Entretiens

samedi 18 février 2017

Une bouffée d’air pur

Amulya Malladi

Mercure de France, 2017


Traduit de l’anglais (Inde) par Geneviève Leibrich


Un très beau portrait de femme

Un titre simple, un bandeau aux couleurs chatoyantes évoquant un pays dont j’apprécie particulièrement la littérature : il n’en fallait pas davantage pour attirer mon attention sur ce premier roman d’une auteure indienne totalement inconnue en France. La quatrième de couverture m’apprenait rapidement qu’il y était question de la tragédie de Bhopal. Sont alors remontés des souvenirs profondément enfouis dans ma mémoire. J’étais très jeune alors, en ce 3 décembre 1984, mais je me souviens confusément du sentiment d’effroi et du scandale qu’avait provoqués cette terrible catastrophe que constituait l’explosion d’une usine de pesticides appartenant à une firme américaine.

Le roman s’ouvre sur cette funeste nuit. Il est tard, et la jeune Anjali attend son mari à la gare, où il est censé venir la chercher. Mais il se fait attendre. Lorsqu’une impression horrible l’assaille, comme si de la poudre de chili rouge s’était introduite dans ses narines, et qu’un mouvement de panique s’empare de la foule, elle ne cherche plus qu’une chose, se sauver de cet endroit devenu irrespirable. Avant de perdre connaissance, elle a le temps de voir des dizaines de personnes s’effondrer autour d’elles et de penser qu’elle va périr à son tour... 

Lorsqu’on retrouve Anjali, quelque seize années se sont écoulées. Elle a quitté Bhopal pour Ooty, dans le sud du pays, et mène une vie simple avec son nouvel époux et son fils Amar, âgé de douze ans, qui souffre de graves troubles respiratoires, conséquences des gaz extrêmement toxiques qu’a inhalés sa mère. La rencontre inattendue avec son ex-mari Prakash, alors qu’elle est en train de faire son marché, va ramener Anjali vers son passé et l’on va  peu à peu découvrir toute la vie de cette femme.

Une vie peu ordinaire pour une Indienne. Anjali a en effet demandé et obtenu le divorce avant de se remarier. Indépendante, Anjali travaille comme institutrice. Son salaire et celui de son mari professeur suffisent tout juste à payer les soins très lourds que nécessite la maladie d’Amar, dont les poumons et le cœur sont sévèrement atteints. 
J’avoue avoir été tout d’abord surprise par ce personnage dont la liberté de pensée, et surtout le mode de vie, me paraissaient bien mal correspondre à ce que je connais de la société indienne. Mais on découvre qu'Anjali a d’abord été cette jeune fille façonnée par les schémas ancestraux transmis de génération en génération et véhiculés par le cinéma bollywoodien : une jeune fille qui ne songeait qu’à se marier avec un bel homme dont elle élèverait les enfants et qu’elle accompagnerait jour après jour en épouse accomplie. Un rêve qu’elle croit réaliser en se mariant fastueusement avec le bel officier Prakash. La terrible nuit de noces annoncera pourtant les déconvenues qui s’ensuivront...

Amulya Malladi délivre progressivement les éléments qui permettent de comprendre comment son personnage a pu connaître une telle évolution. Et cette femme hors du commun finit par apparaître extrêmement crédible. Elle connaît des sentiments qui nous semblent très naturels compte tenu de tous les événements qu’elle a traversés, tant dans sa vie intime qu’en raison des séquelles que lui ont laissées le drame de Bhopal. Et si elle fait des choix de vie qui vont à l’encontre de sa culture, elle se heurte sans cesse aux préjugés, dont l’auteure parvient à nous montrer à quel point ils prennent le dessus dans les relations qui régissent les individus, jusque dans les aspects les plus privés de leur vie.
Amulya Malladi signe un très beau roman, dans lequel la sphère intime et la catastrophe de Bhopal, qui a été un véritable traumatisme pour la société indienne, se mêlent habilement pour proposer un superbe portrait de femme, mais aussi un tableau très convaincant de son pays.

La version en langue anglaise de Wikipedia m’apprend que Malladi a écrit six autres livres après celui-ci, paru en 2002 aux Etats-Unis où elle vivait alors. Je m’adresse donc à l’éditeur : à quand la traduction en français de tous ces romans ?




10 commentaires:

  1. Lecture très tentante, surtout écrite par une indienne. Sur le drame de Bhopal, j'avais lu un bon roman il y a quelques années : http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2011/05/03/21041959.html

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    1. Merci pour le lien, Aifelle. C'est assurément un livre pour moi, ça (et publié chez un excellent éditeur !)

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  2. J'aurais pu écrire le commentaire d'Aifelle, nous avons lu le même roman. Celui que tu présentes a tout pour me plaire (et cela fait longtemps que je n'ai pas lu de littérature indienne)

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    1. Je pense en effet qu'il pourrait te plaire. Franchement, je l'ai lu d'une traite. Pour un premier roman, il était extrêmement maîtrisé.

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  3. Je connais bien trop peu la littérature indienne, il faudrait que je me penche sur la question..!

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    1. Il y a vraiment des textes et des auteurs intéressants. Des femmes notamment. Je dois dire que c'est un pays dont la culture m'attire furieusement... même si le statut de la femme a tout pour me faire fuir. Mais de nombreuses voix s'élèvent...

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  4. Longtemps que je n'ai pas lu de littérature indienne. Et si tu veux retrouver de jolis portraits de femmes émancipées aux caractères bien trempés, je te conseille de lire Bulbul Sharma.

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    1. Ah ! Merci à toi Jérôme pour ce conseil de lecture ! Je ne connais pas du tout cette auteure qui semble avoir tout pour me plaire, en effet ;-)

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  5. j'ai adoré ce roman également et j'espère aussi que d'autres traductions suivront

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    1. C'est vraiment dommage qu'on n'entende pas plus parler de ce roman. J'espère néanmoins que ses autres livres seront traduits...

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