Entretiens

dimanche 22 janvier 2017

Article 353 du code pénal

Tanguy Viel

Minuit, 2017



Dans une salle d'audience, un homme se met à nu

Après avoir entendu au Masque des critiques très contrastées de ce livre, et à l’écoute en particulier de la joute verbale ayant opposé Jérôme Garcin à Arnaud Viviant, au meilleur de leur numéro de duettistes qui m’a fait hurler de rire, j’ai couru chez mon libraire préféré pour me le procurer. Les mots de «polar très politique et très social», d’«engrenage d’humiliations sociales» et jusqu’à l’expression démodée de «lutte des classes», qui mériterait pourtant d’être remise au goût du jour, y avaient été brandis. Je ne doutais donc pas sinon que ce roman me plairait, du moins qu’il m’intéresserait.

Comme le laisse présager le titre, le lecteur, à travers le juge amené à statuer sur cette affaire, reçoit la déposition d’un homme qui en a assassiné un autre. Pourquoi ? Dans quelles circonstances ? C’est tout l’enjeu de ce livre que de replacer ce geste de désespoir dans une histoire aux racines profondément enfouies.
Tout au long des 174 pages que compte ce roman, Martial livre son témoignage. Sa parole, que l’on devine longtemps contenue, se libère en un flot parfaitement maîtrisé pour dire au grand jour tout ce qui jusqu’alors était resté tu, tout ce qui provoquait l’embarras, tout ce que cette histoire révèle d’humiliations, enfin tout ce que Martial ne voulait pas s’avouer.
On plonge dans ce texte pour n’en ressortir qu’une fois la dernière phrase achevée. Comment ne pas faire corps avec Martial, désormais d’une extrême lucidité, et ne pas ressentir l’ardente nécessité que l’injustice soit dévoilée au yeux de tous ? Comment ne pas être en empathie avec cet homme, licencié économique, victime de la rouerie d’un promoteur véreux ? Comment ne pas frémir face à ce tableau dépeignant avec tant de justesse la férocité des inégalités sociales ?

Certes, il y a eu un geste criminel. Mais Tanguy Viel nous invite à déplacer notre regard. Il nous révèle ce qui restait en-deçà du perceptible. Oui, il y a eu meurtre, et un homme comparaît pour cela devant la justice. Mais qu’en est-il de celui qui prétendait agir dans le sens d’intérêts mutuels, mais avait pour seul but de s’enrichir sans jamais avoir la moindre considération pour les individus qu’il côtoyait et exploitait ? Qu’en est-il de celui qui jouait de sa faconde et de ses relations pour anéantir définitivement ceux qui tentaient de faire face à une situation déjà dramatique ?

Ce livre n’est pas sans m’en rappeler un autre, dont je vous ai parlé il y a peu : Alice ou le choix des armes. Même forme littéraire jouant sur un ressort policier, permettant la libération d’une parole jusqu’alors privée d’espace d’expression, avec la déposition d’un personnage brisé par des comportements d’une extrême violence mais soutenus par une autorité (la hiérarchie dans le cas du roman de Stéphanie Chaillou, le maire, qui encourage le projet qui lui est présenté, espérant créer les conditions d’un renouveau économique, dans celui de Tanguy Viel). Une manière, dans un cas comme dans l’autre, d’affirmer le caractère criminel, socialement criminel, d’un certain type d’actes et de paroles. 

Ces deux auteurs nous proposent ainsi une autre lecture du monde qui nous entoure : telle est bien la force de la littérature. C’est bien ainsi pour ma part que je l’apprécie.


Une lecture que j’ai la joie de partager avec ma complice Nicole !


Un livre également très apprécié par Laure et Guillome 

18 commentaires:

  1. Ah je n'avais pas entendu l'émission, ça devait être croustillant. Belle découverte en tout cas et, décidément, je vais lire Le choix des armes.

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    1. Croustillant, oui. Viviant surjouait Viviant et je pense qu'il restait quelques traces de part et d'autres de la soirée de la veille (enregistrement du 1er janvier) ;-)

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  2. J'ai entendu le même "Masque et la Plume", même si je n'y prête plus guère attention, tellement ils sont à côté de la plaque souvent .. Et Viviant n'a aucune crédibilité à mes yeux ! Mais ce roman me tente. Je crois que le thème a de beaux jours devant lui. La violence sociale est tellement forte et impunie qu'il y aura fatalement de plus en plus d'actes violents en retour.

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    1. En ce qui concerne le Masque, je suis un peu comme toi : l'avis de Viviant n'a en rien freiné mon envie de lecture. J'aime leur côté radical, tant dans l'enthousiasme que dans le rejet. J'aime cette parole franche et parfois exagérée, comme on peut l'avoir quand on discute entre amis.
      Et je partage entièrement la seconde partie de ton commentaire. Le problème est de trouver le moyen de structurer cette violence pour qu'elle n'aboutisse pas à des actes criminels mais à la construction de quelque chose qui permette à chacun d'avoir une place dans la société. Pas facile... Mais nécessaire, tant les laissés-pour-compte deviennent légion.

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  3. Je comptais écouter ce Masque en replay, et puis, finalement, consacrer le temps à ...la lecture!

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    1. Quant à moi, j'écoute les replay en faisant du sport... comme ça je suis sûre d'en faire ;-)

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  4. Je n'en entend que du bien, ce serait l'occasion rêvée de découvrir enfin cet auteur.

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  5. ça fait bien longtemps que je n'ai pas écouté Le Masque et la Plume...
    ce livre a l'air très intéressant (alors que je serais passée complètement à côté) je le note !

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    1. Il l'est ! Et j'ai également apprécié sa qualité littéraire.

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  6. Je ne connais toujours pas l'auteur... mais je me demande si je devrais le découvrir avec ce titre.

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    1. N'ayant lu que celui-ci...
      Mais en ce qui me concerne, cela a été une belle découverte.

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  7. J'avais lu Paris-Brest qui m'avait laissé un peu insatisfaite, un peu seulement, mais je pense que ce dernier roman est bien meilleur. Il faudra que je le constate par moi-même ! ;-)

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  8. Quel livre, très marquant. Il m'a fait penser également à un autre auteur que j'aime beaucoup, édité chez Minuit également, Ravey, qui joue sur les ressorts du policier.

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    1. Ah ? Je ne connais pas. Mais je dois pouvoir le découvrir sur ton blog ;-)

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  9. Je le lis bientôt. C'était l'une de mes envies de rentrée (et je n'en ai pas beaucoup).

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