vendredi 27 octobre 2017

Un amour d’espion

Commentaire La Bibliothèque de Delphine-Olympe

Clément Bénech

Flammarion, 2017



Après quelques bonnes, voire très bonnes lectures, j’étais dans l’attente de la réception imminente d’un roman que m’avait expédié un membre de l’association des 68 Premières fois et je ne savais trop vers quel livre me tourner pour patienter... Je regardais ma PAL d’un oeil un peu circonspect lorsque le livre d’un très jeune auteur, au bandeau plutôt attrayant (à quoi ça peut tenir !) et au titre léger, aux allures de film d’espionnage,  émergea soudain.  
Je ne savais absolument pas à quoi m’attendre, n’ayant eu l’occasion de lire aucun commentaire sur ce roman... Allez savoir pourquoi, la première phrase, mise en exergue sur la quatrième de couverture, m’a d’emblée séduite : «Comme souvent de nos jours, tout avait commencé sur Facebook.» C’était donc parti pour un roman générationnel...

De fait, les protagonistes sont de très jeunes gens que l’on découvre conversant sur le fameux réseau social (le téléphone, c’est has been), l’un se trouvant en France et l’autre à New York. (Eh oui, les moins de trente ans ne quittent plus le domicile parental pour s’installer à quelques  jets de pierre de papa-maman).
Or, au cours de l’une de leurs conversations, Augusta apprend au narrateur son ami qu’elle a quitté son amant, critique d’art roumain, rencontré via une appli, car il se pourrait qu’il soit un assassin (si elle en croit les commentaires que dépose inlassablement un mystérieux internaute sous chacun des articles publiés par Dragan dans la webrevue pour laquelle  il travaille). Une idée chassant l’autre, elle l’invite à venir passer quelques jours chez elle pour filer l’ex-amant et découvrir le fin mot de l’histoire. Prendre un avion pour New York pouvant désormais se révéler plus simple et aussi rapide que de faire Fontenay-sous-Bois - Saint-Germain-en-Laye, le jeune homme trouve l’idée à son goût. Ni une ni deux, le voici à Brooklyn, au pied de l’appartement de son amie. 

Je ne vous dirai rien des aventures de nos héros pour ne pas vous priver du plaisir de les savourer. Mais vous l’aurez compris, la tonalité de ce roman est malicieuse à souhait. Clément Bénech revisite avec talent le genre du roman d’espionnage sur fond d’univers digital. Il use à cette occasion d’une plume alerte et élégante qui rend la lecture tout à fait plaisante. Une petite friandise dont vous auriez tort de vous priver.



vendredi 20 octobre 2017

Mille ans après la guerre

Carine Fernandez

Les escales, 2017


A l’aube du XXIe siècle, le vieux Medianoche goûte enfin une existence paisible. Veuf, il peut désormais fumer comme bon lui semble et savourer la compagnie de son chien Ramon sans que quiconque y trouve à redire. Les jours se succèdent, invariablement, dans la touffeur de l’été espagnol. Aussi lorsque sa sœur, qu’il n’a pas revue depuis des années, lui écrit une lettre pour lui annoncer le décès de son mari et son arrivée prochaine, il préfère éviter la cohabitation en quittant sur-le-champs son bourg des environs de Tolède. Avec son chien, il prend le premier car pour Montepalomas, le village de son enfance, où il n’était plus retourné depuis la guerre civile.

Ce voyage fait évidemment resurgir des souvenirs qu’il avait choisi d’ignorer. A l’image de son village, qui a été enseveli sous les flots depuis qu’un barrage a été construit, l’histoire de Medianoche, comme celle de tous les Espagnols, a été soigneusement enfouie sous une chape de silence. On ne parle pas de aquello, de ça. Ou bien tout bas, dans un murmure coupable... 
Des massacres, des trahisons, de la torture, des camps, Medianoche n’a jamais rien dit, pas même à son fils. Tant que Franco régnait en maître, mieux valait ne pas montrer qu’on avait soutenu la république. Après la mort de celui-ci, il n’y a plus ni vainqueurs ni vaincus. L’amnésie serait le meilleur terreau de la démocratie...

Mais comment réellement oublier quand une partie de soi vous a été arrachée, quand il faut continuer à vivre alors qu’un frère jumeau a été sommairement exécuté ? 

Dans ce roman, Carine Fernandez revient sur les années sombres de l’histoire de l’Espagne pour tenter de lever le voile qui a été pudiquement posé sur le pays. Nombreux sont aujourd’hui les écrivains espagnols à vouloir évoquer ce passé pour le regarder en face et dire ce qu’il s’est réellement déroulé.

Carine Fernandez, auteure française, participe à ce dessein avec un roman à la fois sobre et sensible, à l'écriture fluide et très accessible.


Lisez également le billet de Kathel

mercredi 11 octobre 2017

Le vertige danois de Paul Gauguin



Bertrand Leclair

Actes Sud, 2014


Il y a quelques jours, je vous parlais d’un ouvrage récemment paru regroupant d’anciens écrits de Bertrand Leclair et rendant compte d’une réflexion sur la personnalité et le geste artistique de Paul Gauguin. Ces différentes études débouchèrent par la suite sur un roman. Cela ne vous surprendra pas - et si vous ouvrez à votre tour ce Chantier Gauguin, sans doute aurez-vous envie de faire la même chose que moi - je me suis précipitée sur Le vertige danois à peine les pages de ce recueil refermées...

Bertrand Leclair a choisi de scruter un moment très précis de la vie de Gauguin, celui où il va définitivement laisser derrière lui sa femme, ses enfants, et renoncer à toute tentative de répondre aux injonctions sociales, pour se consacrer entièrement à la peinture. 

Gauguin est-il cet enragé qui envoya tout au diable pour partir au bout du monde, avec son art pour seul viatique ? Est-il cet albatros célébré par Baudelaire, ce génie incompris, cette victime sacrificielle se résignant à souffrir pour prix de sa création ? Les mythes ont la vie dure, et il faut dire que nous n’aimons rien tant qu’en auréoler nos idoles. 
Mais les choses ne sont jamais si simples, et Bertrand Leclair le sait bien. A travers la lecture attentive de la correspondance de Gauguin ainsi qu’une fine analyse de ses œuvres, il a su déceler la tension qui se jouait au plus intime de l’artiste, dont les quelques mois passés en 1885 à Copenhague furent l’acmé, précipitant ainsi son destin. Et c’est bien cela qui intéresse l’écrivain: entre l’image  du peintre dénué de talent, de raté incapable même de subvenir aux besoins de sa famille que son entourage lui renvoie, et sa conviction profonde d’être un artiste dont le génie finira tôt ou tard par éclater au grand jour, Gauguin oscille, chancelle et peine à se fixer un cap.
Leclair nous le montre dans toute son ambivalence, entre arrogance et désarroi, entre rage et détresse, balançant entre son amour et sa responsabilité de père et l’élan qui le pousse vers la peinture. Il le dépouille de toute aura sulfureuse ou hagiographique pour nous le montrer simplement humain, ce qui signifie dans son cas un être cherchant à atteindre, ou au moins toucher du doigt, quelque chose qui le dépasse.

Dans ce texte d'une splendide densité, avec l’art du mot juste et la force de la formule qui claque, Bertrand Leclair nous permet de pénétrer au plus intime de la psyché de Gauguin pour nous faire vivre ce moment de vertige où l’artiste prit définitivement son essor, fût-ce à son corps défendant. Car c’est bien son épouse - ou la famille de celle-ci, c’est tout comme -, qui le poussa hors du foyer pour le précipiter vers son destin. C’est du moins ce que prétend croire Gauguin. Sans doute lui fut-il plus facile de l’entendre ainsi. Mais une chose est sûre, c’est qu’il mit alors toute sa détermination et sa rage à s'affirmer comme ce sauvage qu’on lui reprochait d’être pour se dédier à ce qui était l’épicentre son existence : la peinture.


Un texte qui apportera sans nul doute un précieux éclairage pour la visite de l'exposition "Gauguin l'alchimiste" qui s'ouvre aujourd'hui même au Grand Palais.





© Delphine-Olympe

samedi 7 octobre 2017

Comment vivre en héros ?

Commentaire La Bibliothèque de Delphine-Olympe

Fabrice Humbert

Gallimard, 2017


Voici un roman que j’avais très envie de lire, tant j’avais été impressionnée par un précédent titre de Fabrice Humbert, La fortune de Sila. Entendez par là que j’avais été assez éblouie par la construction de son récit et plus encore par l’aura qui se dégageait de son personnage principal. 
J’avoue que le titre de ce nouvel opus m’intriguait. Comment vivre en héros ? Non pas pourquoi ou peut-on, ou même doit-on vivre en héros, mais bien comment, indiquant ainsi un singulier postulat de départ. Ne m’étant moi-même jamais pensée comme une héroïne, je me demandais vraiment ce que recelait ce récit...

Poussé par son père, ancien résistant et grand admirateur de Marcel Cerdan, Tristan Rivière dut se mettre à la boxe dès son plus jeune âge. En dépit de son naturel plutôt peureux et de son peu de goût pour les combats, il se révéla plutôt doué, aussi son entraîneur, Bouli Damiel, se prit-il de sympathie pour lui. 
Sur le ring, Tristan parvenait à dominer sa peur et à se composer un masque impassible. Mais le jour où Bouli, passablement éméché, vient chercher des noises à trois brutes dans le métro, Tristan prend ses jambes à son cou et le laisse se faire casser la figure en solo. Bouli sortira du coma, mais Tristan ne se relèvera pas de ce moment de faiblesse qui lui révéla sa véritable nature. Ces quelques instants dévièrent ainsi le cours de son existence, comme, plusieurs années plus tard, quelque trente-huit secondes suffirent à l’inverser de nouveau, lorsqu’une situation similaire se reproduisit. Tandis qu’il était dans un RER, une jeune femme se faisait brutalement alpaguer par une poignée de jeunes hommes qui allaient de toute évidence la violer. A la faveur d’un arrêt, alors que personne ne réagissait au sein du wagon, Tristan, redoutant de vivre à nouveau une situation qu’il n’est jamais parvenu à régler, l’entraîne à l’extérieur juste avant que les portes ne se referment. Trente-huit secondes, c’est le temps qui s’écoula entre le moment où il s’élança et celui où il arrêta sa course effrénée pour regarder la jeune personne qu’il venait de sauver... et qui allait de venir sa femme. Trente-huit secondes qui changèrent donc sa vie.

Le narrateur qui observe et rapporte tout cela ne se prive pas d’interrompre régulièrement le récit pour évoquer les différentes possibilités qui s’offrent aux personnages et rappelle, à travers l’évocation du passé du père de Tristan, que certaines périodes, certains contextes, conduisent inévitablement les individus à révéler ou non leur nature héroïque.

Fabrice Humbert scrute ces moments brefs mais décisifs de l’existence qui peut prendre  un cours ou au autre bien différents selon la voie que l’on emprunte. Ce n’est pas seulement une question d’acte, mais surtout ce que ces choix nous révèlent à nous-mêmes et de nous-mêmes qui les rendent décisifs.

En soi, la réflexion n’est pas inintéressante, et le roman est plutôt agréable à lire. Cependant, le caractère très appuyé de la démonstration et la posture morale qui transparaît m’ont un peu gênée, voire laissée sur ma faim. Le traitement du propos manque un peu de profondeur pour être vraiment convaincant. Autant il y avait de la puissance et de la lumière dans La fortune de Sila, autant ce roman m’a semblé plus poussif. 
Il n’en demeure pas moins que la plume de Fabrice Humbert est d’une fluidité qui rend la lecture plaisante. J’attends donc le roman dans lequel il retrouvera sa véritable puissance romanesque...

mercredi 4 octobre 2017

Chantier Gauguin

Bertrand Leclair

Publi.net éditions, 2017



De longue date, Bertrand Leclair s’intéresse à Paul Gauguin. En 2003, pour le centenaire de la mort du peintre, l’écrivain avait donné à France Culture un feuilleton qui retraçait son parcours. Cette même année, il avait écrit une postface à un ouvrage de l’artiste, Racontars de rapin, que le Mercure de France rééditait alors. Enfin, dans le cadre de leur collection «FolioPlus Philosophie», les éditions Gallimard commandèrent à Bertrand Leclair de courtes études de tableaux destinés à figurer en couverture de textes classiques. Ainsi commenta-t-il la grande toile intitulée D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? qui allait être associée au Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, de Jean-Jacques Rousseau, et une œuvre d’Emile Bernard, qui fut un temps très lié à Gauguin, Madeleine au bois d’amour, qui devait servir de frontispice à La volonté de savoir, de Michel Foucault, et qui cristallisa des enjeux tant affectifs que picturaux au sein du groupe de Pont-Aven. 
Quelques années plus tard, en 2014, Bertrand Leclair publierait chez Actes Sud un roman intitulé Le vertige danois de Paul Gauguin.

En mars 2008, ces trois premiers ensembles de textes étaient réunis pour être publiés dans la maison que venait de fonder François Bon. Il s’agissait alors d’une édition purement numérique. A l’occasion sans doute de la rétrospective que le Grand Palais consacre dès ce mois-ci à Gauguin, une édition papier vient d’être publiée.

Il se dégage de ces textes composites le portrait d’un homme qui mettait son œuvre au-delà de toute contingence matérielle ou affective. Gauguin est un autodidacte venu tardivement à la peinture. Il n’en avait pas moins une conscience très aiguë de la rupture qu’il imposait avec les formes artistiques qui le précédaient. Si l’on peut voir à travers notamment sa correspondance qu’il ne cessa d’espérer le succès de ses tableaux  ou la reconnaissance à venir de son travail, l’incompréhension du public et des critiques n’entama jamais sa détermination. Il s’acharna au contraire à être ce sauvage qu’il revendiquait, à l’opposé de l’artiste appliqué à maîtriser les techniques transmises par ses aînés. Il se voulait un être libre de faire voler en éclats les canons esthétiques classiques et les conventions pour mettre au jour une manière nouvelle, singulière, de voir et représenter le monde. Aux yeux de Gauguin, l’artiste est celui qui a le droit (le devoir ?) de tout oser, ce qui signifie tout oser dans son œuvre comme dans sa vie, celles-ci étant intimement liées. Il ne s’en priva pas et paya cette audace au prix fort, celui du mépris et du rejet.

A travers les différentes approches qu’il a choisies et en se concentrant sur certains moments cruciaux de la vie de Paul Gauguin (les deux séjours en Polynésie, l’épisode de Pont-Aven, les quelques semaines de compagnonnage avec Van Gogh…), Bertrand Leclair parvient à circonscrire – ou au moins approcher – la nature du geste artistique du peintre et, évidemment, la valeur existentielle qu’il renfermait.

Inutile de préciser que ce recueil constitue un excellent prologue à l’exposition qui s’ouvre dans quelques jours au Grand Palais pour (re)découvrir l’œuvre de cet immense peintre. 



Paul Gauguin, D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? 1897-1898, musée des Beaux-Arts de Boston


Emile Bernard, Madeleine au Bois d'Amour, 1888, musée d'Orsay