Entretiens

samedi 25 avril 2020

Dans la tête de mon maître

Béatrice Fontanel

Stock, 2020



Lorsque j’ai fait le plein à la veille du confinement, j’ai choisi mes livres en pensant dépaysement, voyage dans l’espace autant que dans le temps. Et comme j’apprécie assez les romans se déroulant sous la Révolution française, c’est tout naturellement que j’ai sélectionné celui qui avait déjà retenu mon attention quelques semaines auparavant...

A travers le récit du factotum d’Antoine Lavoisier (le célèbre chimiste ayant abandonné sa particule en cours de route), l’auteure se propose de peindre l’ambiance qui régnait à Paris dans les années qui suivirent la prise de la Bastille, et plus particulièrement celles de la Terreur. 

Entre détails de la vie quotidienne et échos des discours enflammés et plus ou moins emphatiques des tribuns, Béatrice Fontanel nous offre un tableau extrêmement vivant de cette époque.
Comment s’alimenter, par exemple, alors que certaines denrées se faisaient rares (tiens, ça vous rappelle quelque chose ?), mais surtout parce qu’il ne fallait pas disposer de plus d’un jour de provisions chez soi, au risque de passer pour un accapareur... 

Le contraste qu’offrent le personnage de Balthazar Janvier, jadis enfant trouvé que Lavoisier a pris sous son aile, et ce dernier, ancien fermier général, fortuné et cultivé, permet à l’auteure de poser son regard à la fois sur les plus humbles et sur les plus nantis, l’un et l’autre de ses personnages ayant d’ailleurs d’abord été favorables à la Révolution.

Mais s’il y a une chose dont l’auteure réussit remarquablement à rendre compte, c’est  l’omniprésence de la guillotine. On a beau savoir qu’elle fonctionnait à plein régime, il reste néanmoins difficile de se représenter jusqu’à quel point elle avait investi et envahi l’espace public. C’est d’ailleurs sans doute le point fort de ce roman que de nous faire entendre le son mat et glaçant de sa lame, résonnant à tout instant sur les places de la capitale baignant dans un flot ininterrompu de sang... Une lame qui s’abattra en mai 1794 sur la tête de Lavoisier.

Si ce récit ne nous apprend rien de bien nouveau sur cet épisode fondateur de notre histoire, il nous invite néanmoins à une immersion dans un Paris plein de bruit, de mouvement et de fureur, bien éloigné de celui que nous connaissons aujourd’hui...


dimanche 19 avril 2020

Mon coeur restera de glace

Eric Cherrière

Belfond, 2020



De la guerre de 14 à celle de 40, que s’est-il passé pour que ce vieillard allemand, aujourd’hui hospitalisé pour atteinte d’Alzheimer, réclame à son chevet la venue d’un Français dont il croisa jadis la route afin de lui livrer le secret qu’il conserve jalousement ? 
D’un conflit mondial à l’autre, ce roman nous immerge dans la forêt corrézienne, au coeur d’une nature aussi inquiétante que préservée de la violence du front... Mais celle-ci n’est pourtant pas épargnée par la folie et la cruauté humaines : quand des individus viennent y trouver refuge, mieux vaut alors rester sur ses gardes... 

Etrange atmosphère, dans ce roman que je n’aurais peut-être pas ouvert si je ne l’avais eu sous la main en cette période de disette littéraire... J’avoue avoir été happée dès les premières pages par ces personnages cruellement affectés par la folie meurtrière des hommes. 
En choisissant de reléguer le réalisme au second plan au profit de quelques accents surnaturels, l’auteur confère à son texte la dimension d’un conte, un conte qui dirait combien les exactions commises peuvent laisser sur les individus une empreinte funeste et durable. 

Un roman âpre et noir, bref et efficace, qui m’a tenue en haleine de la première à la dernière page.

lundi 13 avril 2020

Dans les geôles de Sibérie

Yoann Barbereau

Stock 2020




Après plusieurs semaines de vaches maigres côté lecture, plutôt que de piocher dans ma PAL, je me suis dit qu’il fallait que j’essaye de retrouver un geste plus ou moins habituel... Aussi me suis-je connectée sur le site de ma librairie pour flâner parmi les livres numériques et céder à un achat d’impulsion. J’ai donc regardé les titres proposés dans les différents rayons - polar, nouveautés, incontournables... - pour finalement me tourner vers un livre qu’avaient évoqué avec enthousiasme les critiques du Masque et la plume. J’ai ainsi pu immédiatement me plonger dans ma nouvelle acquisition, comme je l’aurais fait d’un achat «physique». Pour un peu, je me serais presque crue déconfinée !

Dans ce livre, Yoann Barbereau ancien directeur de l’Alliance française à Irkoutsk, relate son histoire : accusé de pédophilie, il se voit incarcéré - dans les gêoles sibériennes, donc - et condamné à 15 ans de camp. Une peine à laquelle il parviendra à se soustraire en organisant sa propre évasion. 
Une histoire qui n’a rien à envier à la fiction, mais que l’auteur sait relater sans faire de sensationnalisme ni régler de comptes. Il rapporte au contraire les faits de manière très littéraire, s’attardant surtout sur l’aspect diplomatique de l’affaire et sur les détails de sa vie carcérale. Il en résulte un récit très littéraire - ce qui ne surprend pas de la part d’un amoureux des lettres qui put compter sur quelques livres et sur ses souvenirs de lectures, de Villon au Comte de Monte-Cristo en passant par La Fontaine et Voltaire, pour évaluer sa propre situation, supporter sa condition et envisager son avenir.

Un récit rocambolesque et effarant qui dresse un portrait sans concession mais sans acrimonie de la Russie d’aujourd’hui... et de la diplomatie française. Et pour moi, une lecture effectuée d’une traite, ce qui fait vraiment du bien !

dimanche 5 avril 2020

Miss Laila armée jusqu’aux dents & De rien ni de personne

Manu Joseph

Philippe Rey, 2020


Traduit de l’anglais (Inde) par Bernard Turle




Dario Levanto

Rivages, 2020


Traduit de l’italien par Lise Caillat




Le vendredi qui précéda le confinement, alors que nous pressentions que les mesures qui avaient été prises en Italie allaient bientôt s’appliquer chez nous, je fis un ultime passage chez ma libraire préférée (que j’embrasse et que j’ai hâte de retrouver) pour faire l’acquisition de quelques livres, en nombre plus important que d’habitude : du français, de l’étranger, du roman historique, privilégiant la diversité et l’évasion. Plus ceux que j’avais récupérés à droite à gauche, cela devait me permettre de voir venir...

Un abandon et deux livres plus tard, je dois bien admettre que cette période que je prévoyais faste en lecture est bien loin de ce que j’avais pu envisager ! Le télétravail, surtout lorsqu’il n’a pas été préparé, est tout sauf fun, comme semblent encore le croire certains ! Ajoutez à cela toute la logistique des courses pour une famille composée notamment de deux ados, qui exige dans le contexte actuel de déployer des trésors de stratégie qu’il faut sans cesse réajuster ; l’encadrement du travail desdits ados ; casez au milieu de tout ça un peu d’exercice physique pour éviter de finir comme un vieux chamallow et vous obtenez des journées incroyablement denses... et des douleurs dorsales qui vous privent du plaisir de vous installer dans votre canapé pour vous emparer de votre livre... Il m’aura donc fallu rien moins que deux semaines pour arriver au terme des quelque 217 malheureuses pages que compte le roman indien que je m’étais choisi.

Et que m’en reste-t-il ? Rien. Ou pas grand chose. Mais je n’incriminerais pas le livre, auquel je me suis accrochée comme une naufragée le ferait à une planche pour ne pas couler. Phrase après phrase, paragraphe après paragraphe, relisant parfois deux ou trois fois le même passage que mon esprit se refusait à saisir, j’avançais dans une intrigue qui ne parvint jamais à me happer. 
Il faut dire qu’il y était notamment question d’un homme prisonnier des restes d’un immeuble effondré à la suite d’un tremblement de terre, et imaginer une jeune femme médecin se frayer un passage en rampant dans les décombres pour essayer de l’atteindre afin de lui poser une perfusion en attendant qu’il puisse être délivré était dans le contexte actuel particulièrement oppressant... 

J’ai alors enchaîné avec le court roman d’un auteur italien mettant en scène un jeune garçon dans les quartiers défavorisés de Palerme. Un roman d’apprentissage : l’un de mes péchés mignons ! Et pourtant, là non plus, pas d’émotion, aucune vibration, électrocardiogramme désespérément plat... La découverte par Rosario du monde des adultes n’avait ni la finesse ni la maîtrise dramatique d’un Ammaniti écrivant le génialissime Je n’ai pas peur.. Il faut dire qu’entre un père menant une double vie et vendant sous le manteau des substances illicites, et une mère totalement asservie, les ficelles étaient un peu grosses...

Je me rends compte que cet article ressemble davantage à un épanchement intime qu’à un véritable commentaire littéraire. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, mais il est important pour moi de ne pas lâcher prise, de conserver au moins ici un semblant de normalité, de garder le contact et de continuer à parler livres avec vous. D’ailleurs, il me reste quelques réserves (sans compter ma liseuse, et le numérique offre aujourd’hui un horizon aussi vaste qu’enivrant), et je ne désespère pas de revenir par ici avec un regain d’enthousiasme !

En attendant, portez-vous bien et, surtout, prenez soin de vous !