Entretiens

samedi 21 mai 2016

Enfants du diable

Liliana Lazar

Le Seuil, 2016



Une chronique de la Roumanie de Ceauşescu

S’il y a une chose que j’aime bien faire de temps à autre, c’est choisir un livre au hasard en librairie ou, comme ici, à la bibliothèque, me laisser séduire par la seule foi d’une couverture - bon, évidemment, quand elle est uniquement typo comme dans cette collection au cadre rouge, l’impact est assez limité -, ou par l’attrait d’un titre ou d’un texte de quatrième. L’idée d’embarquer pour une destination à laquelle je ne songeais pas quelques minutes auparavant m’est assez plaisante.
J’ai donc pris un aller simple pour la Roumanie de Ceauşescu, sous la conduite d’une auteure qui m’était totalement inconnue. Le voyage promettait évidemment d’être rude, d’autant que l’action se situait dans un des nombreux orphelinats que comptait alors le pays. Au feuilletage, l’écriture semblait toutefois fluide et paraissait éviter le pathos.

Le fait est que l’héroïne de ce roman, une sage-femme ayant adopté un nouveau-né après avoir convaincu la jeune veuve qui le portait de ne pas avorter, est un personnage assez ordinaire qui n’attire pas particulièrement la sympathie, mais ne suscite pas non plus l’aversion. Elena Cosma est une femme qui suit les consignes officielles, qui sait tirer quelques avantages du statut offert par sa profession, une femme qui sait manœuvrer pour préserver sa situation, mais une femme qui sait aussi faire preuve de discernement, capable également d’empathie, enfin une femme en mal d’amour prête à prendre des risques pour chérir enfin l’enfant qu’elle n’a jamais pu concevoir.

Liliana Lazar, Roumaine installée en France depuis 1996, raconte très sobrement l’histoire de cette femme qui cherche à mener une existence simple, dans un pays où survivre est une lutte de tous les instants. Avec une économie de moyens, elle dépeint la détresse et le dénuement d’un peuple trop souvent contraint d’abandonner ses enfants faute de pouvoir les élever.
C’est que le Conducator avait promulgué une loi interdisant l’avortement et contraignant les femmes en âge de procréer à faire au moins cinq enfants afin d’accroître la population roumaine. Dans le même temps, il fit construire des orphelinats pour recueillir ces bébés et asseoir ainsi la primauté de l’Etat sur la famille.

Afin de mettre de la distance entre le petit Damian et la mère biologique de ce dernier, Elena quitte Bucarest pour prendre la direction du dispensaire d’un petit village du nord du pays. Lorsque la décision est prise d’y bâtir un orphelinat, c’est assez naturellement qu’elle en assure le suivi médical des enfants, puisqu’il n’y a aucun autre professionnel de santé à des kilomètres à la ronde.

La description que donne l’auteur de ces établissements est proprement glaçante : bâtiments insalubres, nourriture douteuse et mauvais traitements y sont le lot quotidien. Liliana Lazar ne s’appesantit pas, mais elle distille quelques détails et quelques brèves scènes qui permettent de donner la mesure de l’horreur. Ainsi le surnom de Vlad l’Empaleur dont est affublé l’un des « éducateurs » donne-t-il une idée assez terrifiante des sévices infligés aux jeunes pensionnaires...
Et la chute du dictateur ne mettra pas fin au calvaire de ces enfants, parmi lesquels des Occidentaux viendront faire leur marché, comme ils achèteraient une paire de chaussures ou un meuble, retournant parfois au fournisseur l’article jugé défectueux...

Liliana Lazar m’a donné parfois l’impression de mener son récit avec une étonnante distance, voire un certain détachement, ce qui m’a, je l’avoue, d’abord un peu déconcertée. Mais elle sait glisser ici ou là quelques phrases suggérant l’horreur de ce qu’a connu ce pays et plus particulièrement de ce qu’ont vécu ces enfants dits «du diable». D’une phrase, elle parvient de manière tout à fait inattendue à faire surgir l’horreur et naître l’effroi. Et finalement, je lui sais gré de ne pas avoir insisté sur les aspects les plus révoltants et les plus sinistres de ce régime. Sans doute la lecture de son roman aurait-elle été sans cela insupportable.



15 commentaires:

  1. Encore un roman dont je n'avais pas entendu parler, mais qui me paraît très intéressant. Je note, je note. ;-)

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    1. Tu vas me faire culpabiliser, Miss Leo ! On dirait que ta PAL grossit chaque fois que tu me rends visite ;-)

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  2. Je garde un excellent souvenir de son roman "Terre des affranchis" et je la relirai volontiers. C'est sûr que l'histoire récente de la Roumanie n'a rien d'un roman à l'eau de rose ...

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    1. Peut-être quant à moi lirai-je ce précédent roman, que plusieurs lectrices ont mentionné à l'occasion de ce billet...

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  3. Comme Aifelle : Terre des affranchis était un très bon premier roman, et je m'étais promis de garder un oeil sur l'auteure. Affaire à suivre, donc ! ;-)

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    1. C'est bien ce que je disais : affaire à suivre pour moi aussi avec son premier roman ;-)

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  4. Ah tu l'as lu... Je l'avais noté suite à un billet de Clara mais pas encore eu le temps. C'est dur quand même comme sujet...

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    1. Le sujet est extrêmement dur, mais le traitement, comme je l'explique dans mon billet, permet de l'aborder sans trop de souffrance. L'auteur ne fait que suggérer les choses les plus dures, mais pour le coup de manière tout à fait habile et sans équivoque. C'est assez remarquable, je trouve.

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  5. J'avoue qu'il ne me tente pas du tout celui-là.

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    1. Le sujet ?
      Quoi qu'il en soit, tant mieux pour ta PAL ;-)

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  6. J'ai trouvé que le ton justement permettait de ne pas tomber dans un excès d'horreur.

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  7. J'ai vu ce livre conseillé par un petit libraire près de chez moi et ta chronique me donne d'autant plus envie de le découvrir

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