Laurent Binet
Le livre de poche (première édition : Grasset, 2009)
Prix Goncourt du premier roman 2010
Un roman historique ? Certes. Mais surtout une passionnante aventure littéraire !
Autant vous prévenir tout de suite : si vous m’avez suffisamment entendue chanter les louanges de Laurent Binet, mieux vaut que vous passiez votre chemin ! Parce que le roman dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui, quoique dans un style très différent, est largement aussi passionnant et intelligent que La septième fonction du langage !
Souvent, lorsque j’ai aimé un auteur, je laisse passer du temps avant de lire une autre de ses œuvres, afin de laisser l’enthousiasme s’estomper, n’être plus qu’un lointain et délicieux souvenir. J’entre ainsi dans ma lecture avec une sage promesse de bonheur et non avec le brûlant désir de voir se rallumer la flamme qui avait embrasé mon esprit.
Une fois n’est pas coutume : je ne savais pas quoi lire, je n’avais pas le temps de passer en librairie et le livre de Binet, aimablement dédicacé, m’attendait patiemment dans un coin de ma bibliothèque...
Apparemment amateur du genre, Laurent Binet avait déjà choisi pour son précédent livre un titre énigmatique et bien peu romanesque, pouvant même paraître parfaitement déconcertant, voire rebutant (qu’on se rappelle les remarques de certains lecteurs qui pensaient que La septième fonction du langage était un genre d’essai ou, en tout cas, tout autre chose qu’une fiction).
HHhH, donc. Himmlers Hirn heisst Heydrich : « le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich ». Voilà qui m’orientait vers un roman historique. Mais pas conventionnel, alors, et qui ne se laissait pas immédiatement appréhender... De plus, j’avoue mon ignorance : je n’avais jamais entendu parler de ce dignitaire nazi au sinistre pédigrée. Ce serait donc l’occasion d’approfondir un peu mes connaissances sur cette funeste période...
Quoi qu’il en soit, c’est pleinement confiante que je commençai ma lecture...
Pas plus que le titre, le premier chapitre, court - ils le sont tous -, n’installe vraiment le lecteur en terrain connu, celui d’un schéma narratif soigneusement balisé. On nous prévient d’emblée que celui qui s’annonce comme l’un des héros de ce récit « a vraiment existé ». Mais aussitôt le doute : que savons-nous - et plus particulièrement le narrateur - de ce que cet homme a vu, entendu, pensé ? Qu’est-on en droit de dire, si l’on ne veut laisser le champ libre à la fiction ? Une seule chose est sûre : « lui et ses camarades [...] sont les auteurs [...] du plus haut fait de résistance de la Seconde Guerre mondiale ». Dès lors, comment raconter sans transformer, comment combler les blancs, comment rendre hommage à un tel homme sans le réduire au rang de « vulgaire personnage », raconter son histoire sans l’idéaliser ? Ou plutôt, malgré l’acte d’idéalisation qu’implique la sublime « alchimie de la littérature » ?
Tout ce que l’on connaît de manière précise, c’est l’issue : l’attentat, la manière dont il s’est déroulé. Qui ? Quand ? Comment ? A ces questions on peut répondre avec certitude. Tout le reste, ce qui a précédé, la manière dont les protagonistes ont vécu ce moment et sa préparation, tout cela n’est que littérature.
Un conflit se joue alors au plus intime du narrateur. Il tient sa scène finale, celle vers laquelle tend tout le livre. Mais il doit l’amener sans trahir. Il en est réduit à supposer ce qui s’est exactement passé. Insoluble équation... Mais le narrateur n’abandonne pas pour autant sa chimère : il collecte les documents d’archives, lit sans relâche les témoignages, les études historiques, visite les lieux de l’action. Le moindre détail retient son attention, jusqu’à la couleur d’une voiture : était-elle noire ou vert foncé ? La vérité ne saurait souffrir aucune approximation...
Il convoque également ses prestigieux prédécesseurs : le roman historique n’est pas une nouveauté. Il appelle Flaubert à la rescousse, par exemple, qui était déjà aux prises avec les mêmes doutes lorsqu’il écrivait Salammbô. Ainsi se demandait-t-il dans sa correspondance comment parvenir à écrire « un roman [qui ne soit pas] aussi embêtant qu’un bouquin scientifique ».
Le roman de Laurent Binet est autant l’histoire de l’attentat perpétré contre celui qu’on appelait « la bête blonde » que celle de l’écriture de cette histoire. Le narrateur intervient sans cesse pour commenter ce qu’il écrit et s’interroger sur le bien-fondé de ce qu’il s’apprête à coucher sur le papier. Deux temporalités se mêlent, celle de l’Histoire et celle de sa transcription, jusqu’à se confondre et se distordre dans une scène finale d’une étonnante tension dramatique qui fonctionne à merveille.
Il se murmure qu’une adaptation cinématographique de ce livre serait en préparation. Il est certain qu’il y a matière à un grand film d’action. Les scénaristes n’auraient pas un gros travail à fournir, tant le roman fourmille de détails et se montre très précis dans la chronologie des événements et les circonstances dans lesquelles ils se déroulèrent. Mais je crains que le narrateur ne soit évincé, puisque évidemment il ne sera plus question ici d’écriture. A moins que ces mêmes scénaristes, s’ils sont brillants, n’arrivent à transposer les questions relatives au travail de création dans l’univers de la mise en scène... Car si l’on escamotait cet aspect, c’est toute sa sève que l’on retirerait à ce récit. Ce serait alors une tout autre histoire...
J'ai hésité au moment de sa sortie, j'ai lu tout et son contraire sur ce roman, mais le thème m'intéresse.
RépondreSupprimerAprès deux livres lus de cet auteur, je crois pouvoir dire qu'il aime jouer avec les conventions littéraires ; il aime interroger l'acte d'écriture et, comme je l'indique dans mon commentaire, il n'installe pas son lecteur dans une position confortable et habituelle. C'est ce qui fait toute sa valeur à mes yeux.
SupprimerJe n'ai pas réussi à le finir et quand je vois les billets enthousiastes comme le tien, je me demande pourquoi.
RépondreSupprimerJe comprends que l'écriture de Laurent Binet puisse paraître déconcertante. Peut-être n'était-ce tout simplement pas le bon moment pour toi ?
SupprimerJe n'ai toujours pas lu le dernier de Binet, un des rares romans de la rentrée que j'ai acheté avec mes deniers ! Celui-ci me tente beaucoup depuis longtemps!
RépondreSupprimerQue te dire, sinon : fonce ! C'est vraiment un auteur à ne pas rater ;-)
SupprimerCelui ci m attend sur mes étagères depuis longtemps ; la septième fonction, elle, m'est tombée des mains ... Très beau billet !
RépondreSupprimerMerci, Mior !
SupprimerJ'espère que ce titre-là saura te convaincre !
Je n'ai pas vraiment aimé ce roman ; j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de longueurs et le style de l'auteur ne m'a pas accrochée. Du coup, je n'ai plus rien lu de lui.....
RépondreSupprimerC'est un style très personnel et une approche très originale. Il en va de même de La septième fonction du langage. Du coup, je ne suis pas sûre qu'il te plairait...
SupprimerQuoi qu'il en soit, merci pour ta visite !
Je viens de me régaler avec le dernier binet (nan, pas de billet, flemme)et veux découvrir celui ci!
RépondreSupprimerAaaahhhhhhh !
SupprimerMais moi, je le veux ton billet !!! ;-)
Le sujet ne m'attire pas du tout, je crois que je préférerais découvrir l'auteur avec la 7ème fonction du langage.
RépondreSupprimerLes deux sont aussi bons l'un que l'autre ! ;-)
SupprimerEntièrement d'accord pour l'adaptation, c'est comme Expiation, je ne vois pas du tout comment adapter HhHH en occultant le narrateur. Je t'ai lue attentivement, mais je sais que je serai moins enthousiaste, bien qu'il m'ait beaucoup plu quand même. J'essaie de mettre de l'ordre dans mes idées, mais je souscris à tout ce que tu as dit.
RépondreSupprimerJ'attends ton billet avec la plus vive impatience ! (connais pas Expiation...)
SupprimerToujours pas lu Binet... mais je pense que ce sera pour cette année, la septième fonction du langage m'attend ! ;-)
RépondreSupprimerDe quoi merveilleusement commencer 2016 alors ;-)
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