dimanche 2 octobre 2016

La succession

Jean-Paul Dubois

L’Olivier, 2016



Père et fils, une relation sous haute tension

Au fil des années et des œuvres, Jean-Paul Dubois s’est imposé sur la scène littéraire, se constituant un public de fidèles, heureux de retrouver livre après livre sa voix singulière. Je ne prétends pas en faire partie, puisque de lui je n’avais jusqu’à présent lu qu’Une vie française, qui m’avait toutefois profondément touchée. J’avais fait ensuite une autre tentative qui s’était soldée par un abandon... Je conservais malgré tout l’envie de retrouver ce personnage et ce ton pour lesquels j’éprouve une sympathie naturelle. Pourquoi avoir attendu si longtemps, me direz-vous ? Je l’ignore, mais il est certain que la lecture d’avis extrêmement contrastés sur La succession a (r)éveillé ma curiosité. De quel côté allais-je donc pencher, puisque apparemment ce livre divisait les lecteurs en deux camps nettement opposés et que j’avais moi-même adoré un titre de l’auteur tandis que je m’étais mortellement ennuyée à la lecture d’un autre ?
D’autant que cette histoire de joueur de pelote basque expatrié en Floride, revenant en France à l’occasion du décès de son père ne m’apparaissait pas comme un sujet particulièrement sexy. Mais on sait bien qu’en matière de littérature, le sujet importe moins que son traitement... Jean-Paul Dubois allait d’ailleurs m’en apporter la plus brillante et la plus réjouissante des illustrations.

En deux mots, le héros de ce roman a choisi d’embrasser une voie professionnelle ayant généré l’incompréhension de son père, puis le délitement de sa relation avec lui, l’éloignement géographique ayant fini de consommer la rupture. Il faut dire que la famille dont est issue le narrateur apparaît pour le moins excentrique, et l’on comprend qu’il ait ressenti le besoin de s’en tenir à l’écart (mais quelle famille ne connaît pas sa part d’étrangeté ?). Une mère attentive mais peu affectueuse qui entretient avec son frère une relation fusionnelle, au point de former avec lui, au sein même de son foyer, un couple plus uni que celui qu’elle forme avec son propre mari ; un grand-père conservant dans le formol une lamelle du cerveau de Staline prélevée lors de l’autopsie pratiquée par ses soins ; et un père énigmatique et distant recevant ses patients en short. Bref, une somme d’individus restant somme toute assez étrangers les uns aux autres, parmi lesquels Paul n’arrive pas à trouver sa place. Ajoutez à cela que les membres de cette famille se suicident les uns après les autres, et vous aurez une petite idée de la force de caractère qu’il faut déployer pour conserver un semblant d’équilibre mental...

Par-delà ce délicat cheminement, c’est surtout l’histoire d’un homme qui remet ses pas dans ceux de son père, que nous narre Dubois, pour essayer enfin de comprendre celui qui lui était resté totalement insaisissable de son vivant. En retournant dans la maison de son enfance et en reprenant le cabinet paternel, Paul trouvera-t-il une forme de paix en découvrant qui était vraiment cet homme ? Comprend-on jamais qui sont ses parents et ce qu’ils ont essayé de nous transmettre ?

Jean-Paul Dubois explore ces territoires avec une élégance infinie. Le regard que porte son héros sur le monde est teinté d’un détachement empêchant toute forme de jugement. Pourtant, loin d’être froid et cruel, ce regard est au contraire teinté de tendresse et d’indulgence qui nous rendent chacun des personnages attachants, en dépit de leurs défauts et de leur maladresse, tandis que l’humour pince-sans-rire que l’écrivain manie avec brio tient constamment le tragique à distance. Un magnifique exercice d’équilibriste qui confère à ce roman la grâce que j’espérais y trouver. Nul doute qu’il ne s’agissait pas là de mon ultime rendez-vous avec Dubois…

Mior a écrit un très joli billet


45 commentaires:

  1. Tu me tentes beaucoup, là. Et dire que sera le premier roman de Jean-Paul Dubois que je lirai.

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  2. Je n'avais pas du tout aimé Une vie française. Je vois bien, pourtant, que cet auteur, progressivement, crée une oeuvre véritable et qu'il semble se bonifier au fur et à mesure de son travail. Mais je dois reconnaître que je suis lasse de ces histoires de famille.... Un autre moment, peut-être.
    Bonne journée.

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    1. Je crois qu'Une vie française est un peu à part dans son l'oeuvre de Dubois. Dans mon souvenir, au-delà du récit de la vie d'un individu, c'est une fresque sociale que l'on pouvait y lire, et c'est ce qui m'avait d'ailleurs plu. La succession, comme je crois la plupart des autres livres de Dubois, est plus intimiste.
      Mais bon, quand on n'est pas tenté par un livre, il n'y a aucune raison de se forcer ! Merci pour ton petit mot, en tout cas.

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  3. Je l'ai fini hier soir et ai beaucoup aimé. On entre dans les secrets de famille pour s'apercevoir que l'on ne connaît jamais tout à fait les personnes qui nous sont les plus proches.

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  4. Je ne suis pas très attirée par cet auteur, il faudrait que j'en emprunte un à la bibliothèque un de ces jours, pour voir.

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    1. Oh oui, je pense que ça ne doit pas être difficile à trouver !

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  5. J'ai rarement "envie" de lire Dubois, mes tentatives avec lui n'étaient pas ratées, mais pas non plus totalement réussies. Le sujet de ce dernier livre m'intéresse plus, c'est vrai.

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    1. Eh bien tu vois, moi il m'attirait moyen et pourtant j'ai beaucoup aimé. Tu devrais adorer ;-)

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  6. Bah, la présence de ses romans à la bibli me permettra de tenter l'aventure

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    1. Mais oui, c'est l'avantage des bibli que de pouvoir tenter toutes sortes de textes vers lesquels on n'oserait pas aller spontanément. On fait ainsi parfois de fort belles découvertes !

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  7. Contente que tu aies aimé ! ( te souviens tu , nous en avions parlé sur la pelouse à America) . Curieusement, je ne le resumerais pas du tout dans les mêmes termes que toi ; bien sûr il y a des relations père fils tourmentées, voire un secret de famille ,,.mais pour moi la question posée est bien plus largement "comment mener sa vie" ou " que faire de sa vie"...tout cela pour nous mener à l'engagement final

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    1. C'est vrai, Mior, mais il me semble que cette question du sens et de la direction que l'on donne à sa vie sont très influencés par ce que nous transmettent nos parents. Il y a dans ce roman une incompréhension mutuelle entre le père et le fils qui engendre une douleur latente, qu'ils croyaient de part et d'autre avoir pu gérer, mais qui resurgit au moment du décès. Le fils revient alors vers son père, mais parce que le père lui-même l'y a invité à son étrange manière. Toute la vie de cette homme est narrée ici à travers le prisme de la famille. En tout cas, c'est un bien beau récit.
      (Je m'aperçois que j'ai omis de mettre un lien vers ton billet, que j'avais beaucoup apprécié. Je le rajoute tout de suite !)

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    2. Rhoo,merci . As tu lu le très beau billet d'Emmanuel ? ( Le tour du nombril)

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    3. Ah non ! Voilà l'occasion de découvrir un beau blog, alors ? Tu avais d'ailleurs dû le mentionner quand on s'est vues au festival America, car le nom me dit quelque chose...

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  8. Je n'avais jamais lu cet écrivain et une amie m'a prêté "la succession".
    Malgré son originalité et son style je n'ai pas du tout accroché.Peut-être ce long passage sur la pelote basque et ce milieu inconnu pour moi..de plus j'ai trouvé ce roman très noir et tragique. . Peut-être comme me l'a conseillé mon amie devrais-je le relire?

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    1. Je ne sais pas. Pourquoi pas si tu en as envie.
      Mais un livre est protéiforme et chaque lecteur lit le sien. Chacun perçoit les choses selon sa sensibilité, sa propre expérience, sa situation au moment de la lecture... Autant d'éléments qui travaillent le texte et qui en modifient la réception. C'est ce qui en fait la richesse... ainsi que celle de nos échanges !

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  9. Je retrouverais volontiers Jean-Paul Dubois avec ce roman ! Si le souvenir d'Une vie française est un peu flou, j'ai lu plus récemment Hommes entre eux et Le cas Sneijder et j'ai apprécié la manière de raconter dans ces deux romans assez différents l'un de l'autre.

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    1. Si tu aimes Dubois, en effet, aucune raison de t'en priver ;-)

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  10. Un auteur que je n'ai jamais lu et qui a priori ne me tentait pas, mais à force de voir passer des billets enthousiastes de blogueurs que j'apprécie je vais sans doute succomber !

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    1. Et oui, les blogueurs, surtout lorsqu'ils se liguent, peuvent être très persuasifs ;-) J'espère qu'il te plaira.

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  11. Je ne sais pas si je vais te suivre sur ce coup-là (d'autant que mon temps est à nouveau très compté et qu'il me faut être très sélective dans mes lectures), ma seule rencontre avec Dubois (La vie me fait peur) s'étant soldé par un échec. Je ne suis pas sûre que ce soit un auteur pour moi, en fait...

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    1. Je ne sais que te dire : en ce qui me concerne, si je m'appuie sur mes trois lectures, c'est une fois un grand enthousiasme, une fois une déception (mais eu final deux tiers de réel bonheur de lecture ;-)

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  12. Un auteur que j'adore, il y a un petit quelque chose dans son écriture et dans ses thèmes de prédilection qui me touche profondément.

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    1. Oui, j'ai lu ton récent billet sur Si ce livre pouvait me rapprocher de toi. J'aime aussi beaucoup son style, que je trouve d'une rare élégance. Celui-ci devrait également te plaire.

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  13. On est d'accord ! C'était mon premier Dubois et j'ai été séduit par son style tout en finesse, entre distance ironique et tendresse... Belle découverte.

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    1. Je n'ai pas vu ton billet… Tu n'en as pas écrit ?
      Décidément, il semble que nous partagions les mêmes goûts littéraires
      ;-)

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  14. Comme je te disais sur IG, j'ai beaucoup aimé son intervention dans La grand librairie. Un homme humble, réservé, mais qui parle sans barrières. J'avais envie de lire "Si ce livre pouvait me rapprocher de toi", dont est inspiré le film "Le fils de Jean". A nouveau avec les thèmes de la famille, et de la relation fils-père (qui est disparu dans cette histoire).

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    1. Oui, j'aime bien aussi ces personnalités en retrait, sincères, loin de l'esbroufe et des ego surdimensionnés que l'on rencontre trop souvent à mon goût dans les milieux littéraires...

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  15. Je suis comme toi, depuis Une vie française, j'avais un peu zappé Dubois, celui-ci m'attire certains jours... mais je vais déjà faire descendre un peu ma PAL et puis on verra.

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  16. J'avais déjà très envie de le lire mais là tu enfonces le clou !

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  17. J'ai beaucoup aimé Une vie française et j'ai profité de la présence de J.P. Dubois au Forum Fnac Livres pour me faire dédicacer son dernier roman que je lirai prochainement.

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    1. Oh quelle chance ! J'aurais tant voulu m'y rendre, mais la date retenue pour cet événement n'était vraiment pas évidente... Bonne lecture à toi.

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  18. Pour ma part, j'ai été gênée par l'aspect morbide du récit. Finalement, la pelote basque est une ultime tentative de choisir la vie, qui ne suffit malheureusement pas au personnage pour échapper à son hérédité. J' ai également regretté que le roman se déroule comme un exercice de style sans surprise (tout est dit dans la 4eme de couv) jusqu'au renversement de la fin. Néanmoins, je garde un souvenir presque physique de ce que j'ai ressenti en le lisant...le livre est truffé de références visuelles et sensorielles très réussies.

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    1. J'ai quant à moi trouvé que l'humour de Dubois permettait à ce récit très noir en effet, d'épargner un peu son lecteur. Et puis il a un réel talent pour installer une ambiance. J'ai ressenti une profonde tendresse.
      Mais il est certain que la mort n'est jamais un sujet facile. D'autant qu'on parle ici d'une fin choisie, qu'on se la donne ou que l'on aide les autres à se la donner...
      Mais je te rejoins sur un point : les éditeurs en disent souvent trop en quatrième de couv ;-)

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  19. J'ai adoré découvrir cet auteur avec "Tous les matins je me lève". Tellement drôle!!! :D
    Et Jérôme me suggérait "Vous plaisantez, monsieur Tanner".
    Maintenant il faut absolument que je découvre celui-là!

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    1. Je crois savoir que Monsieur Tanner est en effet très drôle. Ici, l'humour vient ponctuer le texte pour dédramatiser le propos qui est sur le fond assez lourd. Quoi qu'il en soit, il vaut la peine d'être découvert !

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  20. Ma rencontre avec Dubois a été un échec mais c'était il y a quelques années . Ton avis m'intrigue mais ce sera un emprunt à la médiathèque

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  21. Réponses
    1. Oh, alors telle que je te connais, je ne devrais pas trop tarder à voir un billet sur ton blog ;-)

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  22. Il est dans ma PAL, son tour viendra mais j'aime ce qu'écrit cet auteur en général.

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