Entretiens

vendredi 15 janvier 2021

La valse des tulipes

Ibon Martin
Actes Sud, 2020


Traduit de l'espagnol par Claude Bleton



Dévoré. Oui, j’ai dévoré ce polar qui coche toutes les cases de ce qui fait pour moi un bon, voire un très bon spécimen du genre : pas une goutte d’hémoglobine répandue au fil de ses pages en dépit d’une intrigue fondée sur des meurtres spectaculaires exécutés par un tueur en série ; des informations savamment distillées pour amener le lecteur vers la clé de l’énigme non sans l’avoir égaré sur de fausses pistes ; des personnages solidement construits ; une tension psychologique qui monte inexorablement ; un contexte historique qui ne doit rien à la fiction et enfin une atmosphère extrêmement soignée, qui restitue parfaitement les lieux où se déroule l’action. 


Une pluie fine, les vagues de l’Atlantique tant appréciées des surfeurs, le tempérament austère de la population : ce n’est pas une Espagne de carte postale qu’Ibon Martin nous invite à découvrir, mais celle plus rude du Pays basque et de la Cantabrie dont les habitants se montrent si fiers. L’auteur nous entraîne des bars à pintxos aux falaises abruptes de la côte où souffle un vent qui n’a rien d’une douce caresse et d’où l’on peut observer les bateaux de pêche luttant avec acharnement pour rester à flot et remplir leurs filets.


Une région néanmoins paisible jusqu’à ce qu’une femme soit fauchée par un train lancé à vive allure. Suicide ? Non, elle était ligotée sur une chaise posée au milieu des rails, tandis qu’un téléphone portable filmait la scène pour offrir le spectacle de sa terreur en direct sur les réseaux sociaux. Et le tueur a laissé sa signature : une tulipe d’un rouge profond, fixée dans la main de la victime.


D’autres femmes mourront, dans des circonstances différentes, mais toujours selon une macabre mise en scène. Et avec la présence lancinante de ces fleurs.

Tandis que l’angoisse s’installe au sein de la population, les médias ne parlent que de ces terribles assassinats, accablant une police impuissante à arrêter le coupable. Celle-ci finira pourtant par s’intéresser à un couvent par lequel serait passée chacune des victimes au cours de la même période, en 1979. Mais que s’est-il passé au juste cette année-là, alors que l’Espagne sortait à peine des ténèbres du franquisme ?


A travers une intrigue captivante et parfaitement construite, l’auteur évoque un pays aux prises avec le poids de la religion et du patriarcat, révélant une effroyable pratique qui perdura après la fin de la dictature. Comme Marc Fernandez avant lui dans un autre polar, Ibon Martin contribue ainsi à casser la chape de silence et de honte qui a couvert les pires atrocités du régime. Cinquante ans après, les séquelles sont encore là et le roman noir les explore avec maestria.

13 commentaires:

  1. Je suis toujours preneuse de bons polars, je note celui-ci. Les Espagnols ont beaucoup à faire pour affronter ce passé-là ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, et que ce soit en polar ou en "littérature blanche", il y a de très bons livres qui affrontent ce passé et les séquelles que le régime a laissées. Et ça m'intéresse beaucoup.

      Supprimer
  2. Voilà que tu te mets au polar ! Celui-ci semble très bien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh, ce n'est pas nouveau ! Mais c'est vrai que là, j'en ai lu deux coup sur coup, et que j'en ai un troisième dans ma PAL. C'est vrai que j'ai assez envie de lectures captivantes en ce moment. Et un polar, quand il est bon, il n'y a rien de mieux !

      Supprimer
  3. Bon, je ne sais pas si je vais te suivre côté polars parce que Le plongeur que tu as adoré m'a laissée perplexe (pas eu le temps de le chroniquer...). Par contre, sur le même thème, je suis restée tremblante un bon moment après la lecture de Après elle qui parait la semaine prochain chez Héloïse d'Ormesson (premier roman... incroyablement fort)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu veux dire que tu te méfies de mes goûts en matière de polar ? :-D
      Pour moi, un polar, c'est d'abord une atmosphère, et ceux-là sont je trouve très réussis de ce point de vue. C'est d'ailleurs pour ça que j'apprécie plus particulièrement ceux que publie Actes Sud. Leur ligne édito en la matière me convient tout à fait !

      Supprimer
  4. Voilà, j'aimerai bien en savoir plus, maintenant....

    RépondreSupprimer
  5. Intéressant. Je note pour ma prochaine envie de polar, d'autant que je lis assez peu de littérature hispanique.

    RépondreSupprimer
  6. Cela a l'air bien, sauf : tueur en série? Mais s'il n'y a pas trop de détails macabres...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis comme toi : les histoires de tueur en série, ça me rase complètement. Sauf que là, c'est totalement cohérent avec le mobile. Et le nombre de victimes est fini et défini par leur passé. Donc, il y a bien plusieurs meurtres qui apparaissent d'abord comme l'oeuvre d'un tueur en série, mais on comprend au cours du roman ce qui motive le geste du tueur. Et, je te confirme, pas de détail macabre (justement parce que le côté série n'est pas le coeur du roman). Non, vraiment, je te le recommande.

      Supprimer