Celeste Ng
Sonatine, 2016
Traduit de l’américain par Fabrice Pointeau
La dissection d'un cercle familial des plus réussies.
Un éditeur - Sonatine -, une couverture au fond noir, un cadavre évoqué dès la première ligne du texte de quatrième de couverture : je croyais bien là tenir un thriller.
Si l’on se demande en effet très vite comment la jeune Lydia, seize ans, a bien pu se retrouver noyée au fond d’un lac, à quelques mètres seulement de son domicile, le suspense n’est pourtant pas véritablement haletant.
C’est que la question qui intéresse l’auteur n’est pas tant qui ou pourquoi que comment. Et c’est ce qui fait tout l’intérêt et toute l’originalité de ce roman. C’est alors à une enquête psychologique que se livre Celeste Ng.
Lydia s’est-elle suicidée, comme le conclut la police ? A-t-elle suivi quelqu’un qui l’a précipitée dans l’eau, comme le pense sa mère ? A-t-elle été victime d’un jeune garçon qui lui aurait brisé le cœur, comme le croit son frère ?
Celeste Ng va dérouler la courte vie de l’adolescente et remonter le fil de celle de ses parents pour mettre au jour toutes les contradictions, toutes les oppositions, toutes les frustrations, mais aussi tous les espoirs et toutes les aspirations qui se trouvent au cœur de cette famille et qui ont façonné chacun de ses membres, pour parvenir au point de tension extrême qui a fini par provoquer une rupture.
Ce qui est particulièrement bien étudié, c’est la manière dont l’histoire intime de chacun des parents va se cristalliser chez leurs enfants en un ensemble de projections inconciliables qui se révéleront impossibles à dépasser.
La tension naît des histoires extrêmement contrastées du père et de la mère, le premier étant un fils d’immigrés asiatiques ayant toujours cherché à s’intégrer et à faire oublier ses origines sans jamais y parvenir, tandis que la seconde souhaitait à tout prix s’écarter du modèle de femme au foyer que sa propre mère lui avait imposé, modèle auquel elle avait cru un temps pouvoir échapper. Tandis que l’un cherchait à se fondre dans la masse, l’autre cherchait désespérément à s’en distinguer. Malgré les apparences, tous deux se sentent en situation d’échec.
Celeste Ng démonte parfaitement les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans la construction d’un individu, et c’est ce qui rend le roman passionnant. Elle analyse les phénomènes de transmission de parents à enfants. Bien sûr, les oppositions ne sont pas toujours aussi marquées au sein d’un couple, et elles ne produisent heureusement pas fatalement de tels drames. Toutefois, en grossissant le trait, l’auteure construit une trame narrative convaincante. Le lecteur peut être amené à s’interroger sur sa propre histoire, les valeurs qu’il a reçues en héritage et qu’il transmet à son tour, sans toutefois avoir à craindre des conséquences aussi tragiques... du moins faut-il l’espérer!
Ce roman fait l'unanimité. Voyez chez Clara, Eva, Kathel, Laure, Nicole... et bien d'autres, sans doute !