Entretiens

mardi 9 février 2016

La destruction du Parthénon

Christos Chryssopoulos

Actes sud, 2012


Traduit du grec par Anne-Laure Brisac


Une passionnante réflexion sur la relation que l'on entretient avec son patrimoine et sa culture.

Yueyin a eu l’excellente idée de proposer une année grecque, qu’elle a lancée avec un petit livre tout à fait passionnant. Petit, il l’est certes par son format de quelque 94 pages, notes incluses. Mais ô combien vaste est le champ de réflexion qu’il ouvre !

A quoi songeons-nous lorsqu’on évoque la Grèce ? En tout premier lieu, on pense Antiquité, dieux et héros, et bien sûr l’image du Parthénon vient très vite à notre esprit. Athènes n’est pas une ville que l’on connaît forcément très bien. On n’y fait bien souvent qu’une halte avant de s’envoler vers une autre destination - les Cyclades, le Péloponnèse ou les Météores. A cette occasion, on ne manque pas de gravir l’Acropole, dominée par le majestueux édifice. Mais Athènes saurait-elle se réduire à ce monument?

D’après Chryssopoulos, le Parthénon tiendrait en tout cas une place bien trop importante dans la psyché grecque. Représentation d’une harmonie parfaite, manifestation insurpassable de perfection, cet édifice écraserait de son poids toute velléité d’innovation et de créativité. Pire encore, elle retiendrait les Grecs captifs d’un passé idéalisé qui les priverait de toute perspective d’avenir. Et nul ne semblerait pouvoir y échapper : refuser de lui rendre un culte équivaudrait à s’exclure de la communauté.

Dès lors, pour se libérer de cet envahissant symbole et pouvoir enfin aller de l’avant, une seule chose resterait à faire : le détruire. C’est ce qu’imagine Chryssopoulos, qui donne successivement la parole à l’un des gardiens du temple, puis à celui qui a commis l’inconcevable avant de reprendre les témoignages de quelques individus qui, dans les années 1940, exprimèrent réellement ce qu’ils considéraient comme la seule voie possible.
Ce texte rend compte de l’effroi et du désespoir que ce geste irréparable ne manquerait pas de provoquer au sein de la population, si celui-ci devenait réalité. Il est évident que l’émotion dépasserait les frontières de ce pays, tant l’Europe est imprégnée de la culture grecque. Détruire les traces tangibles de l’histoire de l’humanité est traumatisant pour chaque individu - la destruction du site de Palmyre, en Syrie, nous l’a malheureusement récemment démontré. On ne fait pas impunément fi de sa mémoire.
Mais ce qu’interroge brillamment Chryssopoulos, c’est notre capacité à nous émanciper de ce qui est constitutif de notre identité, notre capacité à nous projeter hors des limites de ce qui nous est familier. 
Le Parthénon a pour lui la force et la permanence de la pierre. En outre, de par sa position en surplomb de la ville, il impose sa domination de manière extrêmement manifeste. Mais il en va de même de tout ce qui constitue notre culture : textes, images, croyances... Nous en avons intensément besoin, mais nous devons également savoir être critique à son égard, ne pas la sacraliser et continuer à inventer sans rester tourné vers le passé. 
Le chemin que doit accomplir chaque génération, en somme !

Je me réjouis de découvrir d'autres textes de ce pays que j'aime tant... et dont je connais si peu les auteurs contemporains !

Et donc Yueyin a commenté ce livre.















18 commentaires:

  1. Superbe billet qui résume admirablement le champ de réflexion que ce petit livre noys ouvre, à nous limitons si souvent la Grèce à un passé prestigieux mais lointain :-)

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    1. Et oui, nous aussi sommes victimes du poids du Parthénon ;-)

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  2. Déjà vu chez Yueyin, tu confirmes donc ! Je ne sais pas si j'aurais le temps de le lire pour le challenge, mais c'est noté.

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    1. Cette lecture restera intéressante, quel que soit le moment où tu la feras.

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  3. Bonne idée de lire grec! Pour l'instant je n'ai noté que des polars (markaris) tout dépend de la bibli en fait.

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    1. Oui ! Il apparaît qu'on connaît très mal cette littérature et peu d'auteurs nous viennent spontanément à l'esprit. C'est vraiment l'occasion de faire des découvertes !

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  4. Super ! j'ai déjà lu un Markaris, et je cherchais d'autres idées de lecture, ce livre me semble donc parfait!

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    1. Quant à moi, j'ai bien noté Epilogue meurtrier, suite à ton billet. Je l'ai réservé à la bibliothèque ;-)

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  5. Intéressant... Dernièrement j'ai beaucoup aimé le livre de Vassilis Alexakis (grec mais écrivant aussi en français), La clarinette, réflexions sur la Grèce (il vit entre les deux pays) et hommage à son ami Jean-Marc Roberts. Si tu es dans ce thème, je pense qu'il t'intéressera.

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    1. A vrai dire, je n'ai pas franchement accroché avec La clarinette.
      Pourtant, Alexakis est un auteur pour lequel j'éprouve une véritable tendresse. Je l'avais découvert il y a bien longtemps avec La langue maternelle, que j'avais trouvé très intéressant.

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  6. C'est étrange comme réflexion, estimer qu'il faut détruire les chefs d'oeuvre parcequ'ils sont trop beaux, trop aimés, trop présents, trop quelque chose. Pourquoi ne pas plutôt penser comme les sages médiévaux que nous sommes des nains sur les épaules des géants : ils sont grands, forts, imposants mais nous les dépassons puisque nous nous nourrissons d'eux !

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    1. Et bien, c'est une réflexion qui peut apparaître - et qui est - extrêmement provocatrice et qui vise à montrer combien on peut se sentir prisonnier de ce que nous admirons.
      Cette idée n'est pas nouvelle. Un auteur que j'admire tout particulièrement et que je connais bien ne disait pas autre chose : Vallès a fait une vraie critique de la culture classique dans le même esprit. Parfois le respect de ce qui nous précède nous empêche d'avancer. Peut-être en effet manquons-nous de sagesse...

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  7. Je n ai pas voulu lire ton billet avant d avoir lu le livre j étais partie sur une autre piste après Palmarès. Beau billet

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  8. Jamais lu de littérature grecque je crois. Ce serait l'occasion...

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    1. C'est tout l'intérêt de cet événement !
      C'est quand même dingue - et ça prouve combien ce texte est justifié : que connaît-on de la littérature grecque en dehors d'Homère ? Et j'exagère à peine...

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  9. Je note avec grand intérêt ! Merci.

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