprend avec lui… au grand dam de ses compagnons qui le prennent alors pour un traitre. Quant à Kamel, il passe pour un espion venu porter un message à l’ennemi. Le voici donc en fuite, non sans avoir organisé, à l’aide de quelques soutiens, l’exfiltration du jeune homme dont il est persuadé de l’innocence. Le roman raconte à la fois la cabale de ces personnages pour gagner la zone neutre du pays, celle où s’est replié le gouvernement - et la propre fille de Kamel - et l’enquête pour résoudre l’énigme de l’identité de ce jeune ligueur.


On se laisse aisément entraîner dans cette dystopie dont le rythme ne faiblit jamais et dont l'intrigue est plutôt bien ficelée. En revanche, j'avoue être restée sceptique quant au message délivré par l'auteur, qui se poserait volontiers en visionnaire. C'est du moins ainsi qu'il présente dans son texte les écrivains ayant eu raison trop tôt et que l'on n'avait en leur temps pas voulu prendre au sérieux. Même si le tableau qu'il fait du pouvoir présente de furieuses analogies avec celui que nous connaissons actuellement et si les positions et les oppositions sont en effet de plus en plus radicales et violentes, je ne suis pas certaine que brandir la menace d'une guerre civile soit propre à générer une réflexion apaisée...


L'anticipation - genre qui ne m'est certes pas familier - invite sans doute à grossir le trait pour mettre en lumière les dérives d'une époque afin de mettre en garde contre les dangers plus ou moins imminents qu'elle porte en germe. De ce point de vue, on peut dire que le roman de Karim Miské est réussi. Mais sans doute ne correspond-il pas tout à fait à ma sensibilité et à mon attachement à un peu plus de nuance...



Merci aux éditions Les Avrils et à Babelio pour ce roman reçu dans le cadre d'une opération Masse critique privilégiée.



5 commentaires:

  1. Je suis tentée par cette lecture, j'aime le genre. J'attendrai qu'il arrive à la bibliothèque.

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  2. Je n'ai pas eu l'impression que l'auteur se posait en visionnaire, d'ailleurs je cite ses propos à la fin de mon billet et ils ne vont pas dans ce sens... Mais, bon, ce roman trouvera ses lecteurs, sans doute, et il est bien bien construit, comme tu le soulignes.

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    1. Oui, j'ai lu cette déclaration, mais cela n'empêche pas les contradictions internes ;-) Dans le roman, c'est vraiment visionnaires qu'il présente les écrivains, et je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a un peu de ça ici...

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  3. L'anticipation et la dystopie sont très présents en cette rentrée, Libé en a fait un grand papier le week-end dernier incluant notamment ce titre. Moi je suis plutôt cliente du genre même si celui-ci ne me tente pas trop, et c'est assez fascinant la façon dont l'écrivain se saisit d'une tendance pour en faire une hypothèse qu'il tire à l'extrême. Il y a forcément un côté visionnaire mais jamais à 100%.

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