Entretiens

lundi 27 mai 2024

Au Bonheur des Dames

Emile Zola
Publié en 1883


Mais quel bonheur ! Non pas celui des dames, mais bien le mien, de retrouver intact celui de lire Zola comme à l’aube de mon adolescence. Pourtant, bien qu’il ait été l’un de mes auteurs préférés, je ne pense pas l’avoir relu depuis mes vingt ans… Il aura fallu cette formidable expo sur la naissance des grands magasins proposée par le musée des Arts décoratifs (qui se tient jusqu’au 13 octobre) pour que je replonge avec délices dans l’univers des Rougon-Macquart…
 

L’histoire, vous la connaissez : Denise débarque à Paris avec ses deux frères chez leur oncle qui tient un commerce d’étoffes. Sauf qu’entre le moment où ce dernier l’a invitée à le rejoindre à Paris et son arrivée, un an s’est écoulé, au cours duquel sa situation a bien changé. En face de chez lui s’est en effet installé un magasin d’un type nouveau, fondé sur des méthodes de vente révolutionnaires, ayant pour effet de capter la clientèle de tous les commerces alentour. C’est ainsi qu’au lieu d’épauler son oncle, Denise fait son entrée au Bonheur des Dames, dont elle devient l’un des nombreux rouages.


Je ne vais rien dire de neuf, mais plus d’un siècle après sa mort Zola impressionne toujours par sa maestria à mêler le romanesque à l’observation précise de son temps. Tout est dans son livre : les stratégies économiques et commerciales, la hiérarchisation des employés, la condition dans laquelle ils sont enfermés et leur système de rémunération, l’obsession du chiffre, la volonté d’expansion sans frein, l’exacerbation du désir d’achat… Avec son « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire », c’est en usant d'une précision chirurgicale que Zola représente le passage d’un monde ancien au monde moderne, la transformation d’une société qui voit s’achever le déclin de l’aristocratie, laquelle cède la place à une bourgeoisie triomphante, dont la vertu cardinale s’incarne dans le fameux mot d’ordre de Guizot  « enrichissez-vous » et dont l’inévitable corollaire est la mise en place de la société de consommation, avec toutes les conséquences sociales qu’un tel système engendre. 


C’est pourquoi ses romans continuent de nous passionner : ce sont les germes de notre propre monde que nous voyons naître sous sa plume d’une stupéfiante clairvoyance, tout ce qui s’est développé, accéléré jusqu’à la nausée, jusqu’à l’épuisement de nos ressources et de nos vies.  


Sans doute, la première fois que j’ai lu Au bonheur des Dames, n’avais-je pas la conscience de tous ces enjeux et de la manière dont ce texte éclairait la connaissance du monde dans lequel je me préparais à entrer. Je crois à l’époque m'être passionnée pour l’histoire de cette jeune femme qui refusait de se laisser broyer par les serres d’un environnement d’une violence inouïe. Mais le génie de Zola se tient précisément là, dans sa capacité à nous embarquer par sa puissance romanesque. Et aujourd’hui comme hier je peux réaffirmer qu'il reste l’un des plus grands auteurs qu’il m’ait été donné de lire.

11 commentaires:

  1. Bonjour Delphine,
    Voilà un titre qui s'intègre parfaitement à l'activité autour du monde du travail, que j'organise sur tout 2024. Aussi, si tu le permets bien sûr, je récupère ton lien pour l'ajouter au récapitulatif.
    (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/12/lire-sur-le-monde-ouvrier-les-mondes-du.html)
    Bonne semaine,

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    1. Mais carrément ! D'ailleurs, je réalise que j'ai oublié d'ajouter ce tag, qui fait pourtant partie de ceux que j'ai listés. Je le rajoute de ce pas... et je vais aller voir ton blog car c'est une thématique qui m'intéresse particulièrement.

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  2. Je n'ose même plus compter le nombre d'années depuis que je l'ai lu. Mais on voit tellement de téléfilms, de documentaires, etc .. que j'ai l'histoire bien en tête. Un de mes préférés de l'auteur.

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    1. C'est mon préféré aussi. C'est drôle, beaucoup de gens me disent la même chose. En ce qui me concerne, c'est le premier de Zola que j'ai lu et c'est donc par ce roman que j'ai découvert cet immense auteur. C'est pourquoi il tient une place particulière pour moi.

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  3. Une lecture de Zola qui m'avait plu : j'étais allé jusqu'au bout.

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  4. Ah un jour se lancer dans la lecture des Rougon Macquart au grand complet...

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    1. Une vingtaine de volumes quand même... Pour moi qui ne suis pas une lectrice compulsive et qui aime espacer les romans d'un même auteur, cela m'offrirait une perspective bien lointaine ;-)

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  5. Un très bon souvenir de lecture (lu et relu, je crois...) mais mon préféré reste La bête humaine, l'univers des chemins de fer me passionnait plus, jeune, que celui des magasins, et je crois que ce serait toujours pareil maintenant.

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    1. Tiens c'est drôle, je me souviens que c'est celui que j'avais le moins aimé. Pour autant que je me souvienne, j'avais trouvé que Zola allait trop loin dans son traitement naturaliste que le héros était dépeint sous un jour trop déterministe. Bon, c'est le souvenir que je garde d'une lecture adolescente, et sans doute faudrait-il que je le relise. Mais d'autres volumes passeront avant. Notamment Le ventre de Paris, que je n'avais pas lu alors que j'en ai toujours eu envie...

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  6. Tu as raison, ce sont des romans qu'on peut lire à tout âge, avec une lecture orientée différemment. Ma fille, à 14 ans, l'a déjà aimé. Il me tarde de le relire (j'y viendrai).

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