Entretiens

dimanche 18 novembre 2018

Un autre regard sur l’exil



Je m’étais promis de réitérer cette formule qui permet de reparler de livres que j’ai aimés  dans un format différent, de les placer dans une autre perspective, un peu plus large.

Aujourd’hui, je vous propose quelques romans en lien avec la question de l’exil, préoccupation actuelle majeure. La littérature est toujours pour moi le moyen privilégié et premier d’envisager, de scruter et de comprendre le monde qui m’entoure. Sur cette question particulière de l’exil, il me semble que la littérature apporte un regard humain et une profondeur de champ qui manquent bien trop souvent lorsqu’on l’évoque.
Ce billet ne vise évidemment pas l’exhaustivité : il s’agit d’une sélection toute personnelle, un choix de textes qui m’ont particulièrement touchée et que j’espère vous donner envie de lire... si ce n’est déjà fait!




Gaëlle Josse
Notabilia, 2014 (Disponible chez J'ai Lu)


Quel meilleur symbole qu’Elis Island pour ouvrir cette chronique ? Ce petit bout de terre fut le passage obligé de tant d’hommes et de femmes de tous âges, de toutes origines qui, au tournant des XIXe et XXe siècles, affluèrent massivement vers la terre promise que constituaient les Etats-Unis.
A travers le témoignage fictif du dernier gardien d’Ellis Island, Gaëlle Josse rappelle avec une élégante sobriété combien douloureux peut être le parcours de ces déracinés et que c’est bien souvent le désespoir et la douleur qui conduisent les individus à quitter leur monde pour aller vers l’inconnu.




Yasmine Ghata
Robert Laffont, 2016

C’est souvent la guerre qui pousse des hommes, des femmes, des enfants à fuir leur pays dans des conditions totalement précaires, à braver de terribles dangers pour tenter de trouver refuge dans un pays dont ils ne connaissent souvent absolument rien.
Le jeune héros de ce roman, Arsène, est orphelin. C’est sa grand-mère, trop vieille pour espérer supporter les conditions d’un voyage à l’issue incertaine, qui le pousse, avec pour seul viatique une valise, à quitter le Rwanda, ravagé par la guerre civile.
En France, Arsène est adopté par un couple qui l’élève comme son fils. Malgré les soins, l’attention et la tendresse qu’il reçoit, les souvenirs et les cicatrices sont bien là. Pour mettre des mots sur la douleur et surmonter les traumatismes, il faudra éviter la confrontation brutale et user de patience... 
Un récit d’une grande délicatesse. 



Les échoués
Pascal Manoukian
Don Quichotte, 2015 (Disponible en Points Seuil)

Les migrants. Difficile d’échapper à ce mot tant il est au coeur de notre actualité. Pascal Manoukian a choisi d’appeler ces personnes des échoués afin de mieux traduire la réalité de ce qu’ils sont et de ce qu’ils endurent. 
Ancien grand reporter, il a côtoyé ces situations dramatiques qui poussent tant d’individus à s’arracher à leur pays. Il leur a consacré un récit déchirant mettant en scène trois hommes, un Bengladais, un Somalien et un Moldave, dont on suit le parcours depuis leur décision de tout quitter à leur arrivée en région parisienne. 
Au-delà des terribles situations personnelles qu’il dépeint, Manoukian pointe l’exploitation qui est faite de la misère, y compris par ceux qui prétendent dénoncer la présence de ces migrants.
C’est un roman certes très noir et sans concession, mais empreint d’une humanité qui permet néanmoins d’apercevoir une lueur d’espoir.

A découvrir également, mon entretien avec l'auteur




Laura Alcoba
Gallimard, 2013 (Disponible en Folio)

Ce roman est le deuxième volume d’une trilogie dont les composantes peuvent néanmoins se lire indépendamment les unes des autres.
Dans le premier, Manèges, Laura Alcoba relatait à travers les yeux d’une fillette la vie de clandestinité de ses parents opposants à la dictature argentine. Le bleu des abeilles évoque l’arrivée en France de l’enfant avec sa mère, tandis que son père est resté emprisonné dans une geôle de leur pays. Laura Alcoba raconte ce qu’est l’arrivée dans un nouveau pays, dont il faut tout apprendre, au premier chef la langue.
L’auteure nous propose un récit tendre et sincère, jamais pesant, parfois drôle, qui rend parfaitement compte de ce que peuvent représenter l’appropriation d’une nouvelle culture et l’apprentissage de nouvelles références et de nouvelles habitudes dans tous les domaines de la vie.

A découvrir également, mon entretien avec l'auteure





Maryam Madjidi
Le Nouvel Attila, 2017 (Disponible chez J'ai Lu)

Premier roman d’une jeune femme française d’origine iranienne, Marx et la poupée est un texte plein de verve, à la fois tendre et incisif qui, par une juxtaposition de souvenirs, d’anecdotes et de témoignages, offre un éclairage subtil sur le rapport ambivalent qu’un individu contraint de quitter son pays entretient avec ses racines et sa culture d’accueil, l’écartèlement entre un monde resté derrière lui et celui au sein duquel il essaie de se faire une place. 


Abnousse Shalmani
Grasset, 2018

A travers le regard d’une fillette de 8 ans, Abnousse Shalmani évoque l’arrivée en France d’une famille iranienne ayant fuit son pays après la révolution islamique. 
Dans un récit à son image, débordant d’une belle énergie et empreint d’une réjouissante liberté de ton, elle réinvente la forme romanesque en la métissant avec celle du conte oriental, tandis que ses personnages hauts en couleur redéfinissent la figure de l’exilé, façonnée par une multitude de fragments auxquels il faut donner une cohérence pour trouver un équilibre.
Un roman flamboyant !

A découvrir également, mon entretien avec l'auteure


Et pour rencontrer Abnousse Shalmani, rendez-vous mercredi 28 novembre à la librairie Le Divan, où j'aurai la joie de la recevoir 









22 commentaires:

  1. Excellente idée ! Pratiquement tous lus sauf 2 (Alcoba et Ghata)... On va dire que nous partageons un même intérêt pour ce thème essentiel :-)

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  2. Je valide sans réserve les échoués et le bleu des abeilles ! Pour les autres, j'ai envie de te faire confiance les yeux fermés.

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    1. Dis donc, Jérôme, pense quand même à ouvrir les yeux au moment de lire, mais je le prends comme un compliment qui me va droit au coeur ! :-))

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  3. Excellente thématique, qui renferme des petites pépites... J'ai lu les livres de Laura Alcoba et Maryam Madjidi, très touchants tous les deux, et pourrais en ajouter d'autres, comme ceux de Dany Laferrière ou Velibor Colic.

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    1. Mais oui ! Comme je le disais, aucune exhaustivité. Et, effectivement, j'avais lu le Manuel d'exil. Par contre, je ne connais pas vraiment l'oeuvre de Laferrière : à quel titre penses-tu ?

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    2. Je dirais Le cri des oiseaux fous ou L'énigme du retour, l'un évoque son départ de Haïti, l'autre son retour trente ans plus tard... mais je crois que d'autres de ses romans parlent aussi d'exil.

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    3. Merci, Kathel, pour ces précieux compléments :-)

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  4. J'ai beaucoup aimé le Gaëlle Josse et j'en ai au moins trois autres de notés dans ta liste. Que du bon ..

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    1. :-))
      Alors, je dirais : Le bleu des abeilles, J'ai longtemps eu peur de la nuit et Les exilés meurent aussi d'amour... J'ai bon ?

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  5. Je n'en ai lu aucun (mais je lis tout de même sur le sujet...)

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    1. Je n'en doute pas, vu la diversité de tes lectures ! Et qu'aurais-tu de bon à nous conseiller ?

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  6. je les ai presque tous lus sauf "Les échoués" et "j'ai longtemps eu peur de la nuit"
    "Le bleu des abeilles" a été un coup de coeur et idem pour "Les exilés meurent aussi d'amour"...

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    1. Dans ce cas, lis aussi les deux que tu cites : ils devraient également t'intéresser ;-)

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  7. Étant donné tous les titres que j'ai lu dans ta sélection, je réalise à quel point ce thème m'est cher!
    Et en plus, je note deux titres. Que demander de plus?!

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    1. Eh oui, je crois qu'on peut dire que nous avons des affinités communes ;-)
      Ravie de t'avoir donné envie de faire de nouvelles lectures !

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  8. Désorientale était bien (l'Iran) ou le premier de Shalmani, ou carrément du document comme J''apprends le français (je préfère le document, en fait, aux romans)

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    1. Le premier Shalmani, "Khomeiny, Sade et moi", bien sûr ! Tu sais combien ce livre m'est cher ! Mais bon, je ne pouvais pas parler que d'Abnousse :-))

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  9. Les échoués m'a marquée par son réalisme.

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    1. Un livre marquant, c'est certain, qui ne cache rien de ce que peuvent être la vie et le parcours d'un "échoué"...

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  10. J'adore cette idée d'article :)
    J'ai un souvenir si fort de Marx et la Poupée. Je n'ai pas lu les autres, j'en ai lu un certain nombre sur le sujet alors j'ai un peu ralenti mais celui de Pascal Manoukian me tente énormément et depuis le temps que je me dis qu'il faut que je le lise !

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  11. Ton article est très intéressant. J'en ai lu trois sur six. J'ai beaucoup aimé Les échoués et Le bleu des abeilles, un peu moins Marx et la poupée. Je pense que c'est toi qui m'as fait découvrir Laura Alcoba. J'ai très envie de lire Les exilés meurent aussi d'amour, d'ailleurs je vais essayer de passer ce soir au Divan.

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