Entretiens

mardi 27 février 2018

Celui qui disait non

Adeline Baldacchino

Fayard, 2018



Il fallait bien que ce roman fût bref et sélectionné par les 68 Premières fois pour que je m’en inflige l’intégralité de la lecture. Pourtant, le titre autant que la couverture - très réussie - avaient tout pour me séduire. Refuser l’arbitraire, l’injustice, la cruauté et toute forme de discrimination est vraiment quelque chose qu’il m’importe de défendre. Quant au  courage qu’il fallut dans les années 30 pour s’opposer ouvertement à Hitler, je ne peux que l’imaginer, mais je sais, comme chacun, qu’il fallait qu’il soit immense.

Partant d’une photo prise en 1936 sur un quai de Hambourg, montrant un homme, bras ostensiblement croisés, au milieu de la foule saluant bras tendu la venue du chancelier, Adeline Baldacchino retrace l’histoire de ce héros ordinaire. D’après ses recherches, il s’agirait d’un certain August Landmesser, ouvrier sur les chantiers navals, ayant eu une liaison avec une femme juive. Mais son nom, à vrai dire, importe peu et l’auteure se sert des informations qu’elle a pu recueillir à son sujet et de ses connaissances historiques pour imaginer les conséquences qu’entraîna sur sa vie cet acte de résistance. 

Commençons par relever, tout de même, le point fort de ce roman avant que je vous révèle en quoi je le trouve insupportable et stérile. Adeline Baldacchino connaît manifestement bien son sujet et, de la nuit de Cristal au statut des juifs et des décrets d’application de la loi sur la citoyenneté du Reich, rien de l’Allemagne de cette époque ne semble avoir de secret pour elle. Le contexte historique est donc parfaitement établi.

Au-delà du travail très documenté qu’elle a effectué, l’auteure est horrifiée par les atrocités qui furent perpétrées à l’époque. Comment ne pas l’être ? Tandis qu’elle raconte l’ignominie des lois qui empêchaient un homme - aryen - et une femme - juive - de s’aimer et de concevoir ensemble des enfants, elle s’interroge. Pourquoi ? Pourquoi ce déchaînement de haine ? Qu’ont-ils fait de notre amour, Irma, comment peuvent-ils croire qu’on abîme le monde quand on s’embrasse, qu’on abîme la race quand on s’enlace ? ne cesse de répéter August tout au long de ces pages. Certes, cette question, nous pouvons tous nous la poser, mais nulle réponse n’est possible. On peut la poser dix fois, cent fois, cinq cents fois comme le fait l’auteure, la réponse ne viendra jamais. Tout simplement parce qu’il n’y en a pas. 
La seule question me semble devoir être non pas pourquoi, mais comment une telle horreur, une telle négation de toute forme d’humanité a pu advenir. Comprendre pour empêcher qu’une telle monstruosité ne se reproduise.
Dès lors, se placer uniquement sur le terrain de l’émotion, comme le fait l’auteure, prive de cette faculté d’analyse. C’est au contraire une attitude qui appelle l’effroi, un sentiment stérile. Je sais les atrocités. Je sais la douleur. Je sais l’horreur et il est certes nécessaire de ne pas les oublier pour ne pas, notamment, laisser place au négationnisme. Mais que m’apporte le lancinant regret, maintes fois répété, d’August d’avoir choisi de prendre la route plutôt qu’une voie maritime pour passer la frontière et échapper ainsi à ses bourreaux ? Que m’apporte la lecture de cette scène où des SA jouent au foot avec une balle qui est un bébé qu’ils finiront par jeter par la fenêtre ? Que m’apportent les atermoiements d’une auteure qui voudrai[t] n’avoir pas à raconter ce genre de scène, parce qu’[elle] voudrai[t] qu’elle n’ait pas existé ? Rien, si ce n’est la nausée d’avoir à lire ce genre de scène parce que je voudrais, moi aussi, qu’elle n’ait pas existé.

La lecture de ce livre ne m’aura donc rien inspiré d’autre qu’un profond dégoût. Et renforcé, peut-être, la conviction que sur le terrain de l’abjection, il faut avoir la force de dépasser ses émotions pour rester vigilant et combattre la haine et le rejet de l’autre partout où ils se peuvent trouver. 


Nicole, quant à elle, a trouvé ce texte d'une grande force.



Apprendre à lire, Sébastien Ministru, Grasset
Ariane, Myriam Leroy, Don Quichotte
Eparse, Lisa Balavoine, Jean-Claude Lattès
Fugitive parce que reine, Violaine Huisman, Gallimard
L'attrape-souci, Catherine Faye, Mazarine
L'homme de Grand Soleil, Jacques Gaubil, Paul & Mike
La nuit introuvable, Gabrielle Tuloup, Philippe Rey
Les déraisons, Odile Doultremont, Editions de L'Observatoire
Les rêveurs, Isabelle Carré, Gallimard
Pays provisoire, Fanny Tonnelier, Alma
Seuls les enfants savent aimer, Cali, Cherche-Midi

18 commentaires:

  1. J'ai déjà pas mal lu sur le thème et je n'ai pas l'impression que ce roman m'apporterait quelque chose ; et ton avis ne m'incite pas à me forcer ;-)

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    1. Effectivement, je ne pense pas que pour quelqu'un qui s'intéresse de près, comme toi, à la littérature évoquant cette période ce livre ne t'apporte grand chose...

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  2. Ton avis m'incite à ne pas noter, je n'ai pas envie non plus de revenir sur des scènes qui n'auraient jamais du avoir lieu... Pourtant le point de départ était fort, il aurait sans doute pu être traité autrement.

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    1. Exactement. J'étais d'ailleurs pleine d'espoir et d'enthousiasme lorsque je l'ai reçu.

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  3. Un point de départ intéressant. Après,, les avis sont différents sur ce livre. En tout cas, je ne suis pas trop atirée

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    1. Oui, en effet. Il y a des avis aussi enthousiastes que le mien est sévère.

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  4. Certains des 68 ont trouvé" ce livre superbe, mérite d'exister... Je pense, comme toi, que se placer uniquement sur le terrain de l'émotion, vouloir absolument faire pleurer n'est pas un but de lecture. Ce genre de livre se doit d'apporter une pierre à l'édifice. Je ne le "sentais" pas et je vais te suivre et ne pas le lire. Lorsqu'un livre des 68 ne me plait pas, mais pas du tout, je ne le termine pas et en explique les raisons. Tu as été courageuse

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    1. Il n'était pas très long, heureusement ! Et puis je me refuse à parler d'un livre que je n'aurais pas terminé. Et comme j'aime participer aux échanges du groupe... :-)

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  5. Oui, j'ai trouvé ce livre d'une grande force et j'avoue que j'ai beaucoup de mal à comprendre le sens de ton billet. L'auteure ne joue pas sur l'émotion, elle replace simplement l'humain sur des faits, et ce qu'elle dit de ce qui s'est passé à cette époque trouve malheureusement encore une résonance de nos jours. Ce qui s'est passé s'est passé, ce sont des faits et cela a influé sur des millions de vies. Je comprends tout à fait que l'on puisse ne pas aimer ce livre... mais qu'il donne la nausée... c'est assez difficile à imaginer. Un livre qui veut croire que l'amour peut guider les actes... Enfin. Ceci dit, j'étais très étonnée que ce livre soit celui qui t'attirait le plus dans la sélection connaissant ton peu d'appétit pour cette période. J'espère que tu auras plus de chance avec les suivants.

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    1. Avec ses lancinantes imprécations, je trouve au contraire qu'elle ne fait que ça, jouer sur l'émotion, sans jamais aller au-delà. En fait, j'ai trouvé la posture de l'auteure très ado, comme si elle n'avait pas réussi à sortir de cette réaction et de ces questions que nous avons tous plus ou moins connues lorsqu'on a appris au travers de nos cours d'histoire notamment l'horreur des camps et de la Shoah. Pourquoi tant de haine, tant de cruauté, tant d'inhumanité ? sont les questions que l'on se pose à 13, 14 ou 15 ans avec effroi. Mais après, comme je le dis dans mon billet, il faut analyser le contexte, les conditions historiques qui ont favorisé l'accession au pouvoir d'Hitler et la survenue du pire génocide qu'on ait connu. Il faut parvenir à sortir de l'émotion, ce qui est, je te l'accorde, extrêmement difficile, mais nécessaire.
      Alors, oui, la nausée je l'ai eue en lisant cette fameuse scène du bébé et d'autres encore. Juxtaposées à ces scènes infamantes, j'ai trouvé les interrogations de l'auteure un peu mièvres. Ou disons, pas à la hauteur des questionnements que cette période de l'histoire appelle. Ce texte n'a suscité chez moi que du malaise, tant sur le fond que sur la forme.
      Je trouve qu'il est extrêmement difficile de parler de cette période avec justesse et d'autres auteurs me semblent y être mieux parvenus qu'Adeline Baldacchino.

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  6. Bon, un de moins à noter... J'ai pas mal lu sur cette période et je crois que j'ai atteint la limite de ce que je peux absorber, pour le moment en tout cas..

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    1. Personnellement, j'ai plutôt peu lu sur cette période et, malgré cela, je n'ai pas appris grand chose...

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  7. J'adore la franchise de ton avis, c'est cash mais parfaitement argumenté, tout ce que j'aime en somme.

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    1. Oui, j'avoue, c'est très cash et peut-être ceux qui ont aimé le livre - et il y en a parmi les 68 - m'en voudront-ils un peu d'être aussi virulente. Mais c'est que cette lecture a vraiment suscité en moi une réaction très violente.

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    2. ça fait du bien, ce genre d'avis, je trouve. Parce que je m'aperçois que, parfois, on veut tellement faire dans la nuance pour respecter les autres lecteurs (on craint de les blesser par livre interposé), ou l'auteur, qu'on en oublie d'être, simplement, sincère.

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    3. Comme tu as raison, Brize, surtout dans le cas de primo-romanciers... Mon but d'ailleurs n'est pas de blesser quiconque et, en soulignant le côté documenté du roman, j'ai essayé d'évoquer ce qui me semblait être le point positif du roman. Il est rare, d'ailleurs que je sois aussi virulente. Mais disons que le sujet appelle, selon moi, une attention et une posture toutes particulières.

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  8. Ton avis est cash mais tu ne démontes pas l'auteur, la preuve tu soulignes ses recherches. J'aime ton côté franc et direct mais en aucun cas blessant. :-)

    Et par rapport au livre qui nous intéresse ici, je passe, j'ai lu et relu sur ce thème, il faut que je me détache de cette période.

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    1. Merci Fanny, ton commentaire me va droit au coeur. Je sais que je peux être parfois très dure. Mais j'essaye de traduire ce qu'un livre produit en moi de sentiments, de réactions et de réflexions. Et ceux-ci sont parfois très vifs, dans un sens... comme dans l'autre. C'est tout l'intérêt et toute la force de la littérature.

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