lundi 18 juillet 2016

Terre déchue

Patrick Flanery

Robert Laffont, 2016


Traduit de l’américain par Isabelle D. Philippe


La fin du rêve américain

Glaçant. Si je devais qualifier ce roman d’un seul terme, ce serait assurément celui-là. 
Dès les premières pages, Flanery plante un décor de sinistre mémoire : celui d’une terre qui fut le théâtre d’émeutes raciales et vit le lynchage de plusieurs hommes. Quelques pages et une centaine d’années plus tard, on est projeté dans un pénitencier où un condamné reçoit la visite d’une femme. On ne sait rien encore de ces deux personnages, si ce n’est qu’ils se connaissent, mais que le sentiment qu’ils nourrissent l’un pour l’autre est tout sauf amical...

C’est l’histoire d’une terre que nous conte Flanery, celle dans laquelle s’enracinent certains individus depuis plusieurs générations, celle aussi que d’autres veulent s’approprier sans la connaître, la comprendre ni l’aimer, croyant, en l’achetant, pouvoir en devenir les maîtres, celle enfin sur laquelle viennent s’installer des individus venant y chercher ce qu’elle ne pourra leur offrir. Louise, une vieille femme noire expulsée, Paul Krovik, un promoteur immobilier sans envergure et sans états d’âme, et Nathaniel, un wasp bostonien accompagné de sa femme et de son jeune fils Copley sont les héros de ce sombre roman : une somme d’individus atomisés, totalement sourds et aveugles à leur entourage, tentant désespérément de s’accrocher à une chimère qui les lamine à mesure qu’ils tentent de s’en approcher. 
Une maison les réunit. C’est celle qu’avait construite Krovik pour y loger sa propre famille et qui devait être la première pierre de son édifice : un domaine clos et sécurisé où les classes moyenne et supérieure viendraient se mettre à l’abri d’un monde jugé hostile ; mais sa femme en est partie avec leurs enfants lorsque les murs ont commencé à se lézarder, en même temps que leur couple et la raison de Krovik ; lorsque les Noailles viendront l’habiter, le rêve d’ascension sociale trouvera ses limites, tandis que l’harmonie familiale commencera là encore à se déliter... 

C’est l’histoire du rêve américain en train de faire naufrage que nous conte Flanery. Tous les personnages vivent les uns à côté des autres sans jamais parvenir à communiquer. Même au sein de la famille, l’incompréhension mutuelle finit par avoir raison de l’amour familial. Les individus sont totalement seuls, alors même que la société prétend construire un monde global, cohérent, dans lequel chacun est censé trouver sa place et jouer un rôle. Et plus la société prétend s’organiser pour préserver la sécurité des individus - fût-ce au prix de leur liberté et de leur libre-arbitre - plus ceux-ci se sentent isolés. Dès lors, le danger ne provient plus de l’extérieur, mais bien de la sphère privée. Flanery ne nous offre aucune échappatoire, nul n’est épargné. Et rien ne semble pouvoir éviter la débâcle...

Glaçant, vous disais-je.


Patrick Flanery sera présent au festival America qui se tiendra du 8 au 11 septembre





32 commentaires:

  1. Une chronique qui confirme ma bonne impression après lecture de "Absolution". Les personnages y semblent aussi profonds et la construction élaborée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, on sent que c'est un texte qui a été très travaillé.

      Supprimer
  2. Un auteur que je n'ai pas encore lu ; je vais essayer de le voir au festival America.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, moi aussi. Mais je ne sais pas quel jour il y sera. J'espère que cela nous donnera l'occasion enfin de nous rencontrer !

      Supprimer
  3. Bon, je récidive, espérant que plus de bug!
    Oui, bien sûr, alors ce festival america, tu y seras?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais j'y compte bien ! Vu le nombre de blogueuses au mètre carré, je ne veux pas rater ça ;-)

      Supprimer
  4. Glaçant , je veux bien te croire ... mais tu le rends diablement tentant !

    RépondreSupprimer
  5. Intéressant, je ne connais pas du tout. Et puis du "glaçant", par cette chaleur, c'est tentant ;-)

    RépondreSupprimer
  6. Très tentant ! L'envers du rêve américain, qui se décline de différentes façons dans bon nombre de romans, (glaçant dans celui-ci !) m'intéresse toujours. Et si de plus, l'auteur est présent au Festival América...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, là, il en prend un sacré coup dans l'aile, le rêve...

      Supprimer
  7. Je ne connais pas du tout cet auteur ; mais après avoir lu ta chronique, le livre est dans ma wish-list.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne le connaissais pas non plus. J'ai pioché parmi les invités du festival... S'ils sont tous aussi bons, ça promet !

      Supprimer
  8. Réponses
    1. Eh bien, je ne pensais pas qu'un livre aussi noir susciterait autant d'enthousiasme ! Mais j'en suis ravie.

      Supprimer
  9. Il a l'air bien sombre, quand même... Je le note pour plus tard parce que le thème m'intéresse évidemment beaucoup.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Malgré l'extrême noirceur du propos, la lecture n'est pas oppressante. Un peu d'effroi quand même, notamment sur la fin, mais l'auteur n'est pas complaisant.

      Supprimer
  10. Réponses
    1. Ta PAL supportera bien un petit livre supplémentaire, Joëlle...
      ;-)

      Supprimer
  11. J'ai lu ton billet en diagonale, mais ce que tu en dis m'attire ! Je sens que je vais faire remonter ce roman sur le haut de ma pile. ;-) J'espère être présente au festival America, mais je ne sais pas encore quel jour.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On se tient au courant. Cela me ferait très plaisir de t'y rencontrer ! Je ne sais pas encore quel jour j'y serai non plus. Cela dit, j'habite à deux pas de Vincennes. Il n'est pas exclu que j'y passe d'un coup de vélo à plusieurs moments...

      Supprimer
  12. Tu le présentes vraiment très bien mais je crois que je deviens trop chochotte pour ce genre de lectures...
    Par contre, tu m'as convaincue sur L'amie prodigieuse qui a rejoint ma PAL.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il est vrai que cette vision très noire de la société n'est pas faite pour nous redonner l'optimisme qui nous a été ravi ces derniers mois... Cela reste un très bon livre, mais L'amie prodigieuse est aussi un excellent choix ;-)

      Supprimer
  13. Brr pas trop envie d'avoir froid :-) Même si le roman a l'air passionnant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il ne te reste plus qu'à piocher dans ma sélection d'été ;-)

      Supprimer
  14. J'ai Absolution dans ma wishlist depuis longtemps et je serai aussi au Festival America mais j'ai tant à lire avant ! Vu le nombre d'invités .. mais bon ça confirme qu'il faut que je découvre cet auteur !

    RépondreSupprimer