samedi 15 février 2020

Noir de soleil

Grégory Rateau

Maurice Nadeau, 2020



Lorsque Arthur atterrit à Beyrouth avec sa petite amie Ana, il est loin d’imaginer ce qui l’attend. Venu pour tourner un film, le tout jeune homme va se trouver confronté à une série de difficultés auxquelles il n’était pas préparé. Cette ville à la tonalité crépusculaire, qui porte encore bien visibles les traces du conflit qui l’a déchirée, où règne la débrouille et où les relations entre les individus restent régies par des codes très précis qu’il faut posséder, va lui imposer une série d’épreuves qui vont non seulement le contraindre à repenser l’oeuvre qu’il s’apprête à réaliser, mais aussi et surtout le conduire à se remettre en question.

Loin de ses repères habituels, Arthur a le sentiment que tout lui échappe. En premier lieu Ana, qui lui reproche son manque de maturité, et plus largement sa vie, dont il a le plus grand mal à tenir les rênes, plus préoccupé qu’il est par la satisfaction immédiate de ses désirs, qu’il s’agisse de fumer une cigarette ou de faire l’amour avec la jeune femme, que d’envisager l’avenir.

C’est donc le voyage initiatique de ce jeune homme que nous sommes invités à suivre, un parcours qui se teinte des sombres lueurs d’un Beyrouth terrassé par la chaleur. Il se dégage de ce texte une atmosphère particulière, et il faut sans doute accepter de se laisser guider par les pensées d’Arthur si l’on veut l’apprécier. Des pensées fluctuantes, confinant au ressassement parfois irritant d’un être en devenir peinant à se définir et à trouver sa voie, un être qui se trouve à cet instant précis où, au sortir de l’adolescence, il faut définitivement quitter l’enfance pour faire face désormais à ses responsabilités, assumer les conséquences de ses actes et devenir adulte.

9 commentaires:

  1. J'ai comme l'impression que cet Arthur-là pourrait m'agacer... Me trompe-je ?

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    1. Ecoute, je ne sais pas, mais je pense que c'est typiquement le genre de voix avec laquelle ça passe ou ça casse.

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  2. J'ai bien peur que ça casse avec moi ; je lui donnerai peut-être une petite chance si je le vois à la bibli, mais sans plus.

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  3. Je ne te sens pas trop enthousiaste...

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  4. Hum... je ne pense pas que ce roman soit pour moi ni d'après le thème ni d'après la voix.

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  5. Un autre son de cloche car vous semblez condamner une voix sans l'avoir lu quand au thème je crois qu'il n'est pas très bien résumé ici. voici : "Étant libraire de profession, j'ai eu la chance de découvrir en exclusivité ce premier roman de Grégory Rateau (son second livre en réalité, le précédent étant un récit de voyage sur la Roumanie joliment poétique) et que je me prépare à vous présenter en avril. Un auteur à suivre de près donc et les Éditions Maurice Nadeau (éditeur très exigeant) ne s'y sont pas trompées. Chaque description du Liban sent le souffre, on rigole beaucoup dans ce livre qui aborde pourtant des questions très sérieuses, comme la mort, le deuil de sa relation, le ressentiment que l'on peut avoir pour sa belle famille, l'impossibilité de vivre heureux et libre dans une culture aux mœurs plus que rigides. Cet équilibre tient au style très affirmé de l'auteur car dès la première page, nous savons que nous sommes en présence d'un écrivain, d'un vrai, d'une plume qui finira sans doute par s'affirmer dans le paysage français, car en Roumanie, là où il est journaliste, il est déjà très reconnu. L'histoire? Il n'y en a pas vraiment une au sens stricte, il s'agit plutôt d'une chronique à la première personne. Une guerre civile éclate à Tripoli et notre personnage, Arthur, un héros plutôt antipathique de prime abord, veut y tourner un film coûte que coûte aux côtés de sa fiancée, Ana. Il va petit à petit comprendre ce pays, celle qu'il dit aimer, sa remise en question va être brutale. On pense bien sûr aux nouvelles de l'écrivain Albert Camus, "Noces", que l'auteur cite ouvertement, la lumière, les corps, la chaleur qui exacerbe les passions. Cinéphile, l'auteur nous fait également découvrir l'envers du décor d'un tournage mais il montre à voir autre chose, d'impalpable, il nous éclaire justement sur le sens qu'il donne à cet art, la littérature, le seul qui, selon lui, permet de montrer ce qui se passe "hors-champ", ce qui se cache honteusement. "Noir de soleil" n'hésite pas à être direct, parfois cru, rien n'est caché et tout y est pourtant fiction. La couleur autobiographique du livre ne révèle pas un manque d'imagination mais une foi parfois naïve de son auteur de croire très fort au pouvoir du vécu, du réel, tout en sachant, que toutes les autobiographies sont fantasmées, elles ne sont jamais qu'une projection de souvenirs, les divagations d'une mémoire ô combien sélective. Ce voyage nous emporte de la première à la dernière ligne en nous laissant un léger goût amer." sur Babelio

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  6. Extraits du livre : "Nous embarquons sans dire un mot comme à l’arrivée, coupables sans savoir exactement de quoi. Je regarde l’île s’éloigner derrière nous, je l’ai sur le bout de la langue mais rien ne sort, je n’arrive pas à ordonner le récit dans ma tête pour pouvoir ensuite le transmettre à des auditeurs imaginaires, décidément, je ne suis vraiment pas doué pour raconter une histoire. Encore une odyssée qui restera hors-champ comme tout ce que nous avons vécu depuis notre arrivée et que nous avons, volontairement ou non, laissé mourir de côté. Ana me saisit la main et m’embrasse sur la joue, je n’aurai donc pas tout perdu en venant ici, comme ce couple à la fin du film Voyage en Italie de Rossellini, contemplant les ruines de la Rome antique et de leur histoire, nous savons tous les deux ce qu’il en est mais nous faisons semblant de l’ignorer pour notre bien ou parce que nous avons peur de finir seuls, tout simplement."

    "Cette envie de faire ce film là-bas, je la dois en réalité à l’écrivain Albert Camus. Ses bains de mer avec les femmes décrits dans Noces et L’Été m’avaient vraiment remué, je m’y voyais déjà de ma terrasse de Château Rouge où je travaillais à l’accueil d’une école de commerce, avec la pluie sur les bâches embrumées, ma clope tremblante au bout du bec, les pieds complètement gelés, avec juste un chauffage au-dessus de ma tête qui ne faisait rien de plus que de me brûler le crâne. Je viens de la grisaille, toujours cette même teinte uniforme qui plane tout autour, sans jamais laisser percer la moindre parcelle de lumière ou d’espoir. Il faut imaginer un peu ce que cela peut faire à un banlieusard comme moi de lire des descriptions solaires telles que « la campagne était noire de soleil », alors que moi je m’en souvenais à peine de ce fameux soleil. Et quant à la mer, cela ne m’inspirait rien d’autre que l’ombre des cons bodybuildés qui paradaient, des gonzesses cramées aux U.V. qui prenaient leur postérieur en selfies ou des gamins qui venaient enterrer ma serviette dans le sable pour en faire des châteaux éphémères. Rien à voir donc avec les illuminations d’Albert."

    Il est difficile de ne pas parler du style car cet auteur en a un très affirmé. Le thème est magnifique sinon il faudrait aussi condamner les choses de Perec.

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    1. Mais je ne "condamne" rien du tout, chère Bianca. Je fais part de la manière dont j'ai reçu ce livre, qui, c'est vrai, m'a parfois irritée par ce que j'ai appelé ses ressassements. Je ne dénie absolument pas le fait qu'il puisse toucher certains lecteurs, mais cela n'a pas été vraiment mon cas.
      Quant à son style, si je n'ai pas insisté dessus, c'est peut-être parce qu'à plusieurs reprises j'y ai relevé ce qui m'est apparu comme des faiblesses.
      Mais libre à vous de défendre un texte qui vous a touchée et que vous avez aimé.

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    2. Je ne faisais à aucun moment référence à votre chronique mais aux commentaires de lecteurs qui jugent sans avoir lu un mot du livre. Je n'ai vu aucune faiblesse mais un style affirmé, une vraie démarche littéraire dans la forme de ce récit qui se passe à Tripoli, à la frontière avec la Syrie et non à Beyrouth qui concerne les premières pages du récits. L'auteur est plongé dans une guerre civile que j'ai vécu à une autre époque que la sienne (il ne rencontre pas de petites difficultés) et il fait un portrait de ce pays d'une justesse que je n'avais jamais eu l'occasion de lire avant lui sur le sujet. Il aborde aussi les questions de l'usure de l'amour en terrain "exotique", deux cultures qui se rencontrent, les tabous de cette société, la sexualité y est également extrêmement bien dépeinte, une écriture neuve là encore sur un sujet parfois bien facile.

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