Entretiens

mercredi 5 juillet 2023

Les liaisons dangereuses



Choderlos de Laclos
Publié en 1782 


Je m’étais promis depuis longtemps de relire Les liaisons dangereuses, mais il m’aura fallu le coup de pouce de Laurent Binet qui y fait une ingénieuse référence dans son roman à paraître à la rentrée pour que je me décide enfin.


A la première lecture, je devais avoir peu ou prou l’âge de Cécile Volanges, j’étais une toute une jeune fille qui entrait dans la vie ; à la seconde, j’ai certainement dépassé celui de la marquise de Merteuil et me suis donc, au fil du temps, forgé une idée un peu plus précise de la nature des relations qui unissent les hommes et les femmes. Sans doute mon regard sur les personnages de ce roman a-t-il évolué en conséquence, tant la réception d’un livre dépend en grande partie de la sensibilité et de la propre expérience du lecteur. Ainsi que de l’époque à laquelle il appartient. En l’occurrence, on ne saurait passer le phénomène MeToo sous silence, qui est venu non pas tant modifier les relations entre les sexes - on ne met pas fin à des siècles de domination en un claquement de doigts - mais briser une forme d’acceptation et de fatalisme face à certains comportements.


Or, si ce roman est si éblouissant et s’il n’a rien perdu aujourd’hui de sa force ni de sa pertinence, c’est que Laclos a su avec une acuité sans égal percer à jour des mécanismes de manipulation, d’emprise et de domination d’une terrifiante permanence, et les représenter avec maestria. 


De ma première lecture me restait le souvenir d’une femme d’une extrême intelligence et d’une parfaite clairvoyance qui avait su prendre l’ascendant sur un homme que l’on qualifierait aujourd’hui de prédateur pour « venger son sexe ». Une femme d’une stupéfiante modernité qui dut pourtant payer au prix fort sa témérité - ou ses prétentions.


Mais ce qui m’a davantage frappée aujourd’hui - ou bien l’avais-je oubliée ? - c’est l’assurance inébranlable de Valmont, cette infatuation portée à un tel point d’aveuglement qu’elle l’empêche précisément de percevoir la puissance de Merteuil, qui se joue de lui plus que lui ne la domine. Ce qui le conduira à sa perte.


Mais, et c’est là peut-être que réside la différence majeure avec notre époque post MeToo, il trouve pourtant une forme de rédemption dans la mort, tandis que la marquise subit une complète déchéance sociale. Les femmes portent seules la responsabilité - et la culpabilité - de leur condition (c’est une évidence chez Cécile, honteuse d’avoir été forcée par Valmont qui, lui, n’en tire que vanité). Encore ne sommes-nous pas arrivées au bout du chemin…


Mais je m’en voudrais de terminer ce billet sans rappeler - sans doute cela a-t-il été souligné et observé avec infiniment plus de talent que je ne saurais le faire - la finesse d’analyse psychologique dont fait preuve Laclos, jusque dans la dissection du sentiment amoureux, l’incroyable habileté de la construction de ce roman, et enfin la beauté de son écriture. Le terme de chef-d’oeuvre est parfois galvaudé, il s’impose ici sans aucune contestation possible. 


14 commentaires:

  1. Aaaah , lu deux fois déjà, et il faudrait que je le relise, ton éclairage est intérssant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il est assez rare que je relise des livres. Mais celui-ci peut être lu et relu à l'envi !

      Supprimer
  2. Étudié (et adoré) en prépa et ton billet m’incitera à le relire !

    RépondreSupprimer
  3. c'est une bonne idée de le relire, d'autant que mon esprit a depuis été marqué par les adaptations cinématographiques... Je retiens l'idée :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai les images du film de Frears bien en tête. J'aimerais beaucoup le revoir. Dans mon souvenir, c'était une excellente adaptation, contrairement à celle de Forman, que j'apprécie pourtant beaucoup par ailleurs. Il faut dire que les acteurs étaient formidables.

      Supprimer
  4. C'est certainement intéressant de le relire dans le contexte actuel ; désespérant aussi de se dire que l'on n'avance pas vite et qu'il faut être sans cesse d'une extrême vigilance. Reste l'écriture, qui elle vaut toujours le détour.

    RépondreSupprimer
  5. Il est formidable en effet, avec en plus le charme du roman épistolaire. Très belle analyse aussi ici !

    RépondreSupprimer
  6. Une lecture que j'avais trouvé difficile (à l'époque, je n'étais pas habituée au roman épistolaire) mais qui m'avait marquée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La forme épistolaire est tellement maîtrisée ici qu'elle semble couler de source. En tout cas, on ne voit pas quelle autre forme aurait pu revêtir ce roman.

      Supprimer
  7. Oh oui !! Je l'ai lu deux, trois fois, je l'ai vu en pièce de théâtre, ... quel chef d'oeuvre, en effet !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sans oublier les adaptations cinématographiques ! Celle de Frears était tellement réussie.

      Supprimer