Entretiens

samedi 16 mai 2020

Fin de siècle

Sébastien Gendron

Gallimard, 2020



Le confinement aura au moins eu une vertu, celle de nous contraindre - ou de nous permettre - d’exhumer des livres de nos PAL. Sans doute en effet n’aurais-je jamais ouvert le roman de Sébastien Gendron si je n’avais été réduite à faire de ma bibliothèque et de ses excroissances ma seule et unique source de lecture - papier s’entend. Il faut dire qu’un texte de quatrième s’ouvrant sur la phrase «Une femme est sauvagement assassinée dans sa villa de Cap Martin» a généralement tendance à me faire passer mon chemin... Mais la suite laissait présager quelque chose d’assez insolite, et ma furieuse envie de délaisser un temps ma liseuse pour une pratique plus charnelle de la lecture a pris le dessus.

Dire de ce roman qu’il est insolite est un euphémisme : il est parfaitement déjanté !  Il est d’ailleurs possible que hors confinement je n’en aurais pas dépassé les premiers chapitres. Mais dans un contexte où la moitié de la population mondiale se trouvait assignée à résidence pour échapper à un virus et où l’on a pu voir le personnel médical réduit à s’affubler de masques de plongée pour s’en prémunir, la fiction avait quand même du pain sur la planche pour se hisser au niveau de la réalité.

Donc, la réapparition en Méditerranée des mégalodons, ces espèces de requins géants mesurant plusieurs mètres et pesant des dizaines de tonnes revenus du fond des âges pour gober les baigneurs comme de vulgaires cacahuètes à l’apéritif, pourquoi pas... 
Pour les tenir à distance, des herses ont été profondément enfouies au fond de la mer, afin que les plus riches puissent continuer à vivre tranquillement dans leurs villas, concentrées dans une zone protégée. Mais l’entretien de ces herses a été confié à des entreprises privées qui ont au fil du temps, vous vous en doutez bien, cherché à réduire les coûts d’entretien et de maintenance, si bien que les charmantes bestioles ont fini par trouver une faille et par s’introduire dans ce qui n’est pour eux rien d’autre qu’un appétissant garde-manger... 

Sur cette toile de fond, Sébastien Gendron convie une galerie de personnages improbables, tels ce richissime fils de famille ayant financé une opération de saut en parachute à 88 kilomètres au-dessus de la Terre, ces flics homosexuels refoulés mais néanmoins racistes tentant de mener une enquête, ou cet artiste faisant main basse sur des oeuvres mondialement connues pour les transformer d’une manière ou d’une autre et en faire de nouvelles oeuvres signées de son nom qui se vendront à prix d’or, sans parler de l’apparition d’Albert de Monaco qui passe tout de même un mauvais quart d’heure... Ajoutons à cela quelques failles spatio-temporelles et vous obtenez un roman absolument unique en son genre !

Certaines scènes sont totalement désopilantes, mais derrière ce tableau d’un loufoque achevé se cache une peinture de nos travers, une critique mordante de notre société que l’égoïsme et la course effrénée vers le profit finissent par mener à sa perte. 
Finalement, s’agit-il vraiment d’une fiction ? 

En attendant la fin du monde, rien n'empêche de s'offrir un réjouissant moment de lecture ! 

9 commentaires:

  1. Ah oui ça m'a l'air complètement déjanté... Faut que je le note quelque part (pour le prochain confinement ? ;-) )

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    1. Ah non, non ! Le souvenir de celui-ci est encore suffisamment vivace, à mon humble avis, pour entrer dans cet étonnant roman !!!

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  2. Il a l'air d'avoir une imagination assez débridée cet auteur. Pourquoi pas ..

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    1. C'est le moins que l'on puisse dire ! Mais l'imagination ne fait pas tout et peut, lorsqu'elle est totalement débridée, tomber complètement à plat. Ce qui n'est pas le cas ici !

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  3. En effet, nous sommes bien obligés de piocher dans nos PAL. Ne penses-tu pas que cette contrainte nous rend plus indulgents par rapport à nos lectures ?

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    1. Ah non ! Pas du tout, en ce qui me concerne ! J'ai au contraire eu beaucoup de déceptions et ai laissé tombé plus d'un livre en cours de route...
      Celui-ci a été une belle surprise absolument inattendue.

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  4. Il a l'air parfait entre deux lectures plus sérieuses.

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  5. Tu titilles la curiosité avec ce titre ! Et effectivement la PAL a été d'un grand secours pendant le confinement.

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