Entretiens

jeudi 24 septembre 2015

L'imposteur


Javier Cercas

Actes sud, 2015


☀ ☀

Traduit de l’espagnol par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic


La fiction ou la vie

Connaissez-vous Enric Marco ?
Pour ma part, avant de lire ce livre, je n’en avais jamais entendu parler. Et pourtant, quel incroyable personnage que ce Catalan qui prétendit avoir été déporté dans un camp de concentration allemand, avoir été un ardent combattant anarcho-syndicaliste et un opposant au régime franquiste, qui devint président de l’Amicale de Mauthausen, donna des conférences dans des lycées, prononça des discours officiels, bref devint une icône espagnole de la résistance à toutes les formes d’oppression.
Jusqu’à ce coup de tonnerre sur la société espagnole, ce jour de juin 2005 où un historien révéla que tout cela n’était qu’une vaste imposture.

C’est l’histoire de cet homme que nous relate Cercas. Au-delà, son projet est de chercher à comprendre, sans justifier; interroger cet homme pour déceler les bribes de vérité sur lesquelles a pu se fonder la mystification; identifier les mécanismes psychiques à l’oeuvre chez cet homme; analyser les conditions historiques qui ont permis à tout un peuple d’ajouter foi à ce mensonge. Disséquer cette fiction : voilà ce à quoi s’emploie  Cercas.
Dès lors, l’évidence s’impose à l’écrivain : puisque son personnage est une fiction en soi, il doit écrire «un roman sans fiction». Cercas s’interroge ouvertement sur le bien-fondé de son projet littéraire. Dès les premières lignes de son livre, il nous prend à témoin. Il a beaucoup hésité à l’écrire. A plusieurs reprises, il a renoncé. Il peut désormais se l’avouer, il avait peur. Peur de ce qu’il allait découvrir. Peur de se trouver face à lui-même et à ses propres failles. Car l’écrivain et l’imposteur sont comme les deux faces d’une même pièce : ils jouent avec le réel. Mais les règles ne sont pas les mêmes : l’un a le droit de mentir et l’autre non. Mais d’ailleurs, où se situe la vérité ? Sa recherche est-elle un but en soi ? C’est bien à une réflexion approfondie sur la littérature que se livre l’auteur. Comparant son personnage à Don Quichotte, Cercas explique comment la médiocrité d’une existence peut amener au besoin de réinventer sa vie. Cela peut passer par le travestissement de son passé... comme par l’écriture. 

Le livre est entièrement construit sur cette double problématique du mensonge d’un homme qui recomposa constamment sa vie pour se convaincre que, contrairement à la grande majorité de ses compatriotes, il ne s’était pas accommodé d’une situation inacceptable pour simplement survivre, et du regard que pose l’écrivain sur la relation  entre fiction et réalité, entre roman et invention. 

C’est un livre d’une grande densité, qui brasse des sujets passionnants, qui s’interroge sur sa propre pertinence, qui met l’individu face à ses contradictions et propose une réflexion  sur la manière dont la société espagnole  accomplit son devoir de mémoire pour tourner le dos à la dictature et jeter les bases d’une démocratie.
Un livre brillant, exigeant, parfois déconcertant, et vraiment intéressant.   


Retrouvez un débat autour de ce livre dans "La fabrique de l'histoire" sur France Culture





16 commentaires:

  1. Le thème ne m'attire pas tellement.

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  2. Contrairement à Aifelle, le thème m’intéresse beaucoup ! Je pense que ce sera ma prochaine lecture. Pas trop difficile à lire ?

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    1. Je ne suis pas étonnée que ce livre te tente !
      Je ne dirais pas que c'est la plus facile des lectures, dans la mesure où c'est une narration qui se questionne aussi elle-même, mais cela reste tout à fait accessible. Il faut juste choisir le bon moment et avoir l'esprit assez disponible... ce qui n'était malheureusement pas le cas en ce sui me concerne.

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  3. Mmhum, j'ai bien envie de lui donner sa chance, un auteur espagnol, c'est rare dans mes lectures, finalement!

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    1. Il en vaut la peine ! Je trouve qu'il y a des choses très intéressantes dans la littérature espagnole.

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  4. J'avais beaucoup aimé son précédent. Je vais le lire, c'est presque certain.

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  5. J'ai eu beaucoup de mal avec ce livre, le sujet est passionnant et Cercas maitrise le récit mais l'abondance des détails qui ont trait aux villes, aux rues, aux personnages espagnols qui ne nous sont pas familiers du tout m'ont énormément gêné, je perdais le fil du récit

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    1. En ce qui me concerne, cela ne m'a pas dérangée. En revanche, le côté réflexif du récit demande une attention parfois un peu soutenue qu'il m'a été parfois un peu difficile d'avoir. Mais c'était lié à des préoccupations personnelles qui parasitaient ma lecture. Avec le recul, je me dis que j'aurais dû le lire à un meilleur moment. Cela dit, ça ne m'a pas empêchée de l'apprécier.

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  6. Décidément, Delphine, tu as l'air de dénicher des pépites en ce moment !
    Mais comment fais-tu ?
    Pour ma part, je viens de terminer assez laborieusement un livre tellement embrouillé (Le Cercle des Douze) que je ne sais pas comment je vais pouvoir tourner une petite bafouille dessus...

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    1. Mais tu as raison, c'est vrai que je trouve cette rentrée littéraire fabuleuse ! Je suis dans une bonne passe... il y a des moments de grâce comme ça !
      Mais je te rassure, il m'arrive aussi de faire de mauvaises pioches, parfois successives. Ne t'inquiète pas, ça tournera ! Et en attendant, si vraiment le livre n'était pas bon (je ne vois même pas ce que c'est), ne t'embête pas à le chroniquer. C'est que je fais parfois... c'est peut-être pour ça que tu as cette impression ;-)

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  7. Quand c'est trop dense et trop exigeant, j'ai tendance à décrocher. Avant le coup je ne suis pas très chaud pour me lancer (et j'ai le même sentiment avec le Enard).

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    1. En ce qui me concerne, j'attends d'un livre qu'il me bouscule un peu, ou qu'il me surprenne, en tout cas qu'il sorte des sentiers battus. Alors c'est vrai que c'est parfois un peu difficile à lire. Ceci étant dit, en général, après un livre dense, j'aime bien enchaîner avec quelque chose de plus léger... ce qui ne veut pas dire que le livre manque d'intérêt.

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  8. Je suis plutôt tentée, une libraire en a fort bien parlé à une présentation l'autre soir dans ma ville... et toi aussi ! Je le note !

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    1. Quant à moi, je reviens tout juste d'une conférence dans le cadre du Festival des écrivains du monde à la quelle il participait. C'était passionnant de l'écouter !

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