Bresson & Duphot
Marabulles, 2020
Eh oui, c’est bien d’un roman graphique que je vous parle aujourd’hui ! Une fois n’est pas coutume et je ne suis pas sûre d’en faire mon pain quotidien, mais dans certaines circonstances, quand l'esprit reste rétif aux seuls mots, le secours des images se révèle précieux. Ainsi cet album, trouvé à la bibliothèque il y a quelques semaines, fut-il le bienvenu. D’autant qu’il est assez remarquable.
Ne visant pas à faire une biographie exhaustive, ne s’inscrivant pas dans un déroulement chronologique, il s’attache à relater les épisodes clés de l’existence de Simone Weil. Partant de la présentation que la ministre fit de sa loi sur l’avortement devant l’Assemblée nationale en 1974, il alterne la narration avec l’évocation de l’enfance et de la jeunesse de Simone Weil jusqu’à sa déportation dans le camp d’Auschwitz. Cette construction n’a rien d’anecdotique et se révèle au contraire tout à fait judicieuse quand on connaît la violence et l’ignominie des attaques dont elle fut l’objet sur les bancs de l’Assemblée - et qui sont amplement rappelées dans ce récit. Les plus farouches opposants à l’avortement n’hésitèrent pas en effet à la renvoyer dos à dos avec les nazis, pensant sans doute, au-delà de l’abjection de leurs propos, appuyer sur un point faible de cette femme et ainsi plus sûrement la déstabiliser.
C’était mal la connaître. Simone Veil n’était pas femme à se laisser impressionner. Et bien que le soutien du président de la République et du premier ministre d’alors fût resté bien discret, elle porta sans faillir sa loi jusqu’au vote qui permit enfin aux femmes de disposer de leur corps.
L’alternance narrative de ces deux périodes met parfaitement en lumière la personnalité de cette femme hors du commun qui refusa toujours d’être considérée comme une citoyenne de seconde zone, en raison de son sexe ou de sa religion. Ainsi, le discours qu’elle prononça à son entrée à l’Académie française et dont les grandes lignes sont à la fin de l’ouvrage évoquées rappela-t-il les combats qui furent au coeur de son existence.
Côté graphique, le parti pris de la bichromie me semble tout aussi judicieux. D’abord parce qu’il apporte une forme de sobriété qui convient parfaitement au propos, mais aussi parce qu’il permet de distinguer visuellement les différents épisodes en leur attribuant à chacun une couleur différente (bleu pour les débats de l’Assemblée, jaune pour l’enfance, gris pour la déportation, rouge pour l’entrée à l’Académie). Mais ces tonalités impriment surtout une atmosphère particulière à chacune des séquences que l’on perçoit ainsi d’emblée.
Voici donc un excellent ouvrage à recommander à quiconque ne connaitrait pas, ou peu, l’histoire de cette grande femme (et qui constitue un précieux rappel pour les autres). Et, en ce qui me concerne, une lecture qui m’encouragera certainement à faire de plus amples incursions dans le champ du roman graphique…