Sandra Reinflet
Jean-Claude Lattès, 2017
Voilà un livre vers lequel je ne serais sans doute jamais allée sans cette formidable association initiée par l’Insatiable Charlotte : les 68 Premières fois. Destinée, lors de chacune des deux rentrées littéraires annuelles, à aider les primo-romanciers à émerger de la marée de publications en faisant circuler leurs romans parmi des lecteurs avides de s’écarter des chemins balisés par les médias et les prix littéraires, elle permet de sortir de ses petites habitudes. Guetter sa boîte aux lettres, y trouver enfin un soir l’enveloppe tant attendue, l’ouvrir pour découvrir le titre qu’elle contient, tout cela est très excitant. Echanger ensuite son point de vue avec d’autres lecteurs est totalement réjouissant.
Evidemment, les rencontres sont aléatoires. Dans la sélection de cet hiver 2017 se trouve le merveilleux récit de Maryam Madjidi, Marx et la poupée, que j’avais lu avant même d’avoir adhéré à l’association. La barre était donc placée très haut, tant ce texte m’était apparu incroyablement maîtrisé.
Il est bien plus joyeux de chanter les louanges d’un livre que de révéler une déception, surtout lorsqu’il s’agit d’un premier roman. On imagine en effet à quel point sa réception par le public peut être importante pour l’auteur. Mais c’est le jeu, et je vais donc tâcher d’expliquer en quoi le livre de Sandra Reinflet ne m’a pas convaincue.
Disons-le d’abord, tout de même, il se lit très facilement. A aucun moment je n’ai pensé que je n’en verrais pas le bout. Sa lecture a au contraire été très rapide. Mais dès le départ, j’avoue avoir été irritée par l’écriture : des phrases brèves, parfois nominales, qui se succèdent à un rythme effréné pour suggérer une urgence, une inscription dans un présent supposément intense, des mots censés exprimer la révolte de l’adolescente. Mais cela m’a paru assez convenu, artificiel, et ne parvenait pas pour moi à masquer une absence de chair, de profondeur du propos. On ne sait rien de ce qui justifie cette rage. Et pour cause, sans doute, au vu de la suite...
On a affaire à une toute jeune lycéenne qui vient d’obtenir son bac. Comme il est assez courant à son âge, Camille rejette le mode de vie de ses parents, et attend de la vie qu’elle comble ses rêves d’artiste en devenir. A la suite d’une déception amoureuse, Camille fugue et traverse l’Europe en stop pour retrouver celle qui a disparu du jour au lendemain et qui ne répond plus à ses appels, pas plus qu’à ses mails ni à ses sms.
Mais que cette Camille a de la chance ! De Paris à Cracovie, elle ne tombe que sur de bons samaritains qui lui offrent gîte et repas, vêtements neufs, et même à l’occasion un billet d’avion ! Elle voyage avec des camionneurs qui la traitent comme leur petite sœur ! Aussi atteint-elle sa destination sans encombre. Bref, côté crédibilité - et même côté romanesque, à vrai dire - on reste un peu sur sa faim.
Mais ce n’est encore rien à côté de la fin du récit. Sans trop vouloir le déflorer, Camille va, à l’occasion de la survenue d’un événement aussi dramatique qu’inopiné, se rapprocher de sa mère, découvrir son histoire et s’apercevoir qu’elle fut comme elle une adolescente en rupture avec ses parents qui, une fois devenue mère à son tour, tenta - maladroitement - de protéger sa fille des déconvenues qu’elle connut elle-même et qu’offre trop souvent l’existence. Rien que d’assez ordinaire, en somme.
Voilà, Camille a donc fait son apprentissage et peut désormais reprendre ses études et le cours de sa vie, pour devenir à son tour adulte, en essayant toutefois de ne pas perdre entièrement sa fraîcheur et ses rêves d’enfant... (Et comme l’une des rencontres qu’elle a faites au cours de ses pérégrinations lui a permis de commencer à publier ses dessins, tout devrait se passer pour le mieux.) Rien de plus, rien de moins. Finalement, la vie, ce n’est pas si compliqué.
Vous me trouverez sans doute sévère. Mais ceux qui me connaissent savent que je suis assez entière. Mes coups de gueule n’ont d’égal que mes enthousiasmes. Je ne conçois la littérature qu’ainsi, jamais dans la tiédeur. Et je ne doute pas, au vu des premiers commentaires que j'ai pu apercevoir sur le site dédié aux membres des 68 Premières fois, que d'autres lecteurs viendront m'apporter la contradiction !
Il ne me reste qu’à attendre un prochain envoi, avec toujours la même curiosité.
Ceci est ma propre perception du roman, voici les commentaires d'autres lectrices : Joëlle et Sabine
Les 68 Premières fois, sélection de janvier 2017
Elle voulait juste marcher tout droit de Sarah Baruck, Albin Michel
La sonate oubliée de Christiana Moreau, Préludes
La téméraire de Marie Westphal, Stock
Les parapluies d’Erik Satie de Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld
Marguerite de Jacky Durand, Carnets Nord
Marx et la poupée de Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila
Mon ciel et ma terre de Aure Attika, Fayard
Ne parle par aux inconnus de Sandra Reinflet, Jean-Claude Lattès
Nous, les passeurs de Marie Barraud, Robert Laffont
Outre-mère de Dominique Costermans, Luce Wilquin
Presque ensemble de Marjorie Philibert, Jean-Claude Lattès
Principe de suspension de Vanessa Bamberger, Liana Levi