Entretiens

mercredi 24 juillet 2013


Le Roman du mariage

Jeffrey Eugenides

L'Olivier, 2013


Traduit de l'américain par Olivier Deparis

☀ 


Jeffrey Eugenides propose un roman curieusement  construit, dans lequel il semble vouloir justifier de son propre travail avant de nous le faire découvrir. Une étrange démarche...


On entre très facilement dans ce livre.  S’inscrivant dans la tradition narrative américaine dialoguée, Jeffrey Eugenides nous invite tout naturellement à entrer dans la vie de ses personnages.
On découvre donc Madeleine, une étudiante en littérature des années 80 quelque peu déconcertée par ses cours de sémiotique, discipline tout droit venue de France, alors très en vogue aux Etats-Unis. 
Madeleine a entrepris ses études par amour de la littérature, des romans victoriens en particulier. Elle apprécie ces récits narratifs dans lesquels ses repères ne sont pas mis à mal: «Elle savait qu’elle allait y trouver des personnages, que quelque chose allait leur arriver dans un monde qui ressemblait à la réalité» (p.75). Cette littérature reflétait des schémas sociaux bien établis. Jusqu'à l'aube du XXe siècle, les choses semblaient en effet simples: "Selon Saunders [vieux professeur tenant d'une approche traditionnelle de la littérature], le roman avait connu son apogée avec le roman matrimonial et ne s'était jamais remis de sa disparition. A l'époque où la réussite sociale reposait sur le mariage, et où le mariage reposait sur l'argent, les romanciers tenaient un vrai sujet d'écriture. Les grandes épopées étaient consacrées à la guerre, le roman au mariage." (p.38). 

Mais les schémas se sont complexifiés, et le roman a emprunté de nouvelles voies. La critique littéraire a dû elle aussi trouver de nouvelles manières d'aborder la littérature. Barthes, Deleuze, Derrida ont apporté une méthodologie permettant d'analyser tous les textes, y compris ceux s'attachant désormais à déconstruire les structures narratives classiques.
Mais Madeleine est parfaitement rétive à ce type d'approche qui lui semble mettre une distance infranchissable entre le lecteur et le texte, écarte l'auteur de sa production et interdit toute forme d'émotion.
Tout au long de la première partie du roman, on assiste à la mise en scène de deux conceptions de la littérature qui s'opposent. L'humour avec lequel Eugenides traite son sujet rend le propos assez plaisant (les partisans de la sémiologie me démentiraient peut-être, tant celle-ci est outrageusement tournée en dérision !). On se demande toutefois où il veut en venir, mais on se laisse porter par son écriture et par l’originalité de son approche. 

C'est alors qu'on change de registre et que la question de la critique littéraire disparaît complètement. Le roman se concentre sur son héroïne et ses atermoiements sentimentaux.   Tout se passe comme si la première partie avait été une sorte d’exposé théorique, justifiant la seconde qui en serait l’illustration. On entre en effet dans un canevas narratif classique tout à fait comparable à celui des romans appréciés par Madeleine : une femme, deux prétendants, un mariage à la clé. 
Sauf que là, le roman faiblit. N’est pas Henry James ou Jane Austen qui veut. Les personnages ne sont pas suffisamment riches et le propos devient banal. On se lasse rapidement des descriptions sans fin de la dépression du petit ami de Madeleine. Les personnages n'ont pas la puissance qui pourrait faire d'eux les représentants d'une génération.  Contrairement à ce que laisse entendre la quatrième de couverture, ils n'incarnent qu'eux-mêmes. Il manque un souffle pour atteindre cet objectif. 

Alors on peut lire ce livre pour la réflexion sur la littérature et la lecture, agréable et intéressante. Mais on regrette qu'elle ne débouche pas sur quelque chose de plus convaincant ! 



2 commentaires:

  1. La lecture de ce roman m'a aussi laissé des impressions mitigées, pour les raisons bien exposées ci-dessus.
    Pour une "jeune blogueuse", comme je l'ai lu chez Aifelle, la liste des œuvres sur ce blog est déjà impressionnante, bravo ! Et comme j'y vois beaucoup d'auteurs ou de titres que je ne connais pas, je reviendrai.

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    1. Avec le plus grand plaisir ! Et si tu as toi-même un blog, j'irais volontiers y faire un tour...

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