mercredi 18 août 2021

Climax

Thomas B. Reverdy
Flammarion, 2021



Que de légendes ont été imaginées par les hommes pour tenter de comprendre le monde et se prémunir de l’arrogance de qui, à vouloir le défier, conduirait à le détruire. Du Mahabharata aux dieux de l’Olympe, du panthéon de l’Egypte antique aux redoutables héros nordiques, les mythes ancestraux nous sont parvenus du fond des âges pour nous mettre en garde. 

Pourtant, qui aujourd’hui écoute encore ces histoires avec attention ? Nous avons crû pouvoir dominer notre environnement, le plier à tous nos désirs et atteindre notre rêve de toute-puissance. Nous en payons désormais le prix : fonte des glaces, incendies dantesques, pluies diluviennes, notre planète connaît des dérèglements sans précédent annonçant une fin que nous préférons ignorer, quitte à en accélérer le mouvement.


Et si nous faisions un jeu de rôles ? Mettons que je sois Noah. Je suis natif d’un village norvégien. J’ai la quarantaine, j’ai fait de bonnes études, j’ai quitté mon pays et je gagne très bien ma vie au sein d'une multinationale qui fore la croûte océanique aux confins de la Scandinavie et de l’Arctique pour en extraire le précieux or noir. Je suis chargé de garantir la sécurité des opérations en contrôlant les relevés sismiques. Mais les dirigeants de la compagnie sont-ils disposés à écouter mes mises en garde ?


A présent je suis Anders, un ami d’enfance de Noah. Je suis géologue, mais c’est à l’oeil nu que je peux percevoir année après année, mois après mois, semaine après semaine, les conséquences du réchauffement climatique sur les montagnes que j’arpente. 


Enfin je suis Ana. J’étais naguère amoureuse de Noah. Je dirige la pêcherie familiale, mais les activités de la plateforme de forage ont des conséquences préoccupantes sur les zones de pêche. Dois-je vraiment m’en inquiéter ?


Lorsqu’une explosion se produit, faisant trois morts, tout se précipite. S’agit-il d’un « incident » isolé ou du premier signe de quelque chose de plus grave ? S’appuyant sur des informations extrêmement documentées, Thomas Reverdy démonte toute la chaîne des réactions produites par l’activité humaine jusqu’à son aboutissement ultime. Il projette ses personnages dans une scène apocalyptique qui semble davantage relever d’un récit légendaire que d’une réalité tangible. A mesure qu’il pose les éléments de la scène, Reverdy convoque les mythes nordiques pour les entrelacer avec ce qu’il décrit. Nous savions. Nous savions mais nous avons choisi de jouer avec le feu, d’ouvrir la boîte de Pandore, de défier le terrifiant dragon Fafnir malgré les dangers encourus. 


Ni lyrisme ni pathos dans les phrases de Reverdy. Un récit à hauteur d’homme ayant pris conscience de l’ampleur de son imprudence, s’interrogeant sur ses choix, sur sa place, sur son destin à présent qu’il a perdu l’illusion de pouvoir le maîtriser. La vie qui se poursuit, l’angoisse et l’espoir malgré tout. Un sentiment mêlé d’impuissance, de fatalisme et de foi en l’avenir, dans l’attente du climax, ce moment où tout bascule, après quoi un nouvel équilibre peut se recréer. Ce moment aussi où le récit atteint son point culminant, avant de se diriger vers une fin plus ou moins tragique, mais où une forme de paix est au moins retrouvée. Le roman de Reverdy est puissant et formidablement maîtrisé, oscillant entre tension et résignation. 

Mais pour la fin de l'histoire, c'est à nous de jouer. S’il en est encore temps.





6 commentaires:

  1. Un auteur dont j'ai lu (et apprécié) les deux premiers romans. Je peux toujours me diriger vers L'hiver du mécontentement en attendant de lire celui-ci qui ne sera pas dans mes priorités déjà bien assez nombreuses ! ;-) Pourtant, il semble très intéressant !

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    1. Franchement, pour moi, ce texte-là est franchement le meilleur de Reverdy (alors que L'Hiver du mécontentement m'avait semblé un peu en dessous des autres). Mais tu fais comme tu veux, bien sûr ;-)

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  2. Allez, je viens tout juste de l'acheter... En principe, il a beaucoup d'arguments pour me plaire. A suivre, donc.

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  3. J'avais beaucoup aimé Les évaporés, alors pourquoi pas.

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    1. Moi aussi, j'avais aimé Les évaporés. J'ai trouvé celui-ci d'une rare maîtrise narrative et d'une intensité incroyable. Et puis le sujet, évidemment, ne peut que nous préoccuper. Pour moi, c'est le meilleur livre de Reverdy !

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