Brit Bennett
Autrement, 2020
Traduit de l’américain par Karine Lalechère
Ce n’est pas vraiment un scoop, en Amérique il ne fait pas bon être noir. Mais lorsque les métissages ont fini par rendre votre peau particulièrement claire, la position est peut-être plus inconfortable encore : ni vraiment d’une communauté ni de l’autre, vous n’êtes accepté nulle part.
Stella et Desiree sont des jumelles nées à Mallard, un bled paumé du sud des Etats-Unis créé de toutes pièces dans les années 1850 par un affranchi qui rêvait d’un lieu où, par unions successives de mulâtres, chaque génération se rapprocherait ainsi de « la perfection ». Un siècle plus tard, Stella et Desiree ont la peau extrêmement pâle. Elles n’en sont pas moins noires et désespèrent, devenues adolescentes, de n’avoir pour tout horizon qu’une place de domestiques, comme leur mère qui les élève seule depuis que son mari a été lynché sous les yeux des fillettes alors âgées d’une dizaine d’années.
Une seule issue : fuir. Laisser Mallard derrière elles et gagner La Nouvelle Orléans, puis se rendre peut-être plus loin encore...
Quinze ans plus tard, pourquoi Desiree rentre-t-elle au bercail, aussi inopinément qu’elle l’avait déserté ? Quelle est cette enfant à la peau sombre qui l’accompagne ? Quant à Stella, pourquoi n'est-elle pas à ses côtés ? Qu’est-elle devenue ? Desiree elle-même l’ignore depuis que sa soeur a disparu quelques mois seulement après leur fuite.
Brit Bennett déroule simultanément le fil de l’histoire de chacune des deux soeurs, l’une ayant assumé son ascendance noire, quand l’autre a choisi de la taire pour entrer dans la peau d’une Blanche et se frayer un chemin dans la bonne société américaine.
Le mensonge peut-il être la clé du bonheur ? Ou bien n’est-il qu’un piège qui vous étouffe peu à peu. Vaut-il mieux au contraire demeurer dans sa condition, quitte à souffrir des conséquences qu’elle entraîne ?
Brit Bennett ne prétend pas apporter de réponse, mais explore ces deux voies dans une trame romanesque jouant constamment sur le parallélisme des deux héroïnes qui, à partir d’une situation initiale rigoureusement identique, vont emprunter des chemins divergents. C’est sans jugement de valeur, avec lucidité et empathie qu’elle observe ses personnages et aborde la question de la ségrégation, nouant les fils d’une l’intrigue qui retient habilement le lecteur dans ses rets.
Les jumelles finiront-elles par se retrouver ? Pourront-elles vivre une existence apaisée ? Leur fille respective parviendront-elles à se faire à leur tour une place au sein de cette société fracturée et peu encline à accepter les différences, de quelque nature soient-elles ?
Avec ces délicats portraits de femmes, Brit Bennett transcende la seule question raciale pour sonder celle, plus large, des possibilités d’épanouissement des individus au sein d’une société oppressive, et signe ainsi un captivant roman outrepassant largement le cadre historique et social dans lequel il s’inscrit.