Entretiens

mardi 16 novembre 2021

La France goy

Christophe Donner
Grasset, 2021



La France goy, en voilà un titre qui frappe ! Il renvoie immédiatement à La France juive, ce nauséabond pamphlet publié par Edouard Drumont dans les années 1880. C’est justement lui qui est au coeur de ce roman. Lui et quelques-uns de ses charmants amis, parmi lesquels Léon Daudet, lui-même lié à un certain Henri Gosset qui n’était autre que l’arrière-grand-père de Christophe Donner et qui a laissé une abondante correspondance sur laquelle l’écrivain a pu s’appuyer pour écrire son roman, par ailleurs formidablement documenté.


Il nous entraîne donc dans la France de la Belle Epoque, une France agitée, divisée, marquée par des positions radicales incarnées par des individus qui ne cherchaient nullement à faire l’économie de calomnies et préféraient bien souvent l’invective à l’esprit d’analyse (toute ressemblance, etc…). Donner restitue l’atmosphère de l’époque et relate parfaitement la manière dont Drumont, en créant notamment en 1892 le journal La libre parole, instille au sein de la société française un sentiment de haine obsessionnelle à l’égard des juifs, sentiment qui connaîtra son acmé au moment de l’affaire Dreyfus, avant de se muer à la veille de la Première Guerre mondiale en un féroce sentiment anti-allemand - qui ne demandait sans doute qu’à se réveiller depuis la défaite de Sedan. 


Vous me direz que tout ceci est aujourd’hui bien connu. A quoi je vous répondrai que certains rappels historiques ne sont jamais inutiles, surtout lorsqu’ils revêtent une forme aussi accessible et aussi enlevée que celle du roman de Donner. C’est bien simple, entre la vie qu’il prête à ses personnages, la précision et le détail avec lesquels il relate chaque scène et le rythme haletant qu'il donne à son récit, on se croirait dans l’un de ces trépidants feuilletons que publiaient les journaux du XIXe siècle !


La presse, justement. C’est peut-être bien elle qui est la véritable héroïne de ce roman et à coup sûr l’un de ses atouts majeurs. Car l’auteur nous rappelle ce qu’était le journalisme à cette époque : un milieu d’une vitalité incroyable, avec des tirages qui pouvaient grimper du jour au lendemain à un million d’exemplaires et où s’exprimaient des plumes souvent brillantes. Mais certains journaux étaient avant tout de véritables machines à modeler l’opinion publique, promptes à diffuser des informations non vérifiées, voire sciemment fallacieuses, cherchant moins à informer les lecteurs qu’à soulever leur indignation. 

Ce tableau extrêmement vivant nous entraîne à la fois du côté de l’extrême droite et des anarchistes qui entretenaient une rivalité dépassant bien souvent le simple cadre de leurs publications respectives. C’est peut-être pour ma part ce qui m’a le plus passionnée dans ce roman. D’autant qu’on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec notre époque. Car si la presse se porte aujourd’hui bien mal, les médias audio-visuels ont pris le relais et n'échappent pas toujours aux penchants fétides dépeints dans cet ouvrage, sans parler des déchaînements de violence verbale auxquels on peut assister sur les réseaux sociaux. Quand on voit où cela a mené, voilà qui devrait nous donner matière à réfléchir...


Christophe Donner nous promet une suite à ce roman, sur laquelle il serait déjà en train de travailler. Je l'attends avec impatience !

10 commentaires:

  1. Je l'avais repéré sans trop m'y attarder. Je vérifie tout de suite si ma bibliothèque l'a acheté. C'est chaud-bouillant comme thème.

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  2. C'est passionnant, vif, enlevé, documenté et riche. Le parallèle avec notre époque, oui... On ne se bat plus en duel (quelle époque!) et on répand la haine pareil, même si la loi sur la presse a un peu évolué. Cependant, c'est bien actuel.
    Les textes anti allemands de la fin, c'est complètement dément, des fakes news mais qui étaient crues.
    J'ai bien aimé aussi les méthodes d'institutrice relatés dedans, je trouve que c'est moderne pour l'époque.
    Bref, à lire. Oui je l'ai lu mais la flemme d'écrire un bilelt, comme très souvent.

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  3. Je l'ai repéré celui-ci, ça m'a l'air passionnant... J'espère avoir le temps d'arriver jusqu'à lui. Mais c'est un roman ou un essai ?

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    1. Oh, mais tu as lu mon article en diagonale, Nicole ! :-D
      C'est clairement un roman, et des plus enlevés !

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  4. C'est un roman passionnant qui en plus doit être lu dans notre situation actuelle !

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  5. Il a l'air de proposer une analyse intéressante des médias télés.

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    1. Alors, une très intéressante analyse du journalisme à une époque donnée, que l'on peut transposer à la nôtre. Mais dans ce roman, il s'agit bien de la fin du XIXe et du début du XXe. ;-)

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