Entretiens

mercredi 16 août 2023

Perspective(s)

Laurent Binet
Grasset, 2023



Je n’en fais pas mystère, Laurent Binet est selon moi l’un des auteurs les plus intéressants de sa génération. Son érudition, son intelligence et son audace n’ont d’égal que sa joyeuse irrévérence, et ce nouvel opus vient à nouveau le confirmer.


Il nous entraîne cette fois à Florence, au milieu du XVIe siècle. Le peintre Pontormo vient d’être retrouvé mort au pied de la fresque qu’il était en train de réaliser dans la chapelle San Lorenzo pour le compte du duc de Médicis, un ciseau fiché dans le coeur et une marque de coup porté à la tête. Difficile de croire à la thèse officielle du suicide… D’autant qu’un repeint trop apparent pour être de la main de Pontormo laisse penser que quelqu’un s’est introduit dans la chapelle et a retouché l’oeuvre du maître. Le mystère s’épaissit encore lorsqu’on retrouve chez ce dernier une licencieuse représentation de Vénus et Cupidon sur laquelle la déesse, entièrement nue, emprunte en effet ses traits à ceux de Maria de Médicis, la fille du duc. Pourquoi donc risquer de provoquer l’ire de son protecteur ?


Afin de tirer cette affaire au clair, Cosimo de Médicis charge Giorgio Vasari, le célèbre historiographe des peintres, celui que l'on considère comme le père de l'histoire de l'art, de mener l’enquête. Lequel se tourne aussitôt vers Michel-Ange, déjà vieillissant et désormais installé à Rome, pour recueillir ses conseils. Est-ce la nature de ce que Pontormo a représenté, et qu’il gardait jalousement caché, qui aurait motivé ce geste ? Ou bien serait-ce la piètre qualité de la fresque, selon les dires de Vasari, qui en serait à l’origine ? Quoi qu’il en soit, le coupable est doté d’un indéniable talent pictural… qui pourrait désormais retenir l’attention du duc.  


Sur la base de cette situation improbable, Laurent Binet signe un roman iconoclaste brossant un piquant tableau de la Florence du cinquecento. Non content d’emprunter au genre policier, il déroule son intrigue sous la forme d’un roman épistolaire. Au-delà de l’exercice de style - parfaitement maîtrisé -, ce métissage lui permet de révéler les alliances passées entre les protagonistes, les tractations plus ou moins secrètes, les stratégies à l’oeuvre, la duplicité des uns ou l’ingénuité des autres… dans la droite ligne du plus grand roman épistolaire qui soit. Certains des personnages qu'il met en scène apparaissent en effet comme de troublants avatars des héros des Liaisons dangereuses. 


Ajoutez à cela une restitution extrêmement documentée des enjeux sociaux-politiques, moraux et religieux de l'époque, et vous obtenez un texte aux entrées foisonnantes, dont certaines ne sont pas sans faire écho aux questions qui agitent aujourd'hui notre société. 


Encore une fois, Laurent Binet nous régale de son inventivité en nous offrant un roman riche et débridé, à l'architecture époustouflante. Il ne présente à mes yeux qu'un seul défaut : celui de se dévorer bien trop rapidement ! 







Laurent Binet était mon invité au Divan
le dimanche 24 septembre






17 commentaires:

  1. Je compte bien m'intéresser à ce nouvel opus (en dépit d'un flop avec Civilizations)

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    1. Civilizations m'avait un peu moins enthousiasmée que les trois autres, bien qu'étant extrêmement intéressant dans la perspective qu'il apportait (déjà ;-) )

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  2. Je n'ai jamais lu cet auteur, je me demande bien lequel de ses romans me conviendrait le mieux...

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    1. Difficile à dire, tant l'auteur se renouvelle à chacun de ses livres... Il faut tous les lire !

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    2. Si je peux me mêler de la conversation : "HHhH" me semble idéal pour faire connaissance :-)

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  3. cela confirme mon envie de le lire !

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  4. Il a absolument tous les ingrédients pour me plaire donc sur la liste des courses of course. C'est vrai que Civilizations ne m'avait pas convaincue même si je l'ai lu avec intérêt, seul léger couac parce que tous les autres... un pur régal.

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  5. Je ne l'ai pas lu non plus. Je sens que je manque quelque chose.

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    1. Mais oui ! Je suis certaine que tu trouveras dès à présent les précédents à ta bibliothèque ;-)

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  6. Contrairement à toi, je ne suis pas une grande fan, Civilizations m'était tombé des mains, j'ai un peu plus aimé La septième fonction du langage mais je trouve l'auteur pédant.

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    1. Pédant ? Erudit, oui, il ne prend pas ses lecteurs pour des imbéciles ; mais pédant, je ne dirais pas ça. Je le trouve au contraire plein d'humour et de fantaisie...

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  7. rien que pour Florence, je l'aurais noté, il sera dans mes prochaines lectures!

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  8. J'ai lu les deux premiers de l'auteur (Civilizations ne me tentait pas). Mais celui-ci est dans ma liste de lecture pour cette rentrée.

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    1. Il devrait te plaire autant que les deux que tu as lus ;-)

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