lundi 2 avril 2018

Le bruit du monde

Stéphanie Chaillou

Notabilia, 2018



Stéphanie Chaillou a la chance de posséder un style bien à elle. Qu’on accroche ou pas, il est indéniable que son écriture percutante ne ménage pas le lecteur. En ce qui me concerne, j’avais été sidérée par son précédent roman, Alice ou le choix des armes, qui traitait avec une rare acuité de la violence au travail.

C’est à une autre forme de violence sociale qu’elle s’attaque aujourd’hui avec son nouveau roman. Ou plutôt, c’est le mythe de l’égalité des chances qu’elle scrute avec la rigueur et l’impassibilité qui la caractérisent. 
En déroulant le fil de la vie de son héroïne, Marie-Hélène Coulanges, dite Marilène, née le 18 juillet 1964 à Pouzauges, Stéphanie Chaillou dresse le procès-verbal d’une existence privée de toute forme de perspective. Etape par étape, depuis la venue au monde de la fillette, Stéphanie Chaillou pointe la manière dont son environnement familial et social s’inscrivent dès le départ en elle, dont celle-ci intègre sa position avant même de posséder les mots qui lui permettent de comprendre, resserrant ainsi peu à peu le champ des possibles. 
Bonne élève, alors même qu’elle pourrait trouver une échappatoire en intégrant une classe prépa à l’aide d’une bourse, ce sentiment profond, intime, de ce qu’elle est, de ce qui lui manque, de la distance qu’il lui faudrait parcourir pour combler le retard en termes de culture générale, de connaissances, de confiance en soi qui la sépare de ses condisciples, la condamne elle-même à l’échec.
Seule une rupture totale avec son milieu lui permettra peut-être de surmonter ces obstacles, d’autant plus importants qu’elle les a intériorisés.

La question du déterminisme social n’est certes pas nouvelle et l’on pourrait objecter à l’auteure son outrance. N’a-t-on vraiment aucune chance de pouvoir choisir sa voie, de se projeter et de se construire un avenir loin de ce que l’on reçoit à sa naissance ?

Tel n’est sans doute pas le dessein de l’auteure que de l’affirmer de manière aussi péremptoire. Mais ce qu’elle démontre parfaitement, comme elle le faisait déjà avec Alice concernant le harcèlement en milieu professionnel, ce sont les mécanismes psychiques à l’œuvre dans ce processus de reproduction des cellules sociales. Des mécanismes qui pénalisent doublement, et sans doute plus sûrement encore que les obstacles matériels, les plus démunis d’entre nous.

Le style sec, volontairement distancié qu’emploie l’auteure, associé à la brièveté du roman donne toute sa force et sa pertinence au propos. Certains pourront peut-être en être gênés. Pour ma part, j'ai trouvé ce texte incisif et saisissant.





8 commentaires:

  1. Je n'avais pas été convaincue par "Alice et le choix des armes". Le thème de celui-ci me tente énormément, mais je vais réfléchir.

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    1. Stéphanie Chaillou a assurément un style très particulier. Je peux comprendre, comme je le dis dans mon billet, qu'on puisse avoir du mal à y adhérer. Pour ma part, je trouve que cette forme convient parfaitement à ce que l'auteure développe. Et je lui trouve surtout une grande finesse d'analyse des mécanismes psychologiques. C'est assez rare d'entrer à ce point dans ce qui se joue au plus intime des individus.

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  2. J'ai hésité à le prendre lors de ma dernière virée en librairie. J'avais bien aimé son approche sur Le choix des armes même si mon enthousiasme était plus modéré que le tien. Nous verrons... (j'ai vu ta proposition de LC avec celui de Guillaume Para mais ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée (et de toute façon il va entrer dans la sélection des 68 donc pourrait bien passer par chez toi :-) ))

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    1. J'ai un peu laissé tomber les 68, j'ai un peu de retard... Reprise prochainement ;-)

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  3. Je suis pour ma part très curieuse de découvrir ce style si particulier...

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  4. On n'est un peu dans le même registre qu'Edouard Louis, non ? L'autofiction en moins peut-être.

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    1. Ah, non, c'est beaucoup moins trash ! Et surtout, c'est une écriture très distanciée. J'ai lu En finir avec Eddy Bellegueule il y a déjà un petit moment, mais il me semble que c'était un récit à la première personne. Ici, il y a vraiment un effet de procès-verbal et même si le constat est d'une grande violence, je n'en suis pas ressortie avec cette impression décoeurement.
      Ceci dit, je comprends le rapprochement que tu fais et j'avoue y avoir pensé également : l'issue semble provenir dans les deux cas de la rupture totale avec son milieu d'origine.

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