Juan Tallon
Le Bruit du Monde
Traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet
Le vol d’oeuvres d’art, y compris au sein de grands musées nationaux, n'est pas exceptionnel. Même si l’on se demande toujours comment les dispositifs de sécurité que l’on imagine drastiques peuvent être déjoués, force est de constater que l’imagination et l’habileté des malfaiteurs connaissent peu de limites. Mais parvenir à subtiliser une sculpture en acier de plusieurs mètres d’envergure et pesant 38 tonnes laisse pour le moins incrédule...
C’est pourtant ce qui est arrivé au musée d’art contemporain Reina Sofia de Madrid. En 2005, son personnel administratif s’aperçoit en effet que la pièce de Richard Serra considérée comme un chef-d’oeuvre demeure introuvable. Elle s’est purement et simplement volatilisée de l’entrepôt où elle était stockée ! Comment une telle chose défiant l’entendement a-t-elle pu être possible ? On dit souvent que la réalité dépasse la fiction : Juan Tallon s’est emparé de cette rocambolesque affaire pour la transmuer en matière romanesque.
Le récit prend alors la forme d’une enquête nourrie par une succession de témoignages allant de celui du sculpteur à celui de policiers de la brigade du patrimoine, en passant par des galeristes, des ingénieurs, des collectionneurs, des artistes, des critiques d’art, des agents de sécurité, des directeurs de musée, des responsables du ministère de la Culture, de simples fonctionnaires, des chauffeurs de taxi ou de poids lourd… ou encore l’écrivain lui-même ! Chacun de ces individus prend la parole à tour de rôle, et parfois à plusieurs reprises, pour apporter un éclairage particulier sur l’histoire de cette oeuvre et tenter de reconstituer son parcours, afin peut-être de la retrouver.
Le dispositif narratif est assez singulier puisqu’il n’y a pas de narrateur unique, pas plus que de narrateur omniscient ; le récit progresse au fil des multiples prises de parole se succédant à un rythme effréné. Pour autant - et en dépit de permanentes ruptures chronologiques - on n’est jamais perdu. Au contraire, on découvre peu à peu toutes les pièces d’un puzzle qui permet de dépasser la tentative de résolution d’une déroutante énigme pour se voir ouvrir les portes d’un univers peut-être plus mystérieux encore, celui de l’art contemporain.
On découvre ainsi les conditions de création de certaines oeuvres faisant désormais intervenir des matériaux que l’on aurait crus étrangers au domaine artistique, allant jusqu’à nécessiter le recours à des ingénieurs pour garantir la faisabilité et la sécurité d’un projet ; mais aussi la démarche intellectuelle qui préside à leur création ; les conditions d'organisation d'une exposition ; les enjeux politiques et de communication qui entourent les commandes artistiques et la gouvernance des musées ; les enjeux économiques d’un marché devenu spéculatif... En un mot, tout l’éco-système de l’art contemporain.
Juan Tallon nous propose ainsi un roman assez étonnant et fort intéressant qui suscite certainement plus de questionnements - tout à fait passionnants - qu’il n’apporte de réponses. Mais n’est-ce pas là le propre de l’art, et peut-être plus particulièrement encore celui de l’art contemporain ?
Il est vraiment arrivé ce vol, ou imaginé pour les besoins du roman ? Ça doit être intéressant à suivre en effet.
RépondreSupprimerAussi incroyable que cela puisse paraître, c'est une histoire vraie !
SupprimerMais as-tu aimé le livre au-delà de l’intérêt suscité ?
RépondreSupprimerMais oui ! J'ai été séduite par sa forme originale et j'ai trouvé le propos développé de manière très maline. Je l'ai lu d'une traite.
SupprimerTiens, et si on lançait une sorte de tour du monde des musées via la littérature ? Dénicher des romans de toutes origines avec ce prisme... qu'en penses-tu ? :-)
RépondreSupprimerMais c'est une super excellente idée, ça ! Et si tu la lançais sur notre groupe Art et littérature ?
Supprimeroh, ça a l'air intéressant même si le titre très pédant m'aurait d'emblée fait fuir :) Une histoire vraie en plus?
RépondreSupprimerViolette, je te rassure : ce titre ne caractérise pas le livre lui-même, mais bien l'oeuvre qui en est au coeur.
SupprimerUne réflexion sur l'art qui pourrait me plaire. Je note.
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