Entretiens

samedi 19 janvier 2019

Des hommes couleur de ciel


Anaïs Llobet

L’Observatoire, 2019


Depuis qu’il a trouvé asile à La Haye, Oumar, jeune Tchétchène à peine sorti de l’adolescence, se fait appeler Adam. Le garçon qui vivait reclus dans une cave, redoutant les attaques russes, appartient désormais au passé.

Contrairement à son frère Kirem, il s’est très vite intégré à son pays d’accueil dont il apprécie la paix et le mode de vie, qui l'autorise à accepter son homosexualité. Il est parvenu à maîtriser parfaitement le néerlandais, à passer son bac et travaille désormais régulièrement dans un café où il est apprécié. C’est à sa seule prof de russe Alyssa, qui tait elle-même sa nationalité tchétchène pour s'appliquer à être une Néerlandaise irréprochable, qu’il a confié son rêve de devenir un grand réalisateur qui gravira un jour les marches du Festival de Cannes pour dénoncer le martyre subi par son peuple.

Mais lorsqu’une bombe explose dans son ancien lycée où est à présent scolarisé son frère, tout bascule. Il s’agit d’un attentat, et Kirem apparaît rapidement comme le principal suspect. Tandis que la population pleure ses enfants morts, Oumar doit répondre des accusations de complicité qui lui sont faites.
Mais plutôt que de fournir son alibi, il se mure dans le silence.

Que pourrait-il dire ? S’il parle, il signe son arrêt de mort : l'un ou l'autre membre de sa communauté le tuera. A tout prendre, mieux vaut encore être considéré comme un monstre par le peuple qui l’avait accueilli. 

Je m’en voudrais de vous en dire davantage, tant le roman d’Anaïs Llobet est admirablement construit: elle installe dès les premières lignes une tension dramatique qui ne se relâche à aucun moment. 
Si elle nous entraîne sur le terrain du terrorisme, c’est pour nous parler d’un peuple que cette jeune journaliste connaît bien, ayant vécu cinq ans à Moscou et, de là, effectué plusieurs séjours en Tchétchénie. Mais elle parvient à articuler le contexte du terrorisme avec la question de l'identité sans que l'un ou l'autre n'apparaisse jamais artificiel. Son intrigue se tient de bout en bout, et elle révèle parfaitement à quel point les idées reçues et les héritages culturels peuvent peser lourd.
Elle montre combien le regard posé sur l'étranger peut être exempt d'une véritable à attention et la manière dont il peut changer brutalement en fonction des événements. Mais elle révèle surtout avec beaucoup de justesse l'impossibilité à trouver un espace pour qui n'a plus sa place dans sa communauté d'origine, la nécessité de renvoyer une image qui ne correspond pas à ce que l'on est intimement et la difficulté à exister qui en résulte. Ni angélisme ni manichéisme dans l'approche d'Anaïs Llobet et c'est ce qui fait toute la force de son roman.  


Je vous encourage également à lire l'excellent billet de Nicole, aussi enthousiaste que moi.

 

8 commentaires:

  1. Mais que c'est bien ces jolies chroniques qui fleurissent sur les blogs pour parler de ce livre qui le mérite tant ! Tu as raison de souligner la construction admirable qui donne à ce roman une terrible efficacité :-)

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    1. Oui, franchement, je suis impressionnée par le parcours et la maîtrise narrative de cette jeune femme !

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  2. Allez, c'est noté, Nicole et toi m'avez convaincue !

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    1. En voilà une bonne nouvelle ! Tu ne devrais pas être déçue.

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  3. Sacré roman oui! Très révélateur de ce que nous nous refusons bien souvent de voir également.

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  4. Premier livre reçu dans le cadre des 68, j'ai beaucoup aimé aussi. La construction, l'écriture, ce que cet événement nous dit de la guerre, l'exil, l'identité, l'intégration, du traitement des homosexuels. Tout cela sonne très juste, on sent le vécu chez cette auteure.

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    1. Oui, je crois que de là vient sa force. L'auteure connaît bien le pays d'où viennent ses personnages.

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