Entretiens

dimanche 28 juin 2015

Toutes les vagues de l'océan


Victor Del Arbol

Actes Sud, 2015


Traduit de l'espagnol par Claude Bleton


☀ ☀

Une vaste fresque donnant à voir un XXe siècle qui malmena plus que jamais les fondements de l'humanité.

Dans son troisième roman, Victor del Arbol reste fidèle à une structure narrative périlleuse, qu’il maîtrise pourtant avec talent, pour embrasser rien moins que l’histoire sombre du XXe siècle. Passant alternativement de personnages vivant à Barcelone au début des années 2000 à d’autres évoluant de l’URSS des années 30 à l’Europe de l’après-guerre, l’auteur tire les fils de deux histoires qui vont peu à peu se nouer pour former une terrifiante fresque.
Del Arbol revisite ainsi la Russie stalinienne, la guerre d’Espagne et la Seconde guerre mondiale en s’interrogeant sur la manière dont les idéaux et les utopies ont pu conduire à une sauvagerie sans égale et ouvrir sur des systèmes mafieux qui gangrènent aujourd’hui le monde.

Au-delà des tragiques événements qui font le cadre de ce roman, c’est l’humanité que sonde del Arbol. Comment un homme, y compris celui qui est animé d’intentions altruistes, peut-il devenir un monstre ? Comment les plus bas instincts peuvent-ils saillir chez l’homme, même le plus cultivé ? Qu’est-ce qui peut annihiler chez lui tout ce qui était constitutif de son identité - sentiments, idéaux, convictions ?
Quels que soient les lieux et les époques, le point commun à tous ces drames est cette réduction de l’homme à une sorte d’animalité, où seul domine l’instinct de survie, celui-là même qui permet de commettre des actes d’une inconcevable barbarie pour humilier et vaincre l’individu qui est en face.

Ainsi les héros de ce roman sont-ils tous, d’une manière à une autre, confrontés à des situations d’une extrême violence qui vont modeler leur psychologie et orienter leurs actes. 
Des actes de même nature, commis parfois au nom de causes diamétralement opposées. Les individus ne sont plus alors que la somme de ces actes, et leur élévation au statut de héros, de victime ou de bourreau ne dépend que de l’issue du conflit dans lequel ils se sont illustrés.
Il n’est pas anodin que cette considération provienne d’un auteur espagnol. La guerre civile qui a opposé une partie de la population à l’autre et la dictature franquiste qui s’en est suivie ont profondément et durablement marqué la société espagnole, qui en porte aujourd’hui encore les stigmates. Andres Trapiello, dans son livre Plus jamais ça, ne disait pas autre chose. Vainqueurs et vaincus d’hier cohabitent en effet au sein de la démocratie qui a succédé à la mort paisible du tyran.

Comme dans La Tristesse du samouraï, Victor del Arbol peint un tableau d’une grande force, dans lequel il ne nous épargne aucune vicissitude. Mais il a un réel talent pour évoquer la violence, voire la barbarie, sans se complaire dans des détails pénibles. C’est pourquoi en dépit du malaise suscité par les horreurs qu’il évoque, les quelque 600 pages de son roman se lisent d’une traite.

C’est noir, c’est très noir ; mais nous n’en avons malheureusement pas fini avec la barbarie qui présente désormais de nouveaux visages. Aussi faut-il la regarder en face pour mieux la connaître et ainsi mieux la combattre.



Découvrez ici la critique de Tynn




12 commentaires:

  1. Comme dans le Samouraï le sujet est intéressant mais j'ai trouvé le roman franchement trop long et sur la fin j'ai trouvé les péripéties très peu crédibles eu égard à la réalité de l'Histoire avec un grand H

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les destins individuels sont parfois très surprenants... Personnellement, je n'ai pas été gênée par ces péripéties, mais la réception d'un livre est quelque chose de très personnel !

      Supprimer
  2. Ouch, ça a vraiment l'air très dur ! En même temps je suis plutôt bon client pour ce genre de lecture qui secoue donc je suis partant !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est sûr, c'est noir de noir, et ça ne laisse pas beaucoup d'espoir sur la nature humaine... Mais c'est vraiment un bon roman : fonce ;-)

      Supprimer
  3. Hum ça a l'air vraiment bien... Mais ma liste de lecture est pleine, là. Comment vais-je faire ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est l'éternel problème... :-(
      En plus, celui-ci a une pagination plutôt généreuse ! Pas de vacances en perspective, qui te permettraient d'élargir ton temps de lecture disponible ?

      Supprimer
  4. Un auteur que je ne connais pas encore mais cela devrait vite changer puisque le sujet de ce roman et ton avis m'ont convaincu !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ravie que mon commentaire t'ai séduite. J'espère que le livre en fera de même ! N'hésite pas à revenir ici me dire ce qu'il en est ;-)

      Supprimer
  5. Tu sais je crois vraiment qu'on arrive à un moment où les écrivains ont besoin de dénoncer le terrible de XXè siècle, qui fut sans doute l'un des plus inhumains de notre histoire, on sent ce besoin de mettre tout ça sur papier.
    Je tourne autour de cet auteur depuis un moment, mais j'ai vraiment peut du côté violent et sombre, je crains trop d'explicite pour être honnête....je tergiverse.

    RépondreSupprimer
  6. C'est effectivement une vision très noire de l'humanité et il vaut mieux avoir le moral pour le lire. Mais en même temps, ce n'est pas complaisant.
    Quant au XXe siècle, il est en effet atroce. Mais - et je ne sais pas si c'est rassurant, dans le fond - quelle époque ne la pas été ? L'Inquisition, les tortures, le massacre des populations amérindiennes au moment de la découverte du Nouveau monde... L'Histoire est émaillée d'atrocités... mais aussi de très belles choses !

    RépondreSupprimer
  7. Un de mes auteurs chouchous. Je me le garde au chaud ce titre...

    RépondreSupprimer