Entretiens

samedi 2 mai 2015

Bilqiss


Saphia Azzeddine

Stock, 2015

☀ ☀

Un texte lumineux, d'une rare intensité. Un très beau roman. 

Quel magnifique portrait de femme ! 
Insoumise, intelligente et belle sont les qualificatifs qui définissent sans doute le mieux le personnage de Bilqiss. Sa force de caractère et son sens de la répartie lui confèrent une puissante aura. 
Mais Bilqiss vit sous le joug d’une république islamiste. Et pour les hommes de son pays, ces qualités sont autant de défauts qu’il importe de lui faire ravaler. Celle qui n’a plus aucun statut depuis qu’elle est veuve, sans enfants ni parents, celle qui porte un bracelet de cheville, celle qui lit de la poésie, celle qui laisse apercevoir une mèche de ses cheveux, celle encore qui s’est un jour laissée photographier par un étranger, celle enfin qui a osé prendre la place du muezzin - alors qu’il était ivre mort - pour appeler de façon très personnelle à la prière, celle-ci doit évidemment mourir - et dans la souffrance.

Le roman relate le procès ubuesque de cette femme magnifique qui, dans un autre contexte, serait peut-être une femme ordinaire. On découvre sous la plume de Saphia Azzeddine  un monde de bêtise et de cruauté. Et même avec ce que l’on sait des talibans et autres mollahs, la litanie des crimes qui lui sont reprochés est hallucinante. 

Mais là où le roman de Saphia Azzeddine tire sa force, c’est qu’il ne se contente pas de pointer l’horreur et l’absurdité de ces extrémistes religieux. Elle ne fait pas de ses héros de simples victimes inspirant un sentiment de pitié. 
Les femmes, et en particulier Bilqiss, ne se laissent pas réduire à l’asservissement, comme on pourrait le croire. Sous la burqa et sous la domination masculine, pleinement conscientes de l’effroyable régression de leur société, elles résistent. Evidemment cette résistance prend des accents parfois ténus, souvent tragiques. Mais elle est là. Et c’est bien elle qui, depuis les tréfonds de l’obscurantisme, redonne un espoir à travers la lecture de ce roman.
Et puis il y a les hommes, le juge en tête, qui paraissent ici plus faibles que les femmes. Faibles dans leur incapacité à résister et à s’opposer à l’omniprésence du religieux qui les opprime pourtant aussi. Faibles au point de rejeter sur les femmes la culpabilité de ce qu’ils croient être leur défaillance.
Et il y a, enfin, cette journaliste américaine qui, ayant vu des images du procès de Bilqiss sur Internet, vient pour l’interviewer et, imagine-t-elle dans son insondable candeur, peut-être la sauver.

Les voix de Bilqiss, de son juge et de Leandra l’Américaine s’entremêlent pour apporter différents éclairages sur ce qui est en train de se passer. 
Ce que Saphia Azzeddine peint avec brio c’est la manière dont les sentiments persistent malgré la chape du religieux, ce sont les petits arrangements, c’est le regard bien-pensant porté sur cette société par les Occidentaux. 

Mais surtout, elle pourfend l’obscurité et l’obscurantisme.
De la très belle scène finale, en particulier, surgit de manière tout à fait inattendue la lumière. Saphia Azzeddine nous suggère que la force et la bêtise n’ont pas le dernier mot. Encore faut-il avoir le courage de les empêcher de s’imposer. Une tâche et une responsabilité qui incombent à chacun, partout.


Retrouvez Saphia Azzeddine dans un numéro tout à fait passionnant de La Grande Librairie sur France5

Lisez également les avis enthousiastes de Plume de Cajou et de La Fée

Enfin, découvrez une citation du livre



8 commentaires:

  1. J'ai justement commencé à regarder la Grande Librairie où elle était (je l'ai enregistrée), ton billet m'intéresse d'autant plus. Je pense lire ce roman

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    1. C'était un numéro vraiment passionnant de LGL que je ne regarde pas si souvent. On y parlait d'une littérature engagée, ancrée dans le réel, d'une littérature qui invite à réfléchir et à se dépasser. Une littérature que j'aime.

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  2. Je suis entièrement d'accord. J'ai beaucoup aimé ce roman également.

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    1. J'espère qu'il sera largement lu, il le mérite. Et quand une voix, talentueuse qui plus est, s'élève contre la bêtise et l'oppression, il est important qu'elle soit entendue.

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  3. J'en ai beaucoup entendu parler dans les médias ces derniers jours. ça ne m'étonne pas que les hommes paraissent (et soient !) plus faibles que les femmes, je l'ai toujours pensé ;)

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