Entretiens

mercredi 4 octobre 2017

Chantier Gauguin

Bertrand Leclair

Publi.net éditions, 2017



De longue date, Bertrand Leclair s’intéresse à Paul Gauguin. En 2003, pour le centenaire de la mort du peintre, l’écrivain avait donné à France Culture un feuilleton qui retraçait son parcours. Cette même année, il avait écrit une postface à un ouvrage de l’artiste, Racontars de rapin, que le Mercure de France rééditait alors. Enfin, dans le cadre de leur collection «FolioPlus Philosophie», les éditions Gallimard commandèrent à Bertrand Leclair de courtes études de tableaux destinés à figurer en couverture de textes classiques. Ainsi commenta-t-il la grande toile intitulée D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? qui allait être associée au Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, de Jean-Jacques Rousseau, et une œuvre d’Emile Bernard, qui fut un temps très lié à Gauguin, Madeleine au bois d’amour, qui devait servir de frontispice à La volonté de savoir, de Michel Foucault, et qui cristallisa des enjeux tant affectifs que picturaux au sein du groupe de Pont-Aven. 
Quelques années plus tard, en 2014, Bertrand Leclair publierait chez Actes Sud un roman intitulé Le vertige danois de Paul Gauguin.

En mars 2008, ces trois premiers ensembles de textes étaient réunis pour être publiés dans la maison que venait de fonder François Bon. Il s’agissait alors d’une édition purement numérique. A l’occasion sans doute de la rétrospective que le Grand Palais consacre dès ce mois-ci à Gauguin, une édition papier vient d’être publiée.

Il se dégage de ces textes composites le portrait d’un homme qui mettait son œuvre au-delà de toute contingence matérielle ou affective. Gauguin est un autodidacte venu tardivement à la peinture. Il n’en avait pas moins une conscience très aiguë de la rupture qu’il imposait avec les formes artistiques qui le précédaient. Si l’on peut voir à travers notamment sa correspondance qu’il ne cessa d’espérer le succès de ses tableaux  ou la reconnaissance à venir de son travail, l’incompréhension du public et des critiques n’entama jamais sa détermination. Il s’acharna au contraire à être ce sauvage qu’il revendiquait, à l’opposé de l’artiste appliqué à maîtriser les techniques transmises par ses aînés. Il se voulait un être libre de faire voler en éclats les canons esthétiques classiques et les conventions pour mettre au jour une manière nouvelle, singulière, de voir et représenter le monde. Aux yeux de Gauguin, l’artiste est celui qui a le droit (le devoir ?) de tout oser, ce qui signifie tout oser dans son œuvre comme dans sa vie, celles-ci étant intimement liées. Il ne s’en priva pas et paya cette audace au prix fort, celui du mépris et du rejet.

A travers les différentes approches qu’il a choisies et en se concentrant sur certains moments cruciaux de la vie de Paul Gauguin (les deux séjours en Polynésie, l’épisode de Pont-Aven, les quelques semaines de compagnonnage avec Van Gogh…), Bertrand Leclair parvient à circonscrire – ou au moins approcher – la nature du geste artistique du peintre et, évidemment, la valeur existentielle qu’il renfermait.

Inutile de préciser que ce recueil constitue un excellent prologue à l’exposition qui s’ouvre dans quelques jours au Grand Palais pour (re)découvrir l’œuvre de cet immense peintre. 



Paul Gauguin, D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? 1897-1898, musée des Beaux-Arts de Boston


Emile Bernard, Madeleine au Bois d'Amour, 1888, musée d'Orsay

 

8 commentaires:

  1. J'aime le peintre, nettement moins l'homme. Je suppose que tu étais allée à l'expo Chtchoukine de la Fondation Vuitton. Il y avait des toiles formidables.

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    1. Oui, quelle merveille !
      L'homme, je ne le connais pas très bien, à vrai dire. Il fait partie de ces icônes qu'on croit connaître et, finalement, je me suis rendu compte en lisant ce recueil que je n'en savais que les quelques clichés bien connus. Ce qui est intéressant, c'est de voir à quel point il plaçait son art au-dessus de tout, au-delà même de sa propre vie et de ses conditions d'existence. Certes il n'est pas le seul à l'avoir fait, mais il avait une détermination hors du commun, il le faisait sciemment, c'était en quelque sorte la condition sine qua non de l'oeuvre. Il a poussé à son paroxysme ce refus des conventions, de l'ordre établi dans son oeuvre et sa vie qui sont les deux faces d'une seule entité.
      Mais Leclair montre cela beaucoup mieux que moi, revenant notamment sur sa correspondance, ses écrits, sa biographie et replace tout cela dans le contexte artistique et esthétique de l'époque. C'est vraiment intéressant. En tout cas, je suis très impatiente de voir l'expo, même si je vais attendre que la bousculade du début se tasse (un peu...)

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  2. Quand un artiste est en "rupture" avec "les formes artistiques" qui le précèdent, il se heurte en effet à "l’incompréhension du public et des critiques". Il lui faut alors une "détermination" hors du commun (un "acharnement" !) pour ne pas que soit entamée "sa détermination". C'est vrai en peinture comme en littérature. Et ce sont les mêmes critiques qui s'extasieront plus tard sur son génie... "Les ra, les ra, les rapaces" comme l'a chanté Barbara.
    Jean-François Mézil

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    1. C'est vrai dans toutes les disciplines, dès lors qu'on va à l'encontre des règles ou des canons en vigueur. Plus d'un artiste évidemment s'y est heurté. Mais disons que Bertrand Leclair montre que Gauguin était pleinement conscient de ce qui se jouait et à fait le choix de l'art avec une grande détermination.

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  3. C'est très intéressant comme approche je trouve, est ce que les oeuvres dont il fait le commentaire sont reproduites dans le livre ?

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    1. Eh non, malheureusement... C'est pour ça que je vous en ai mis deux en bonus ;-)
      Pour ma part, j'enchaîne avec le roman (splendide) qu'il a écrit ensuite. Avec mon Mac à mes côtés...

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  4. J'avais beaucoup aimé le Vertige Danois, je poursuivrais bien ma découverte de cet auteur.

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    1. Je suis en train de le lire, et j'adore !
      Le sujet m'intéresse particulièrement mais, au-delà, j'aime beaucoup la plume précise et élégante de cet écrivain.

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