jeudi 18 avril 2019

La solitude Caravage



Yannick Haenel

Fayard, 2019




C’est entendu. Le Caravage est un génie. Et Yannick Haenel en est un admirateur éperdu. L’artiste a fait irruption dans sa vie alors que l’écrivain était âgé de 15 ans.  Il feuillette un livre de peinture italienne lorsque Judith lui apparaît, procurant chez lui un émoi tel que seul un adolescent, peut-être, peut en connaître. L’ouvrage ne présente qu’un détail du tableau : il ignore la besogne à laquelle la jeune femme est en train de se livrer. Qu’importe. Sa beauté le hante et il retourne constamment vers elle. Il en est tellement épris qu’il finit par découper la page du livre pour pouvoir conserver ce portrait auprès de lui.

Parvenu à l’âge adulte, bien qu’il ne soit plus en possession de cette image et qu’il n’ait jamais su qui en était l’auteur, le souvenir de cette femme et du trouble qu’elle suscita reste vif. Jusqu’au jour où il la revoit, au palais Barberini, à Rome. Lui apparaît alors ce qu’elle est en train d’accomplir. La révélation d’Eros et Thanatos le foudroie.

Au-delà du vertige de la beauté, il veut cerner la nature de l’émotion, entrevoir l’origine de l’éblouissement. Par ses mots, à travers ce feu qu’est aussi l’écriture, il veut tenter de circonscrire ce qui semble échapper à l’entendement. 

Du Caravage Yannick Haenel connaît à présent et les oeuvres et la vie. Il sait les rixes, il sait le désordre des nuits, il sait la fréquentation des prostituées, il sait les amours avec des hommes, il sait en somme ce qu’il nomme le folklore de sa vie. Tout ce qu’on présente de l’artiste et qui jette bien souvent un voile sur son oeuvre. Mais ceci ne révèle pourtant rien de l’intensité de sa vie ni du secret de sa personne ou du mystère de la création. 
Or c’est bien cette part la plus intime que cherche à saisir Haenel en écrivant cette insolite biographie entendant se moquer des accidents d’une existence. Ceux-ci, loin d’éclairer l’oeuvre, ne seraient au contraire que de lointaines manifestations du feu qui brûle l’artiste lorsque sa main tient le pinceau : « Seules comptent les heures passées face à la toile, face à la page blanche ; seul cet excès, bien plus fou que toute beuverie, plus enivrant que toute orgie, plus profond que tout dérèglement, atteint cette radicalité qui est au coeur de l’art et vous ouvre à la vérité. »

Le Caravage est sans doute l’un des artistes à être allé le plus loin dans ce don inconditionnel de soi, dans cette manière de vivre l’exigence de l’art qui seule permet d’échapper à l’état de servitude imposé  par la condition humaine.  

Une fois qu’on a compris cela, les événements biographiques invitent à une autre lecture de l’oeuvre, celle à laquelle se livre Haenel. Une lecture passionnante et d’une très grande acuité. Parfois, je le concède bien volontiers, il arrive que l’écrivain nous perde quelque peu, tant sa quête aborde d’insondables horizons... C’est sans doute que ses questionnements ne sont pas du même ordre que les nôtres. L’écrivain établit en effet un parallèle entre le geste pictural et celui de l’écriture. Il opère un phénomène d’identification qui, naturellement, nous échappe. Mais il nous oblige aussi à reconsidérer notre propre rapport à l’art et à interroger le regard que nous posons sur l’artiste. Et sa lecture des tableaux du Caravage, les relations qu’il établit avec les éléments biographiques sont absolument passionnantes et jettent sur cette oeuvre immense, et plus généralement sur le processus de création, un éclairage tout à fait fascinant. 

Sachez enfin que cet ouvrage se lit son ordinateur ou une monographie de l’artiste à portée de main. Car, et ce n’est pas là le moindre des bonheurs qu’il nous offre, il invite constamment à aller découvrir ou redécouvrir les tableaux qu'il nous présente avec tant de finesse et d'intelligence. Se conjuguent ainsi l’incommensurable beauté de l’art pictural du Caravage et celle tout aussi envoutante de l’art littéraire qu’est celui de Yannick Haenel. 


Un ouvrage à découvrir aussi sur YouTube


  

10 commentaires:

  1. Je sais que ce n'est pas bien, mais la peinture du Caravage ne me touche pas. Du coup, ce livre n'est pas trop pour moi. Aifelle.

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    1. Quand on aime profondément un artiste - qu'il soit peintre, écrivain ou autre - on a toujours du mal à croire que quelqu'un puisse ne pas en être touché... Voir une toile du Caravage me laisse toujours sidérée d'admiration. Mais c'est ainsi... D'autres grands noms de l'histoire de l'art me laissent totalement froide... Je m'incline donc, et ce livre, effectivement, n'est sans doute pas pour toi.

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  2. j'apprécie beaucoup son oeuvre, je pense que ce livre me plaira!

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  3. Cela fait plusieurs fois que je tourne autour, j'aime énormément l'œuvre de Caravage, et je suis ravie de lire ton enthousiasme pour ce livre !

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    1. Surtout n'hésite plus !
      (Et ça me fait très plaisir de te retrouver ici... et sur ton blog :-)

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  4. Je l'ai vu à la Médiathèque et il est prévu pour cet été !
    Bon dimanche.

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  5. Fasciné par le Caravage, ses clairs obscurs, sa vie tumultueuse, intrigué par ces mystérieuses œuvres retrouvées à Loches et qui lui sont attribuées, je vais me précipiter sur cet ouvrage. Merci!

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    1. Il devrait grandement vous intéresser ! Bonne lecture :-)

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