Laura Alcoba
Folio 2015 (première édition Gallimard 2007)
La dictature à hauteur d'enfant.
Après le très beau Bleu des abeilles, sorti en 2013, je m’étais promis de lire d’autres œuvres de Laura Alcoba. Le temps a passé, d’autres désirs de lecture ont surgi...
En découvrant, il y a quelques jours, que l’auteur s’apprêtait à sortir en janvier un nouveau titre qui serait en quelque sorte la suite de son précédent titre, je me suis dit qu’il me fallait à tout prix lire Manèges, qui en était le prélude, puisque l’auteur y narrait la période qui précède l’exil, lorsque ses parents vivaient dans la clandestinité.
Nous sommes donc en Argentine, en 1975. La petite Laura a sept ans. Elle évoque sa nouvelle maison, qu’elle confronte à celle qui peuplait sa jeune imagination : « une maison avec des tuiles rouges, un jardin, une balançoire et un chien ». Le rêve d’une petite fille ordinaire, en somme. Mais celui-ci s’est très vite fracassé contre la réalité. Dans cette maison, on ne fera guère de gâteaux le dimanche et il n’y aura jamais de dîner quotidien en famille : le père de Laura est rapidement arrêté par les hommes de l’Alianza Anticomunista Argentina et sa mère doit désormais se cacher.
Il faut apprendre à se taire, car la moindre parole peut coûter la vie. La petite fille l’a très vite compris. Elle sait qu’il ne faut rien révéler de la trappe du plafond qui renferme des journaux interdits. Elle ne dira rien, «même si on venait à [lui] faire mal. Même si on [lui] tordait le bras ou qu’on [la] brûlait avec un fer à repasser. Même si on [lui] plantait de tout petits clous dans les genoux.» Elle pressent qu’il serait bien plus douloureux encore de voir capturer ses parents ou, pire, les voir se faire assassiner par la faute d’une parole innocemment prononcée...
C’est en retrouvant ses mots et ses pensées d’enfant que Laura Alcoba restitue le climat de la dictature : la peur, la méfiance, la violence omniprésents. C’est un récit bref, très sobre, qui tire sa force du point de vue que l’auteur a choisi d’adopter. Ici, pas d’insoutenables scènes de torture ni de restitution d’événements historiques ou d’apologie des opposants au pouvoir en place. Seulement l’inhumanité d’un régime qui oblige une petite fille à se rendre en prison pour voir son père, qui l’empêche de reconnaître sa mère, grimée pour ne pas être arrêtée à son tour, qui la contraint enfin à apprendre à vivre dans le mensonge et le silence pour ne pas mettre ceux qu’elle aime en danger.
C’est un livre extrêmement saisissant et chargé d’émotion, qui ne peut qu’épouvanter le lecteur. Je ne suis guère surprise qu’il ait reçu un accueil retentissant en Argentine, lorsqu’il y fut traduit en 2008, ainsi que j’ai pu l’apprendre de la bouche même de l’auteur, lors d’une récente rencontre avec Elsa Osorio, autre talentueuse auteure native du même pays. Sans doute plus d’un Argentin y a-t-il trouvé un écho à sa propre histoire ou à celle de sa famille.
Enfin, après le cruel silence, des mots pouvaient être mis sur la peur et la douleur ; la parole commençait à se libérer et à reprendre ses droits. Laura Alcoba en fait un bien bel usage. Aussi est-ce avec une certaine impatience que j’attends à présent de pouvoir lire La danse de l’araignée.
J'ai eu la chance de rencontrer Laura Alcoba. Découvrez notre entretien ici
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