jeudi 17 novembre 2016

L’ombre du sabre

Owen Matthews

Les Escales, 2016


Traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre


Livre après livre, Mathews dépeint sans complaisance, mais avec une acuité rare, ce grand pays qu'est la Russie.

Owen Matthews est un écrivain né à Londres, dont le père est anglais et la mère, russe. Ce qui explique que la Russie puisse le hanter et l’habiter au point d’occuper une place prépondérante dans son œuvre. Dans Les enfants de Staline (que je n’ai pas lu), il dépeignait à travers l’histoire de sa propre famille la période soviétique de ce pays ; dans Moscou-Babylone, il brossait avec brio le tableau de l’ère Eltsine, au moment où, après la Glasnost, une nouvelle caste s’emparait fiévreusement du pouvoir dans un écoeurant étalage de richesse. Avec ce nouveau roman, Owen Matthews nous plonge dans la Russie du XXIe siècle, alors que le conflit avec la Tchétchénie fait rage et que d’anciennes républiques cherchent à arracher armes à la main l’indépendance que leur refuse l’implacable Poutine.

Le roman s’ouvre sur une scène très brève, qui voit son héros Alexei, reporter de guerre, assister dans un paysage apocalyptique à la mort brutale d’un couple, avant d’être lui-même violenté par des soldats. Nous sommes en Ukraine en septembre 2014. Qui sont l’homme et la femme qui viennent de perdre la vie ? Quel est le rôle d’Alexei ? Existe-t-il un lien entre ces personnages ? Pour le savoir, il nous faut revenir quatorze ans en arrière, en mars 2000. Alexei est alors un tout jeune homme qui s’apprête à embrasser la carrière de journaliste. Il est envoyé en Tchétchénie, où Youri, photographe expérimenté, lui apprend les ficelles du métier. Alexei est alors encore bien tendre. Il va connaître la peur, le sentiment d’impuissance... et l’amour. Mais tomber amoureux d’une femme issue des rangs des rebelles lorsqu’on se trouve du côté de l’armée russe, c’est s’aventurer sur un terrain plus que dangereux... Aussi, lorsque Zeliha est capturée par les soldats russes, Alexei ne peut lui porter secours sans risquer d’y perdre la vie. De la terreur qui le paralyse alors naît un sentiment de culpabilité dont il ne parviendra jamais à se déprendre, tandis que les halètements qu’il perçoit venant de l’homme qui viole la jeune femme ne cesseront de le poursuivre...

Retour au printemps 2014. Lorsque Zeliha et Alexei se croisent par hasard à Istanbul, ils se reconnaissent immédiatement. Zeliha est parvenue à survivre, mais elle en a payé le prix fort. Aujourd’hui elle a besoin d’aide et Alexei ne peut la lui refuser. Il doit alors retrouver les protagonistes du front tchétchène et revenir sur les traces du douloureux passé...

Si les fils de l’intrigue que noue Mathews apparaissent tout d’abord assez flous, il faut  néanmoins accepter de le suivre et se laisser immerger dans le chaos de la guerre. Chaque élément finit en effet par trouver sa place et, lorsqu’on referme le livre, on est tenté de relire les premières pages qui apparaissent alors dans toute leur netteté. Entretemps, Owen Matthews nous aura à nouveau offert une peinture de cet incroyable pays qu’est la Russie, un portrait sans concession qui, malgré sa violence, laisse transparaître aussi ce qui fait la grandeur de ce peuple et de sa culture.



11 commentaires:

  1. Un thème qui m'intéresse beaucoup, je note ce titre que je n'avais pas remarqué.

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  2. On dirait de ces grands romans sur le thème "histoire d'amour dans un pays en guerre"...

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    1. Ah non, ce n'est pas une de ces bluettes ! D'ailleurs, l'histoire d'amour est avortée.
      Mais le héros porte en lui une culpabilité qui va l'inciter, quinze ans plus tard, à porter secours à la femme qu'il a aimée. Ce livre, à travers une intrigue romanesque, évoque la situation de la Russie et de ses anciennes républiques, et, je dirais, de l'état social de ce pays. C'est une peinture. C'est déjà ce que j'avais aimé dans Moscou-Babylone, où c'était d'ailleurs accru. A travers son héros, Matthews évoquait vraiment ce qu'on appelle généralement "l'âme russe".

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  3. La Russie est sans doute le pays qui m'attire le moins au monde. Du coup je n'ai pas forcément envie de me précipiter sur ce titre.

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  4. Pas facile comme thème ni comme contexte. C'est vrai que la Russie ne m'attire pas beaucoup mais... j'avais été séduite par le roman d'Anthony Mara, Une constellation de phénomènes vitaux situé aussi en Tchétchénie (lu pour le Grand Prix des lectrices de ELLE 2015 dont il a été lauréat)... Alors pourquoi pas ? Je me demande s'il n'y aurait pas matière à une lecture croisée, tiens, s'il t'intéresse.

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    1. Le titre me dit vaguement quelque chose… S'il est vraiment bien, pourquoi pas. Toutefois, vu toutes les lectures qui me tendent les bras, disons que je n'en ferais pas une priorité...

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  5. Je crois connaître le nom de cet auteur... J'avais dû repérer une couverture, elles sont jolies chez cet éditeur. Ce roman semble intéressant, mais j'en note déjà tellement !

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    1. Oui, et celle de Moscou-Babylone était vraiment géniale ! Je crois d'ailleurs que c'était ce qui m'avait amenée à m'y intéresser… et je ne l'ai pas regretté.

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