Entretiens

lundi 8 février 2021

Indice des feux

Antoine Desjardins
La Peuplade, 2021



Ecrire des nouvelles n’est pas un exercice facile : il faut en effet beaucoup de talent pour révéler l’ampleur d’un sujet et donner de la force à son propos à travers des textes courts. Incontestablement, Antoine Desjardins est doté de ce talent.


Il n’a pourtant pas choisi un thème de faible envergure, puisqu’il s’agit rien moins que de révéler quelques-uns des différents indices témoignant du naufrage vers lequel nous conduisons notre planète :  extinction des espèces, destruction des habitats naturels, montée des eaux, incendies infernaux, catastrophes climatiques… autant d’événements que l’auteur met successivement en scène pour nous contraindre à y voir plus que des accidents indépendants les uns des autres, mais bien un ensemble de symptômes d’une déroute annoncée. La nouvelle devient dès lors une forme parfaitement cohérente avec le propos.


Pour nous harponner, Antoine Desjardins ouvre son recueil avec un motif propre à glacer son lecteur : l’agonie d’un adolescent atteint d’un cancer. Si l’on ignore à quoi cet enfant doit l’empoisonnement de son sang, un sentiment de révolte nous assaille immanquablement devant cette circonstance contre-nature. On est violenté par le contraste entre la vitalité que le jeune garçon possède naturellement au début du récit et l’épuisement progressif mais rapide de son corps. Et bousculé aussi par une langue pleine de sève, une langue au rythme rapide, au plus près d’une réalité qu’elle s’efforce de saisir pour nous la jeter en pleine face et nous forcer à réaliser que ce déclin va de paire avec celui que connaît le monde frappé par toutes sortes de maux dont les échos se font entendre à travers les journaux radiodiffusés. Deux délitements qui se conjuguent et se confondent pour conduire l’enfant vers un bien amer constat : mieux vaut-il sans doute mourir tout de suite que d’être condamné à vivre dans un environnement voué à une disparition prochaine…


A l’autre bout du recueil, c’est encore un individu que l’on accompagne jusqu'à la mort. Mais il s’agit cette fois d’un vieil homme, longtemps resté robuste et vigoureux. Mourir, il y est prêt, somme toute. Le rythme des phrases est apaisé, la douceur des mots traduit la plénitude d’une vie arrivant à son terme, mais aussi l’amour et la complicité unissant cet homme à son petit-fils, qui est le narrateur de la nouvelle. 

Mais une chose tourmente néanmoins celui qui se voit affectueusement appelé Grand : que va-t-il advenir de son arbre ? De cet orme qui est dans son jardin, qu’il n’a cessé de choyer pour qu’il ne soit jamais atteint par le parasite qui décime tous ceux de son espèce ? C’est à l’ombre de ses frondaisons qu’il en a conté l’histoire à son petit-fils, qui ne se lassait jamais de l’entendre : comment il sortit du sol en étirant ses branches vers le ciel pour tenter d’y trouver la compagnie de ses congénères, alors que le bonheur lui vint finalement de la terre où les enfants, génération après génération, venaient jouer autour de son tronc. Leurs rires, les baisers échangés par les amoureux contre son écorce, les vieux qui venaient se reposer à l’ombre de son feuillage… C’est là qu’il a puisé sa sève au fil des siècles, dans cette chaîne de vie et de transmission. Une chaîne dont le vieux sent bien aujourd’hui qu’elle est sur le point de se rompre. Et nous, lecteurs, le savons mieux encore, à la lumière de ce que nous venons de lire…


Entre ces deux nouvelles d’une force inouïe, différents textes renferment la vie et la sottise des hommes peu enclins à ouvrir les yeux sur l’inanité de leurs agissements. Des textes d’une puissance sans doute inégale - mais n’est-ce pas la loi du genre ? - qui offrent néanmoins un saisissant tableau de l’état de la Terre. Combien en faudra-t-il encore pour nous rendre à l’évidence et décider enfin, collectivement, de changer de cap ?




Un livre sélectionné par Les 68 Premières fois


Premiers romans :

  • Avant elle, Johanna Krawczik (Héloïse d’Ormesson)
  • Avant le jour, Madeline Roth (La Fosse aux ours) 
  • Bénie soit Sixtine, Maylis Adhémar (Julliard)
  • Ce qu’il faut de nuit, Laurent Petitmangin (La Manufacture de livres)
  • Danse avec la foudre, Jeremy Bracone (L’Iconoclaste)
  • Grand Platinum, Anthony Van den Bossche (Le Seuil)
  • Il est juste que les forts soient frappés, Thibault Bérard (L’Observatoire) 
  • Indice des feux, Antoine Desjardins  (La Peuplade)
  • L’enfant céleste, Maud Simonnot (L’Observatoire) 
  • Le doorman, Madeleine Assas (Actes Sud)
  • Le Mal-Epris, Bénédicte Soymier (Calmann-Levy)
  • Les après-midis d’hiver, Anna Zerbib (Gallimard)
  • Les cœurs inquiets, Lucie Paye (Gallimard) 
  • Les grandes occasions, Alexandra Matine (Les Avrils)
  • Les Monstres, Charles Roux (Rivages)
  • Les orageuses, Marcia Brunier (Cambourakis) 
  • Nos corps étrangers, Carine Joaquim  (La Manufacture de livres)
  • Sept gingembres, Christophe Perruchas (Le Rouergue)

Deuxièmes romans :

  • Le sanctuaire, Laurine Roux (Le Sonneur) 
  • Les nuits d’été, Thomas Flahaut (L’Olivier) 
  • Over the Rainbow, Constance Joly (Flammarion)
  • Tant qu’il reste des îles, Martin Dumont (Les Avrils)


12 commentaires:

  1. Pfff, difficile de lire tout ce qui me tente, mais ce livre en fait partie, c'est sûr !

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    1. Oui, je sais ce que c'est ! Mais celui-ci a vraiment quelque chose d'unique qui vaut le coup qu'on s'efforce de lui faire une petite place ;-)

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  2. Comment résister à ces deux nouvelles qui m'ont émue à un point... Et entre les deux, c'est tout aussi beau, on est d'accord !

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  3. Oui ces deux textes aux bornes du livre sont sublimes, ils m'ont chacun tiré des larmes. Mais, si on peut considérer la puissance de chacun des textes pris à part, c'est surtout l'unité de l'ensemble qui est remarquable, autant que le jeu avec la langue. Cela donne un panorama incroyable des enjeux pour l'humanité mais à une échelle justement humaine, à hauteur d'homme. Sacré bouquin ! (oui, oui, je me mets bientôt à ma chronique ;-) )

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    1. J'ai hâte de la lire ! Ce qui est assez remarquable, je trouve, c'est qu'il y aune vraie unité thématique, mais l'auteur a su travailler sur différents styles en fonction de l'univers propre à chaque nouvelle. Et ça, c'est vraiment intéressant.

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  4. Difficile de répondre de façon optimiste à ta dernière question....

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  5. J'en entends beaucoup parler de ce recueil depuis quelques jours. A voir ..

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  6. Oh la la encore un livre à noter... c'est trop ! Est-ce qu'on a droit à une seconde vie ?

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    1. Je crois même qu'il en faudrait quatre ou cinq... au bas mot ;-)

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