mardi 17 novembre 2020

Le plongeur

Minos Efstathiadis
Actes Sud, 2020


Traduit du grec par Lucile Arnoux-Farnoux



Ça commence doucement. Mollement, même, serais-je tentée de dire. 

Pourtant, il n’est pas bien épais ce polar.

Mais l’auteur ne se presse pas. Il pose petit à petit les pièces de son édifice. Et si, à l’image de son héros, nous sommes un peu déconcertés, lui sait où il nous emmène. Il sait que l’effroi nous saisira. Il sait aussi qu’il n’est nul besoin d'en dire trop : la suggestion est d’une puissance inégalable. Il sait enfin que les histoires les plus cruelles ont été racontées il y a bien longtemps, par Eschyle ou par Sophocle, et que toutes les autres n’en sont que de lointains échos. 


Lorsqu'un vieillard frappe à la porte du privé Chris Papas, installé en Allemagne, pour lui demander de filer une quadragénaire dénommée Eva Döbling à travers les rues de Hambourg, celui-ci reste très évasif sur l’objet de la mission qu'il lui confie. Une classique affaire d’adultère ? La différence d’âge entre les protagonistes et les conditions très énigmatiques du contrat laissent penser qu’il pourrait s’agir d’autre chose. Une impression très vite confirmée lorsque le vieil homme est retrouvé pendu dans l’une des chambres de l’hôtel où Eva Döbling avait entraîné Papas. 

Interrogé par la police, qui a découvert l’une de ses cartes de visite dans la poche du défunt, le détective se trouve dans une fâcheuse posture. Lorsqu’il apprend qu’Eva Döbling s’est quant à elle envolée pour la Grèce, afin de rejoindre la région du Péloponnèse dont il est lui-même natif, son trouble ne cesse de croître, et il n’hésite pas à marcher sur ses pas. Mais d’autres mystérieux décès l’attendent à son arrivée…


Comment les expliquer ? S’agirait-il d’une affaire de vengeance ? Les relations pour le moins tendues entre La Grèce et l’Allemagne en seraient-elles à l’origine ? 

Pour répondre à ces questions, Papas devra remonter aux sombres années de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'un massacre fut perpétré par l'occupant allemand dans le village de Kalavryta. Et faire face aux douloureuses traces que laissa ce conflit sur le peuple grec.


En convoquant les tourments de l’Histoire et les mythes antiques pour tisser les fils de sa troublante intrigue, Minos Efstathiadis dresse un saisissant tableau de la Grèce contemporaine, dont on perçoit à quel point elle reste imprégnée de son passé et de ses racines. Et en jouant très habilement sur les silences, l’auteur parvient à faire monter peu à peu la tension jusqu’à un final glaçant qui m'a, au sens littéral du terme, coupé le souffle. Rarement un livre aura semé en moi un tel trouble ! 

Efstathiadis porte haut les couleurs du polar grec. Du polar tout court.



Nyctalopes, qui en a pourtant vu d'autres en matière de polars, en est resté sonné...

9 commentaires:

  1. Bon alors je me le note, ça me semble tout à fait pour moi ça.

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    1. Pas de description complaisante. Du cérébral. Un contexte culturel et une dimension historique... Ouais, ça devrait le faire :-))

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  2. Il faut se blinder pour la fin alors .. mais le contexte, le passé, tout ça, tout ça, c'est tentant quand même.

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    1. Oui, enfin, l'écriture n'est pas complaisante, l'auteur dit l'horreur sans s'étendre, sans en rajouter. Et dans les dernières pages, on s'attend à lire ce qu'on va lire. Ou plutôt, on le redoute. On lit pour savoir si on ne s'est pas trompé, si ce qu'on imagine est possible et on voudrait avoir fait erreur. Mais l'imagination et la créativité humaines sont sans borne lorsqu'il s'agit de faire souffrir son prochain... L'Histoire en porte tellement de témoignages...

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  3. Oh et bien voilà qui est très tentant !! ;) Merci pour ton coup de coeur.

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