Entretiens

samedi 21 mars 2015

Le dernier gardien d’Ellis Island

Gaëlle Josse

Notabilia, 2014




A travers les mémoires imaginaires du dernier gardien d'Ellis Island, l'auteur rend un hommage appuyé à tous les anonymes qui révèrent un jour de l'Amérique.

Gaëlle Josse signe avec ce récit une belle réflexion sur l’exil et l’arrachement à son pays, sur la douleur et sur l’espoir.
Imaginant à la veille de la fermeture du centre d’Ellis Island l’histoire de son dernier directeur et celles de quelques-uns des migrants qui croisèrent sa route, elle confronte l’espoir démesuré des uns et l’extrême méfiance des autres.

L’Amérique. Rien qu’à entendre prononcer ce nom, combien ont rêvé d’une vie meilleure, où tout serait possible, n’ayant pourtant aucune idée de ce à quoi ice pays pouvait ressembler ? Combien ont quitté famille, amis, traditions pour se jeter vers l’inconnu ? Combien ont cru pouvoir s’arracher à la misère ?
Italiens, Irlandais, Polonais, Hongrois... tous ceux qui, au tournant des XIXe et XXe siècles, prirent la décision de tout quitter, ignoraient qu’ils devraient d’abord passer un drastique examen de passage avant de pouvoir franchir la Porte d’or. Ce n’est qu’à la descente du bateau, au terme d’une longue et terrible traversée, qu’ils pressentaient que l’aventure pourrait se terminer avant même d’avoir commencé...

Dans un style sobre qui laisse toute la place aux émotions, Gaëlle Josse exprime avec une grande justesse la peur de l’inconnu et du rejet, l’humilité mais aussi la dignité, la détresse mais aussi la détermination de tous ces individus qui, bien que dans un profond dénuement, voulurent apporter à cette terre le meilleur d’eux-mêmes: leur savoir-faire, leur gratitude et une énergie hors du commun, fondée sur la chance qu’ils croyaient de pouvoir tenir enfin les rennes de leur existence...

Mais l’Amérique n’était pas prête à en recevoir tant. Il lui fallait trier le bon grain de l’ivraie. Recevoir une main d’œuvre prête à travailler avec acharnement, oui ; accueillir des individus atteints de maladie, trop faibles pour être utiles ou, pire, pouvant porter le germe d’idées subversives, non. Au moindre doute, on était impitoyablement renvoyé vers sa misère.

Les quelques centaines de mètres carrés d’Ellis Island, face à la statue de la Liberté, cristallisaient ces espoirs, alors qu’ils n’étaient qu’une sorte de purgatoire où l’on était jugé, jaugé, parfois marqué comme une bête par un symbole indiquant si l’on était apte à entrer sur le territoire ou pas. Cette île, qui apparaissait comme un phare, n’était trop souvent qu’un leurre où venaient se fracasser les illusions.

Aujourd’hui encore, célèbre à travers le monde, Ellis Island symbolise l’histoire de tous ces êtres qui, pour des motifs politiques ou économiques, sont contraints de quitter leur pays et tout ce qui constitue leur identité - leur environnement, leur langue, leurs coutumes, leurs pratiques religieuses, leurs habitudes alimentaires... - pour simplement sauver leur peau et pouvoir vivre.
Ces destins, ces visages que nous décrit Gaëlle Josse avec une touchante sobriété sont ceux de ces sans-papiers qui travaillent illégalement chez nous, ceux de ces Mexicains qui tentent de passer la frontière américaine, ceux de ces Africains qui traversent la Méditerranée sur des embarcations surpeuplées pour atteindre Lampedusa, ceux encore de ces Cubains qui tentent de rejoindre Miami parfois à la nage... Cette histoire n’en finit hélas pas de se répéter.
Gaëlle Josse nous rappelle que ces anonymes dont l’existence est régulièrement évoquée dans nos journaux et bulletins d’information sont autant de personnes qui préfèrent affronter l’inconnu que de rester dans la piètre condition qui est la leur. Leur choix n’en est pas un. Il convient de ne pas l’oublier.

Retrouvez des citations de l'auteur.

Les avis tout aussi enthousiastes d'Aifelle, Clara et Yv.

10 commentaires:

  1. Excellent, j'aime ces romans qui vont à l'essentiel en faisant la part belle aux personnages et ici au lieu,

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    1. Effectivement, pas de fioritures, ni d'effets gratuits.

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  2. Premier roman lu de l'auteure et un choc ! c'est le genre de livre dont on sait tout de suite qu'il restera en mémoire longtemps.

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  3. Attention, je suis en mode schtroumpf grognon, je n'ai pas été convaincue par ce roman... avis bientôt, si j'arrive à le formuler.

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    1. On a toujours une certaine tendresse pour le schtroumpf grognon : c'est celui qui se démarque des autres !

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  4. un beau roman à l'écriture dense qui donne à sentir aussi bien l'angoisse des émigrants que celui qui en à la charge, son intensité nous plonge dans une atmosphère tragique et oppressante...

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