jeudi 25 août 2016

Voici venir les rêveurs

Imbolo Mbue

Belfond 2016


Traduit de l’anglais (Cameroun) par Sarah Tardy


Variation sur le rêve américain

Voici un roman qui porte parfaitement son titre car, malgré la rudesse de son sujet, il est empreint de bienveillance et se révèle beaucoup moins violent que bien d’autres romans sur le même sujet. Jende et Neni sont en effet deux Camerounais venus chercher en Amérique une vie meilleure que celle qu’ils pourraient espérer connaître dans leur propre pays, qui ne leur offre pour tout horizon qu’un petit emploi sans envergure, une maison exiguë et sans confort, mais surtout aucun espoir d’ascension sociale. Au Cameroun, explique Jendé, si vous faites partie des plus pauvres, vous pouvez être certain de le rester. Le rêve américain, celui dont les maisons de production américaines abreuvent le monde, fonctionne alors à plein.
Jende a économisé et, sitôt qu’il a obtenu un visa, il s’est envolé pour les Etats-Unis, espérant pouvoir y faire venir au plus vite sa femme et son fils, âgé de 6 ans environ.

Lorsque s’ouvre le roman, ils sont tous trois installés à New York. Jende est taxi; quant à Neni, elle cumule un emploi dans un établissement de santé avec des études à l’université pour réaliser son rêve ultime : devenir pharmacienne. Tout semble fonctionner pour le mieux : lorsque Jende décroche un emploi de chauffeur bien rémunéré pour un riche dirigeant de Lehman Brothers, tous les espoirs deviennent enfin permis. Même s’ils habitent un tout petit appartement de Harlem, ils peuvent s’offrir des biens de consommation courante et même économiser afin de pouvoir, dans quelques années, accéder à un bon logement dans un quartier moins défavorisé.
Neni aime passionnément New York. Elle y a des amis, elle y fait des études, les bons résultats scolaires de son fils permettent d’envisager pour lui un avenir brillant, et l’employeur de son mari se montre très correct. Toute la famille Edwards est d’ailleurs charmante. C’est ce que Neni découvre bientôt, lorsqu’elle passe un mois en son sein pour remplacer la domestique partie en congés... Neni apprécie particulièrement madame Edwards, qui se révèle compréhensive et généreuse à son égard. Et puis, elle est la preuve vivante que l’Amérique a tout à offrir : partie de rien, sans père et dotée d’une mère ne lui ayant prêté aucune attention, élevée dans la misère, elle vit désormais dans le luxe et fréquente le gratin mondain...

Pourtant, cette magnifique façade va peu à peu se lézarder. Et lorsque Lehman Brothers implose, au moment de la crise des subprimes, c’est tout l’univers de ces richissimes Américains qui va voler en éclats, jusqu’à atteindre Jende et les siens.

Roman sur l’immigration, sur le déracinement volontaire, sur la volonté de se construire un avenir, sur la recherche d’un ailleurs plus clément, il révèle l’impasse dans laquelle se retrouvent bien trop souvent les candidats à une vie meilleure.
C’est un roman que l’on lit sereinement, calmement, dont on ne sort pas éreinté. C’est ce qui en fait la singularité et le charme. Les personnages sont attachants et, malgré les revers, ne s’installent jamais dans le ressentiment. Cependant, loin d’être angélique, ce roman renvoie les personnages à leur statut de clandestins sans les violenter, mais sans les épargner, réduisant à néant le fameux rêve américain...


Les avis de Kathel, Clara  et Jostein


29 commentaires:

  1. Cette poursuite du rêve américain vécue par des Africains me tente beaucoup. Je note.
    Je pense au "Americanah" de Chimamanda Ngozi Adichie. À part le thème, ça a quelque chose à voir, ou pas du tout?
    Ici, on semble suivre plusieurs personnages, hein?

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    1. Le traitement est vraiment différent. Pour ma part, j'avais trouvé le roman d'Adichie intéressant mais un peu trop long. Je trouve qu'il y a vraiment une atmosphère dans le roman de Mbue. Americanah traitait davantage de la question des Noirs aux US. Ici, même si les Noirs servent de riches Blancs, c'est davantage la question du mythe du rêve américain qui se pose (quelle que soit la couleur de peau, d'ailleurs ; et même si les Noirs ne font que l'effleurer sans pouvoir l'atteindre). Et en effet, on suit parallèlement deux familles, une noire et une blanche.

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    2. Ah! Tant mieux. Merci pour ces précisions.

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  2. Le titre est bien choisi... et beau je trouve. Visiblement un des romans de cette rentrée dont on entendra parler !

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  3. C'est la preuve que l'on peut faire des romans captivants sans "éreinter" le lecteur comme tu dis. Déjà noté chez Kathel, je surligne :-)

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    1. Heureusement ! Vu la quantité de romans que nous lisons, nous n'en sortirions pas vivants ;-)
      Cela dit, il y a d'excellents romans "éreintants". Sur le thème de l'immigration et des conditions de survie des clandestins, le roman de Manoukian paru l'an dernier par exemple, Les échoués, était extraordinaire. Mais il est vrai qu'il ne concernait pas le même type d'immigration : un arrachement brutal à une terre qui met votre vie en péril. Ici, c'est différent. L'origine du départ est un rêve, et non un cauchemar.

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  4. J'aime bien ce que tu dis sur ce roman qui se lit sereinement, sans éreinter le lecteur. Je l'ai ressenti aussi, et j'aimerais bien lire ce genre de remarque sur les romans de la rentrée, dont beaucoup me semblent au contraire agresser le lecteur...

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    1. La littérature s'empare souvent du réel pour en restituer une image cohérente, sublimée ou une perception personnelle. Et la réalité n'est pas particulièrement tendre...
      Il se publie aussi d'excellents livres beaucoup plus dérangeants qui sont tout aussi passionnants. Je citerais notamment L'Insouciance de Karine Tuil, que j'ai adoré. C'est de toute façon la diversité des genres et des approches qui nous réjouit en littérature, n'est-ce pas ?

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  5. J'ai pensé à Americanah, tout comme Marie-Claude, en voyant le thème de l'immigration.
    C'est un thème qui me parle et puis s'il est écrit d'une si belle manière.. :-)
    J'aime ce que tu dis sur "Les Echoués". Oui il était éreintant mais ô combien nécessaire et magnifique.

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  6. Celui-ci est déjà sur ma liste!

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  7. Bien envie, j'attends tranquillement la bibli

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  8. Merci pour ce beau billet, le roman est dûment noté :)

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  9. ça me rappelle trop Americanha, que j'avais moyennement apprécié.

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    1. Je n'avais pas adoré non plus, quoi que l'ayant trouvé intéressant.
      Celui-ci est très différent... mais je suppose que tu as de toute manière déjà une pal longue comme le bras !

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  10. J'aime l'idée qu'on ne sorte pas éreinté d'un roman sur un tel sujet, du coup je le remet dans mes envies :-)

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  11. Ta chronique me donne très envie de lire ce roman, je note le titre !

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  12. Je vais bientôt le lire car il est dans ma pré-sélection du prix Elle.

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  13. J'ai adoré ce roman. Je trouve que Jende est un personnage très touchant. J'adore sa droiture. Je trouve aussi que ce roman aborde simplement ce problème et que ça rend la lecture très agréable. Une bonne surprise de cette rentrée littéraire.

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    1. Oui, les personnages sont en effet touchants, car je trouve que Neni l'est aussi. C'était une lecture très agréable.

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  14. J'ai toujours été attirée par la littérature africaine. Alors il me tente forcément...
    Merci!

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