Entretiens

dimanche 17 avril 2016

La Grande Arche

Laurence Cossé

Gallimard, 2016



D'un sujet plutôt technique, mais aussi très politique, l'auteur a su tirer une passionnante épopée !

Une fois n’est pas coutume, les chroniqueurs du Masque et la Plume étaient unanimes à saluer la parution du dernier livre de Laurence Cossé! Une question semblait toutefois les diviser : savoir s’il s’agissait ou non d’un roman.
C’est que la matière même de ce texte est tellement rocambolesque qu’il suffisait d’en faire le simple récit - encore fallait-il tout le talent de l’auteur - pour offrir au lecteur ébahi l’incroyable odyssée qu’est l’histoire de la Grande Arche de la Défense ! 

Avec l’Opéra Bastille, la Pyramide du Louvre, l’aménagement du parc de la Villette ou la Très Grande Bibliothèque, ce monument fait partie des grands travaux voulus par François Mitterrand pour laisser sur la Ville lumière l’empreinte tangible de son « règne ». Le projet d’aménagement de cette zone avait cependant été initié du temps de Georges Pompidou. Mais quant à définir la forme architecturale du bâtiment à venir, la polémique était si vive, s’agissant de savoir s’il devait s’inscrire ou non dans la perspective définie par la Concorde et l’Arc de Triomphe, que ni ce président ni son successeur ne parvinrent à le réaliser. Il fallut l’implacable volonté de Mitterrand et l’apparition d’un architecte poète pour que l’édifice voit enfin le jour.
Aujourd’hui, lorsqu’on voit ce bâtiment, on n’imagine pas l’hallucinante histoire qui est la sienne. D’abord parce sa forme est d’une simplicité biblique. Un cube, ni plus ni moins. C’est d’ailleurs ainsi que le nommait son créateur, le Danois Spreckelsen : c’était son Cube. Mais les choses les plus élémentaires sont souvent les plus difficiles à maîtriser. Cette Arche, comme on la nomme à présent, constitue en fait une véritable prouesse technique. Sa construction fut une succession de défis que s’efforcèrent de relever ingénieurs et entrepreneurs. Avec plus ou moins de bonheur...

Le livre de Laurence Cossé, remarquablement documenté, est le fruit de plusieurs années de recherches et de travail. Mais jamais on n’a l’impression de lire une ennuyeuse synthèse historique. D’abord parce que cet auteur possède un véritable talent de narration et un sens de la formule tout à fait incisif. Ensuite parce que les héros de cette épopée sont des personnages absolument hors du commun.
Nul besoin de présenter Mitterrand. Il apparaît ici tel qu’en lui-même : un sphinx déjà rompu à l’exercice du pouvoir, entouré d’une cour prompte à exécuter le moindre de ses désirs...
Celui que l’on connaît moins, en revanche, c’est Johan Otto von Spreckelsen, dit Spreck. C’est pourtant l’architecte danois qui remporta le concours international qui avait été organisé, alors même qu’il n’avait jusqu’alors construit qu’une maison et quatre églises...

Spreck avait dessiné un rêve. Il fallait désormais le bâtir...
Lui furent adjoints les services d’un architecte français, Andreu, pragmatique et expérimenté, qui devait conduire les travaux et trouver les réponses techniques aux improbables défis posés par le projet de Spreck.

A lire ce roman, on se demande comment la Grande Arche a pu voir enfin le jour et par quel miracle elle tient encore debout ! Contraintes techniques, conflits de personnalités et d’intérêts, changement de gouvernement, dépassements et restrictions budgétaires... tout s’est conjugué pour empêcher que le rêve ne s’accomplisse. Spreckelsen en est mort, il a refusé de signer son œuvre, mais l’Arche est là et elle compte désormais parmi les grands monuments parisiens...

Si le livre de Laurence Cossé est passionnant, c’est qu’il dévoile tout l’envers du décor : enjeux de pouvoir - on se croirait chez les Médicis! -, retournements économiques et politiques, pressions financières, enfin - et peut-être surtout - le hiatus qui peut exister entre une expression artistique et sa mise en œuvre concrète, avec tout ce que cela implique en termes de contraintes techniques et de coûts... 

L’autre attrait du livre - et non des moindres - est la mise en lumière de ce qu’on pourrait nommer « l’esprit français ». En effet, le Danois Spreckelsen ne comprit jamais le fonctionnement de ce pays qui lui avait réservé un accueil triomphal, mais ne lui sembla jamais respecter son œuvre. Avec finesse, humour et ironie parfois, Laurence Cossé souligne le fossé qui sépare deux cultures. Elle fait ainsi un portrait de notre peuple, sans complaisance mais sans aigreur, avec même, m’a-t-il semblé, une pointe de tendresse.

Un récit très riche, donc, très instructif, qui a la saveur d’une grande épopée. Un vrai plaisir de lecture dont vous auriez bien tort de vous priver !







22 commentaires:

  1. Il me tente bien. Je n'entends et ne lis que des critiques positives à son sujet... il va finir dans ma PAL un de ces jours. Merci pour cette belle chronique !

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    1. Cela ne me surprend guère. Comme je le précise au début de mon billet, même les différents chroniqueurs du Masque parlaient d'une seule voix, c'est dire !

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  2. Tu m'as convaincue ! J'avoue que je ne m'étais pas trop intéressée à ce livre parmi les parutions de la rentrée, voilà que ta chronique fait plus que réparer cette lacune. (mais ma liste... la longueur de ma liste... ;-) )

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    1. Oui, je vois ce que tu veux dire... Mais celui-ci vaut vraiment le coup ;-)

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  3. J'ai lu deux bouquins de Laurence Cossé , très différents et tres chouettes tous deux
    ( Au bon libraire, une sorte de thriller sur l'art de la librairie, et Les amandes amères sur une tentative d'alphabétisation qui échoue ) celui risque donc d'être le troisième :-)
    Je n'avais pas encore entendu parler de ce titre, dis donc

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    1. Quant à moi, c'était le premier, mais je risque bien d'en lire d'autres... Au bon libraire me tente bien, au vu du sujet et du traitement.

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  4. Je l'ai pris directement au salon de limoges (et j'ai une dédicace!!!) je l'ai dévoré la semaine dernière, et maintenant, écrire un billet!Je recommande fortement cette lecture, qui passe très très bien (alors que, au départ, ces histoires là...)

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    1. Oh la chance !
      Rendez-vous mercredi sur ton blog, donc. J'ai hâte de lire ton billet !

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  5. Tu en parles avec enthousiasme (et très bien) mais le sujet ne m'attire pas une seconde !

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  6. J'avais écouté "le masque et la plume" et noté aussitôt ce roman. Drôlement allécheant, même si comme Jérôme, le sujet de départ ne me branche pas.

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    1. Mais je sens malgré tout que tu te laisserais bien tenter… Je ne peux que t'y encourager !
      Comme le souligne Keisha, il ne faut pas se laisser impressionner par le sujet, car le traitement est vraiment génial !

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  7. Comme Jérôme et Aifelle :-) J'aime ton enthousiasme mais le sujet ne me tente guère (et ma liste de livres en attente déjà si longue...)

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    1. Sauf qu'Aifelle me semble prête à sauter le pas…
      Quoi qu'il en soit, tu le sais bien, en littérature le traitement compte au moins autant que le sujet...

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  8. Pas certaine de vouloir sortir de ma zone de confort avec ce titre là mais j'aime ton enthousiasme !

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  9. Le sujet ne m'emballe pas beaucoup, mais à lire ton enthousiasme, je me dis qu'il doit vraiment être traité avec originalité et brio...

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    1. Je te renvoie au commentaire de Keisha, un peu plus haut ;-)

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  10. Dernière page tournée à l'instant , billet à suivre ! ...mais quand

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  11. Lu grâce à ton billet et.. coup de coeur !

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    1. Alors ça, ça fait toujours plaisir :-))
      Je file lire ton billet !

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